| DURABLE, adj. A.− Qui présente les conditions requises pour durer longtemps, qui est susceptible de durer longtemps. 1. [En parlant d'un obj. concr.] Monument, ouvrage durable; fixe et durable; faire des choses durables. Une clôture de barres de fer tenues entre de solides poteaux, comme on en voit dans les propriétés où l'on aime les constructions durables (R. Bazin, Blé,1907, p. 276).Ce qui partout ailleurs est un baraquement N'est ici qu'une épaisse et durable maison (Péguy, Tapisserie N.-D.,1913, p. 692): 1. Enfin, le 29 décembre 1846, jour de Noël, on entre à Vienne. (...) Toutes les rues sous la neige (non la neige demi-fondue de Paris, mais la solide, durable et qui dure six mois).
Michelet, Journal,1849-60, p. 573. − Spéc. [En parlant d'un obj. de consommation] Qui se consomme lentement par l'usage, qui fera de l'usage, qui se conserve. Marchandise durable (Say, Écon. pol.,1832, p. 170).Pour vingt-cinq francs, vous avez tout ce qu'il y a de supérieur; aussi fort que le drap, plus durable même (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 288). 2. [En parlant d'une chose abstr.] Changement, état, succès durable; situation, trace durable; complet et durable, profond et durable, vif et durable, stable et durable. Il avait l'ambition de fixer dans une œuvre méditée et durable l'essentiel de sa pensée (Jaurès, Soc.,1901, p. 53).La question est de savoir si cet accord sera durable et s'il persistera chez nos successeurs (Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 268): 2. Et même si j'emploie ici le mot « trêve », c'est qu'aucune paix durable entre nous n'était possible; les concessions réciproques qui permettaient un peu de répit ne pouvaient être que provisoires et partaient d'un malentendu consenti.
Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 607. SYNT. (au plur.). Effets, impressions, influences, institutions, signes, traces durables. 3. Constr. diverses et loc. a) [Compl. d'un pron. neutre indéf.] La nuit n'était pas encore sombre. La lumière intense des jours d'été a quelque chose de durable qui s'attarde vaguement dans les lents crépuscules (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 87). b) De, d'une façon (manière) durable (loc. adv.). D'une façon qui puisse, qui doive durer longtemps; pour longtemps. Au diable soient les ouvriers du temps jadis qui travaillaient de façon si durable! Je vais essayer de découper le bois autour de la serrure avec mon poignard pour la faire sauter, puisqu'elle tient si fort (Gautier, Fracasse,1863, p. 418).Un nouvel ordre temporel chrétien (...) surgira d'une façon plénière et durable (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 256). c) Faire œuvre durable (loc. verbale). Faire œuvre qui résiste au temps, à l'oubli. L'interprétation du sujet, la ressemblance de la chose représentée (...) et la marque personnelle de l'écrivain (...), son style, tout cela entre en jeu, fait la valeur de l'œuvre et la retient de tomber bientôt dans l'oubli. Faire œuvre durable, c'est là mon ambition (Gide, Journal,1943, p. 223). B.− Qui dure longtemps, qui est de longue durée, qui présente de la stabilité et de la constance dans le temps. Anton. éphémère, fugace, fugitif. 1. [En parlant d'un obj. concr.] Le ciment armé ne donne rien de beau; ce n'est qu'un plâtre durable (Alain, Propos,1921, p. 278).Cette personne (...) avait vieilli sans blanchir, et plutôt en rougissant comme certains fruits durables et ratatinés des haies (Proust, Sodome,1922, p. 879). − Spéc., DR. [En parlant d'un bien ou d'un droit] Dont la durée d'utilisation ou de validité est de (+ indication de durée). Un bail durable encore 45 ans (Verlaine, Corresp.,t. 1, 1872, p. 51). 2. [En parlant d'une chose abstr.] Effet, influence durable. Il est impossible qu'une « mode » soit « durable » (Renan, Avenir sc.,1890, p. 442).Il était la proie, non d'une maladie durable, mais d'une intoxication passagère (Proust, Temps retr.,1922, p. 836): 3. L'influence du christianisme sur la conception de l'histoire a été si durable qu'elle se laisse encore discerner, après le xviiesiècle, chez des penseurs qui ne se réclament plus de lui ou même le combattent.
Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,1932, p. 191. 3. [En parlant principalement d'un sentiment, avec l'idée de stabilité, de profondeur, de continuité] Amitié, attachement, bonheur, souvenir durable; profond et durable, solide et durable. Synon. solide, profond, persistant; indéfectible, indestructible.L'enthousiasme du public pour les « Précieuses » fut vif et durable (France, Génie lat.,1909, p. 114): 4. Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours.
Saint-Exupéry, Terre des hommes,1939, p. 158. C.− Qui dure toujours ou du moins très longtemps. Quasi-synon. définitif, éternel, immortel, impérissable, perpétuel; anton. éphémère, passager, précaire, provisoire. 1. [En parlant d'un obj. concr.] :
5. ... toute pensée (...) est intéressée à se perpétuer, (...) l'idée qui a remué une génération veut en remuer d'autres et laisser trace. Or quelle immortalité précaire que celle du manuscrit! Qu'un édifice est un livre bien autrement solide, durable, et résistant!
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 217. 2. [En parlant d'une chose abstr.] Adieu, mille tendres, durables et respectueux sentiments (Lamart., Corresp.,1830, p. 11).La douleur n'est pas plus durable que la joie; tout passe (Lamennais, Lettres Cottu,1822, p. 134): 6. Entre vous et moi, Sainte-Beuve, il y a une amitié scellée d'une façon trop profonde et trop durable pour que les petites affaires de l'amour-propre nous divisent jamais un seul instant.
Hugo, Corresp.,1833, p. 523. Rem. On rencontre ds la docum. l'adj. per-durable qui sert de superlatif à durable. Sagesse per-durable (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 599). 3. [En parlant d'une pers., de sa renommée] Synon. immortel, impérissable : 7. ... ces chefs-d'œuvre humains que sont le savant, le héros, l'artiste ou le saint. Chefs-d'œuvre durables, impérissables comme la personne qu'ils constituent, sculptés à même dans la substance d'une âme immortelle destinée à retrouver son corps dans l'immortalité.
Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,1932p. 212. − Emploi subst. Le durable. Le caractère ou l'état durable. Il n'y a pas grand espoir à tirer d'une époque (...) où l'on prend communément le viager pour le durable (Fromentin, Dominique,1863, p. 282).La croyance aux extrêmes et la disparition du durable sont les traits de ce temps (Valéry, Variété III,1936, p. 33): 8. Fini, cet écartèlement du pécheur entre le bien et le mal! Voilà que vous allez trouver le calme, la stabilité, l'ordre suprême, le Royaume de Dieu! Vous allez délaisser ce qui est éphémère et fragile, pour aborder enfin le durable, l'éternel!
Martin du Gard, Les Thibault,La Mort du père, 1929, p. 1264. Prononc. et Orth. : [dyʀabl̥]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1050 (Vie de St Alexis, éd. C. Storey, 69). Empr. au lat. impérialdurabilis « durable ». Fréq. abs. littér. : 1 275. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 830, b) 1 166; xxes. : a) 876, b) 1 854. |