| DUEL1, subst. masc. A.− [Le duel est une lutte phys., gén. avec des armes] 1. Combat singulier dans lequel deux adversaires armés se mesurent l'un à l'autre. Tout combat dans la steppe commençait par une suite de duels (Mérimée, Cosaques d'autrefois,1865, p. 34): 1. ... je commençai l'histoire du soldat Perrin : Il enlevait le kaiser, le ramenait ligoté dans nos lignes, puis, devant le régiment rassemblé, le provoquait en combat singulier, le terrassait, l'obligeait, le couteau sur la gorge, à signer une paix infamante, à nous rendre l'Alsace-Lorraine. Au bout d'une semaine mon récit m'assomma. Le duel, j'en avais emprunté l'idée à des romans de cape et d'épée...
Sartre, Les Mots,1964, p. 177. − Spéc., DR. FÉOD. Duel judiciaire, ou p. ell. du déterm. duel. Combat singulier entre l'accusé et l'accusateur (ou leur représentant) admis autrefois comme preuve juridique dans les cas douteux. (Quasi-)synon. jugement de Dieu : 2. S'il y a un jugement de Dieu dans le sort des concours et des combats, Rome concourut, pour l'empire des nations, avec l'Assyrie, l'Égypte, la Perse, et la Grèce : Elle les laissa bien loin derrière elle; elle combattit, comme en un duel judiciaire, contre Carthage, les Espagnes, les Gaules, et la Germanie; elle remporta l'honneur du champ-clos.
Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 178. − P. ext. Duel à coups de poing. Nous vivions, depuis la cinquième, dans l'atmosphère de l'affaire Dreyfus : batailles rangées, défis particuliers, duels à coups de poings, yeux pochés (Bloch, Dest. S.,1931, p. 62). − P. anal. Duel d'artillerie. Notre seule besogne efficace était de surprendre, pendant les duels d'artillerie, les fumées et les lueurs des bouches à feu allemandes (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 18). 2. Combat strictement réglé entre deux personnes dont l'une exige de l'autre la réparation par les armes d'un affront, d'une injure ou d'une offense. Accepter le duel; se battre en duel; provoquer qqn en duel; être second, témoin dans un duel; être tué en duel; duel à l'épée, au pistolet; duel à mort; duel au premier sang, qui doit cesser à la première blessure, même légère. Au dix-huitième siècle, Hyde Park fut le théâtre de maints duels, où combattants et témoins tombaient tous transpercés (Morand, Londres,1933, p. 118).Les deux amis se trouvèrent sur le terrain, ayant décidé d'un duel à mort (...). On tomba la tunique d'uniforme dans un pré et l'on se battit, d'abord au sabre de cavalerie puis au parabellum (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 223): 3. Il [Disraëli] courut chez d'Orsay et lui demanda d'arranger une rencontre. Mais O' Connel avait jadis tué un homme en duel et avait fait serment de ne plus se battre. Disraëli provoqua le fils, Morgan O' Connel, qui répondit qu'il vengeait les insultes faites à son père, mais ne pouvait accepter la responsabilité de tout ce que disait celui-ci.
Maurois, La Vie de Disraëli,1927, p. 97. − P. anal. Duel oratoire. Tradition inexplicable (...) qui voulait qu'en cas de duel oratoire chaque parti laissât sans intervenir son champion aux prises avec le champion adverse (Ambrière, Gdes vac.,1946p. 267). B.− Au fig. Synon. antagonisme, compétition, conflit, lutte, opposition. 1. [Entre des pers. ou des groupes de pers.] Les élections ne furent qu'un duel entre Beaconsfield et Gladstone (Maurois, La Vie de Disraëli,1927p. 318).La conquête du Matterhorn (...) commencée en 1865 avec le duel Whymper-Carrel (Peyré, Matterhorn,1939, p. 7).La politique intérieure (...) se ramenait, pour nous, au duel du curé et de l'instituteur (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 457). Rem. Duel, dans ce cas, est parfois déterminé par un compl. du nom ou un adj. indiquant le moyen du conflit ou le domaine dans lequel il se situe. Il [le duc de Milan] avait (...) rassemblé la plupart des hommes remarquables de son temps, et il avait avec eux ce qu'il appelait des duels d'esprit! on discutait librement et à toute outrance sur toutes sortes de sujets (Stendhal, Mém. touriste, t. 1, 1838, p. 366). Ce duel poétique et galant de Racine et de Corneille (Sainte-Beuve, Portr. littér., t. 1, 1844-64, p. 116). [Il était] engagé de nouveau dans un de ces duels d'idées que provoque chez les intelligences philosophiques le heurt avec un écrivain de grand talent qui contredit leurs convictions les plus chères (Bourget, Actes suivent, 1926, p. 66). 2. [Entre une pers. et une épreuve, une chose] Avoir un long duel avec la maladie, avec la misère. Une chose farouche commença (...) le combat du canon contre le canonnier (...) le duel de la chose contre l'homme (Hugo, Quatre vingt-treize,1874, p. 37): 4. − Il est un petit nombre d'êtres forts et privilégiés auxquels il est permis de contempler la mort face à face, d'avoir avec elle un long duel, et d'y déployer un courage, une habileté qui frappent d'admiration...
Balzac, Le Curé de village,1839, p. 261. 3. [Chez une pers., entre des instincts, des sentiments, des tendances psychol. opposés] Ce duel qu'en moi, depuis des années, se livrent des forces antagonistes (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 374).Le duel constant qu'il y a chez le mâle, entre sa générosité et son égoïsme, entre son sang et son sperme, crée en lui une atmosphère de désarroi qui épouvante, apitoie et fascine la femme (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1398): 5. ... Delacroix fut le lieu d'un terrible duel. Physiquement, ses contemporains ont décrit comment en lui se combinaient des ardeurs sombres qui leur ont évoqué quelque chose du tigre ou du sauvage, − et d'une dignité disciplinée et froide, raffinée dans la grâce la plus aisée : ...
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 336. 4. [Entre des principes, des forces antagonistes ou contradictoires] Le duel du bien et du mal. Duel entre deux nations? Non. La France et l'Allemagne sont sœurs : mais duel entre deux principes, la république et l'empire (Hugo, Actes et par., 3,1876, p. 323).Le drame que j'imagine dans les héros bien-aimés du vieux roman russe survivant en U.R.S.S., un duel entre la technique et la foi (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 446). Prononc. et Orth. : [dɥ
εl]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1556 duelle « combat singulier » (Ch. de Sainct-Gelays, Chron. des Machabées, 7 vod'apr. A. Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 10, p. 338); av. 1573 duel (Jodelle, Sonnet sur les Dialogues d'honneur de J. B. Possevin, II, 192 ds Hug.). Empr. au lat.duellum forme ancienne de bellum « guerre, combat »; le sens de « combat singulier » s'est développé en b. lat. prob. par rapprochement de duo « deux » p. étymol. pop. (TLL s.v.; v. aussi M. Bambeck ds Mél. Wartburg, t. 2, 1968, pp. 219-220). Bbg. Bambeck (M.). Mittellateinische Lexikalia zum FEW. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t. 2, pp. 219-220. − Boléo (M. de P.). R. port. Filol. 1969/71, t. 15, p. 443. |