| DOMAINE, subst. masc. A.− DROIT 1. Vx. Droit de propriété ou de possession. Bail, levage à domaine congéable (cf. congéable). Celui qui payait le cens au seigneur de la terre avait le domaine utile, et le seigneur auquel on payait le cens avait le domaine direct (Ac.1835, 1878). 2. Loc. Être, tomber dans le domaine public a) [En parlant d'œuvres littér., musicales, artistiques] Cesser d'être la propriété des auteurs ou de leurs héritiers après un temps réglementé : 1. N'est-il pas prouvé qu'avec cinq ou six millions l'État désintéresserait ces auteurs et pourrait stipuler que, moyennant un certain prix par volume, tous les deux ans, leurs productions nouvelles tomberaient dans le domaine public?
Balzac, Correspondance,1839, p. 676. b) P. ext., littér. [En parlant de pers. ou d'idées] Un jeune homme à marier appartient à tout le monde (...) il est dans le domaine public (Labiche, Point de mire,1864, II, 7, p. 404).Les idées de Wolf sur l'épopée ou plutôt celles qu'il a amenées sont devenues du domaine public (Renan, Avenir sc.,1890, p. 296): 2. − Tu es un homme public; tout ce que tu fais tombe dans le domaine public : en voilà la preuve!
Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 387. B.− Usuel. Propriété foncière de vaste étendue comprenant généralement une habitation de maître. Domaine agricole, dotal, familial; bois, chasses, fermes, forêts, métairies, pâturages, prairies relevant d'un domaine. (Quasi-) synon. bien, terre(s).S'il s'agit d'un corps de biens, la dénomination générale seulement du domaine et des arrondissements dans lesquels il est situé (Code civil,1804, p. 398).L'usufruitier d'un domaine (...) ne peut ni aliéner ni morceler ce domaine, ni en entamer les valeurs permanentes, comme les arbres de haute futaie (JaurèsÉt. soc.,1901, p. 165).Je composerai mon domaine métairie par métairie, afin que chacune accroisse par son fruit naturel le rendement de l'ensemble (Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 220);voir aussi aignade ex. 5. SYNT. Acquisition, partage, vente d'un domaine; hériter d'un domaine de deux cents hectares; posséder un domaine ancestral, un vaste domaine colonial; exploiter, gérer, agrandir, hypothéquer un beau et grand domaine; partir visiter un domaine avec son régisseur. − Spécialement 1. HIST. Ensemble des biens appartenant à un groupe ou à une catégorie sociale. Domaine d'Église; domaine féodal. (Quasi-)synon. fief. ♦ Domaine royal ou de la Couronne. [Au Moyen Âge] Partie du territoire dont le roi avait la propriété directe : 3. En 1791 les terrains, qui appartenaient aux Feuillants (...) furent mis en vente comme faisant partie du domaine de la Couronne. Le comte Greffulhe acheta deux parcelles de ces biens nationaux...
Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 202. 2. DROIT a) DR. CIVIQUE et ADMIN. [Avec une majuscule] Domaine de l'État ou p. ell. le Domaine. Biens de l'État. Cf. domanial. ♦ Domaine public. Biens non susceptibles d'appropriation privée. Domaine fluvial, maritime, militaire; domaine communal, départemental. Les chemins, les rues, les ports, les fleuves, et en général toutes les choses qui ne sont pas susceptibles d'une possession privée, appartiennent au domaine public (Ac.1835-1932). ♦ Domaine privé. Biens de l'État non affectés à un service public. Les forêts communales font partie du domaine privé de la commune (Lemeunier1969et CIDA 1973). ♦ Direction ou Administration générale des Domaines ou p. ell. le Domaine, les Domaines. Rachat de possessions par le Domaine; ventes du Domaine; plaider contre le Domaine; receveur des Domaines; encourir les rigueurs de l'Administration des Domaines. b) DR. INTERNAT. Domaine aérien. Espace aérien situé au-dessus d'un État et sur lequel, en vertu d'accords internationaux, il garde sa pleine souveraineté (d'apr. Lar. encyclop.). C.− P. anal. et au fig. Espace occupé par quelqu'un ou par quelque chose, qui se trouve sous son influence ou dans son champ d'activité. Faire une intrusion dans le domaine de. Le puma, vexé de cette intrusion dans son domaine, vient se coucher sous les jambes de Marie-Jeanne (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 170). 1. [En parlant de la flore] Domaine bioclimatique (cf. bioclimatologie, s.v. bio-), floristique, méditerranéen. Synon. zone.La division est naturelle, c'est celle qui sépare le domaine de la banane de celui où la vigne et le blé mûrissent convenablement (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 133): 4. Le domaine de l'olivier et celui des arbres à feuilles caduques s'enchevêtrent; entre celui-ci et les forêts de conifères du Nord, l'apparition des sols favorables ménage la transistion.
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921p. 282. 2. [En parlant de phénomènes naturels, d'inanimés concr. ou abstr.] (Quasi-)synon. empire.Si j'ai eu des amants, c'est hors de notre domaine, hors de notre affection (Giraudoux, Lucrèce,1944, p. 170).En fait, il commençait à battre la campagne. La fièvre étendait son domaine sur lui (Queffélec, Recteur,1944, p. 135): 5. Plus tard c'était l'accalmie, le grand domaine des brouillards... Ça devenait alors tout magique... Ça devenait comme un autre monde... On voyait plus à deux pas autour de soi, au jardin... Y avait plus qu'un nuage, il entrait doucement dans les pièces, il cachait tout...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 272. 3. [En parlant des activités de l'esprit hum. et de ses créations dans les arts, les techn., les instit.] Ouvrir le domaine de la culture à tous; se trouver dans le domaine de l'hypothèse, de l'impossible; explorer le domaine réel de l'expérience. (Quasi-) synon. monde, univers, étendue, champ, cercle, sphère.Frappé d'étonnement et saisi du frisson de l'effroi, en considérant ce vaste domaine de la désolation et de la mort (Crèvecœur, Voyage,t. 1, 1801, p. 216).Voir (...) des entités vagues appartenant au domaine de la spéculation pure (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 321).Offre (...) de collaboration américaine dans le domaine des applications pacifiques de l'énergie atomique (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 104): 6. ... il est admis qu'aucune trace matérielle ne peut subsister des fameux autographes impériaux. C'est le domaine des affirmations gratuites. Devant ces fumées, nous sommes sans armes; pas de lutte possible.
Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 423. 7. Cela commence dans les arbres des Champs-Élysées, cela tourne par les boulevards, jusqu'à la République, dans ce domaine des théâtres et des cafés, des boîtes de nuit et des bordels qui grimpe les pentes de Montmartre avec des bouffées de musique et des tamponnements de taxis.
Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 192. SYNT. Domaine des sens, de la sensibilité, du sentiment, des affections, des rêves, des fictions, de la semi-conscience, de l'imagination, de la magie, de la spéculation, des utopies, de la raison, de la pensée, de la critique, de la connaissance, de la volonté; domaine de l'art, de l'érudition, de la création littéraire, du droit, de l'ethnologie, de la médecine; domaine matériel, intellectuel, moral, temporel, culturel, esthétique, économique, social, politique, diplomatique, historique, militaire, industriel, monétaire, biologique; domaine des fréquences audibles. − P. métaph. C'est à titre d'ami que vous m'avez prêté de l'argent. Or donc, s'il vous plaît, quittons le domaine de la chaussure, et entrons dans les domaines de la confiance et de l'amitié, qui exigent un compte à part. À combien se monte votre amitié pour moi? − Vingt-sept francs (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 113). − Spécialement ♦ LING. Domaine d'une transformation. Ensemble des arbres auxquels elle peut s'appliquer (ou des suites terminales à indicateur syntagmatique) (d'apr. Lang. 1973). ♦ MATH. ,,Ensemble ouvert tel que deux quelconques de ses points peuvent être joints par une ligne polygonale tout entière plongée dans cet ensemble`` (Uv.-Chapman 1956). − Loc. Le domaine de qqn. L'ensemble de ce qu'il connaît plus particulièrement; ce qui est de sa compétence. L'archéologie est son domaine exclusif; impossible de vous renseigner : ce n'est pas notre domaine. (Quasi-) synon. matière, spécialité, terrain, rayon (fam.).Son petit domaine à lui [Placide], c'était la conversation, avec sous-entendus, allusions (Morand, Homme pressé,1941, p. 45).Tous trois faisaient de leur mieux dans leurs domaines respectifs (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 61).Quoi de plus néfaste, Messieurs, dans nos domaines, que la fantaisie (Cocteau, Poés. crit. II,1960, p. 147): 8. Nous allons parler de fort vilaines choses, et que, pour plus d'une raison, nous voudrions taire; mais nous sommes forcés d'en venir à des événements qui sont de notre domaine, puisqu'ils ont pour théâtre le cœur des personnages.
Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 389. 9. ... Chopin malade était désespérant dans l'intimité exclusive. (...) nul esprit plus brillant dans la gaieté, nulle intelligence plus sérieuse et plus complète dans ce qui était de son domaine; mais en revanche, hélas! nulle humeur n'était plus inégale...
Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 443. 10. Mon domaine : comme j'ai dit ce mot! Entendez bien que je veux désigner non point un objet que je possède, mais un objet où je m'applique : mon champ d'étude.
Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme,t. 1, 1902, p. 8. Rem. On trouve ds la docum. un ex. du dér. domaniaire, adj. en manière de plaisant. Et ce, pour toutes emphytéoses, baux, alleux, contrats domaniaires et domaniaux, hypothécaires et hypothécaux (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 797). Prononc. et Orth. : [dɔmεn]. Enq : /domen/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1remoitié xiies. demeine « biens (ici, terres) dont on a la propriété usufruitière ou directe » (Lois G. le Conquérant, éd. J. E. Matzke, 17, § 1, p. 15); forme attesté jusqu'en 1636 (Monet); 1294 donmaine (A.N. S 5145 b, pièce 21 ds Gdf. Compl.); 1364 demaine du royaume (Lett. de Ch. V, Mém. Soc. hist. Paris, t. VI, 1879, p. 69 ds Gdf. Compl.); 1539 (Est. : demaine du Roy); 1606 Domaine de la Couronne, Domaine (Nicot); 1803 (Boiste : domaine, biens nationaux, leur régie); 1832 domaine public (Raymond); 1835 spéc. tomber dans le domaine public (Ac.); 2. 1670 p. ext. « ce qui appartient à quelqu'un ou à quelque chose » (Boss., Duch. d'Orl. ds Littré); av. 1799 être du domaine de (Marmontel, Mém., VI, ibid.). B. 1. 1155 « propriété, droit de propriété » tenir en domainne « posséder » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 9908); 2. ca 1175 domaine « pouvoir, autorité » (B. de Ste-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 1755). Soit empr. au b. lat. dominium « pouvoir, autorité », « propriété, droit de propriété », largement attesté en lat. médiév. (Nierm.), dér. de dominus (dom*) ou de dominari « dominer », soit moins prob. issu de l'adj. a. fr. demaine « qui appartient en propre » (ca 1100 Roland, éd. J. Bédier, 729 : demenie), empr. au lat. dominicus « relatif au maître »; le lat. médiév. domanium, demanium (970-84 demenium ds Nierm.; 1189, ca 1192 ds Latham) latinisation de l'a. fr. demaine, est étroitement liée au développement du subst. français. Fréq. abs. littér. : 4 036. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 543, b) 2 976; xxes. : a) 4 502, b) 9 840. Bbg. Termes techn. fr. Paris, p. 109. − Thomas Nouv. Essais 1904, p. 57. |