| DISTANCE, subst. fém. I.− [Concerne l'espace] A.− 1. Intervalle mesurable qui sépare deux objets, deux points dans l'espace; espace qu'on franchit pour aller d'un lieu à un autre. Calculer, parcourir une distance (en quelques heures). Sur un taximètre la distance nous est présentée transformée déjà en « shillings » et en « pence » (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 163): 1. « (...) Quatre jours plus tôt, le vendredi 2 octobre, Wright a établi le record de distance. Il a couvert 60 kilomètres 600 et tenu l'air pendant 1 h 31' 25" ... »
Romains, Les Hommes de bonne volonté,1932, p. 29. SYNT. Distance entre une ville et une autre, d'un lieu à un autre; distance de trois kilomètres, trois kilomètres de distance; à une certaine, à une faible distance; apprécier, déterminer une distance, franchir une distance (en quelques heures). − Spéc. ASTRON. Distance angulaire*; distance aphélie*, périphélie*, polaire*, zénithale*. GÉOM. Distance d'un point à une droite, d'un point à un plan. Longueur de la perpendiculaire abaissée du point sur la droite ou sur le plan. MUS. Synon. moins fréq. de intervalle (cf. Arts et litt., 1935, p. 3808).OPT. Distance focale*. SP. Longueur d'une course (cf. Lar. Lang. fr.) − Locutions a) Loc. adj. ♦ À distance. De loin, sans contact direct, par l'intermédiaire de quelque chose. Manipulation à distance, commande à distance. Les boutiquières de Paris ne s'étonnent jamais de ces amours à distance, qui sont des plus fréquents (Nerval, Illuminés,1852, p. 195): 2. De lui [le corps] émanent nos vraies lumières, et même les seules, qui sont nos besoins et nos appétits, par lesquels nous avons une sorte de perception « à distance » et superficielle de l'état de notre intime structure.
Valéry, Suite,1934, p. 172. P. ext. (rare). Parent à distance. À un degré éloigné. Notre peintre est parent, quoique à distance, de Martin Schoen et d'Albert Dürer (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 31).♦ À longue, à courte distance. Canon, tir à/de longue, courte distance. De grande ou de faible portée; transport à longue distance. Entre des lieux très éloignés. De longue distance. C'était un express de longue distance, sans clientèle locale (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 297). b) Loc. adv. ♦ À distance. De loin. Il continuait à distance ses enseignements commencés aux Trembles (Fromentin, Dominique,1863, p. 102).Certaines fleurs, grâce à un ressort, aspergent à distance l'insecte inconsciemment complice et décontenancé (Proust, Sodome,1922, p. 629). ♦ Au loin. Pour éviter le premier choc de la réaction il passa quelques années à distance (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 149).P. métaph. : 3. Placé ainsi au dehors et à distance de ses personnages, le romancier peut adopter des procédés allant de celui des behavioristes à celui de Proust.
Sarraute, L'Ère du soupçon,1956, p. 109. ♦ À distance respectueuse. Assez loin (par respect ou par crainte). Se tenir, s'incliner à distance respectueuse. Il s'assit à distance respectueuse avec ses enfants pendant que le médecin remplissait ses rites (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 211).De distance en distance. De place en place. Placer, planter, poser, semer de distance en distance (cf. arbuste ex. 1).Les jeunes sapins plantés de distance en distance qui avaient marqué le chemin étaient presque tous tombés (Hémon, M. Chapdelaine,1916p. 26). c) Loc. prép. À distance de [+ compl. précisant la mesure de l'intervalle]Les équipes se faisaient face, à distance de fléau les unes des autres (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 51).À distance de [+ compl. indiquant que l'intervalle permet une action, une perception]Les 1eret 2ecorps qui devaient opérer à l'est de Verdun (...) se rapprochaient pour entrer en ligne, et s'établir à distance d'assaut (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 68).Quand l'objet du besoin est présent à nos sens, et principalement à distance de vue et d'ouïe, alors il est un excitant (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 92).À égale distance de, à mi-distance de. Au milieu de l'intervalle qui sépare deux choses. Des îles (...) se trouvant situées à peu près à distance égale de ses [de l'Espagne] possessions d'Amérique et d'Asie (Voy. La Pérouse,1797, p. 31). 2. En partic. Écart maintenu entre des personnes. Elle avait accéléré l'allure, et il avait du mal à garder sa distance sans courir (Martin du G., Thib.,Belle sais., 1923, p. 858). − Le plus souvent au plur. Intervalle entre soi et ses voisins en étendant les bras. Garder, conserver, prendre sa/ses distance(s). On les aurait dits à la parade, soucieux de conserver leurs distances, tandis qu'ils s'avançaient d'un train fou (Zola, Débâcle,1892, p. 308). − Tenir à distance. Empêcher d'approcher. Une varlope, tournoyante autour de sa tête, tenait à distance les assistants (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 343). ♦ Au fig. Empêcher toute familiarité : 4. ... pour les godelureaux j'ai bien su, d'une mine froide, réservée et discrète, les tenir à distance comme il convient...
Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 139. 3. P. ext. Étendue, vaste espace; éloignement. Assourdi, estompé par la distance. Des dunes que bleuit la distance (Du Camp, Hollande,1859, p. 75).La steppe orientale où les sonorités s'étouffent dans l'illimité des distances et le feutrage de la neige (Proust, Prisonn.,1922, p. 382). ♦ Dans la distance. Dans le lointain. Montagnes vertes avec terre jaune dans la distance (E. Delacroix, Journal,1832, p. 132).La chaîne libyque, perdue dans la distance et noyée dans la lumière (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p. 67). B.− Au fig. 1. a) Différence entre des choses concrètes ou abstraites. Distance entre des caractères; distance morale. Le Gaulois mourant (...) montre, si on le compare aux statues d'athlètes, la distance qui sépare un corps inculte et un corps cultivé (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 195).Dans cet ensemble, les distances zoologiques entre formes sont nettement plus grandes qu'entre ordres de mammifères (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 137): 5. Quoique Clotilde fût plus âgée de quelques mois que Régina, le développement du corps et de l'âme, plus rapide dans les jeunes filles du midi, toutes couvées qu'elles soient à l'ombre, avait effacé toute distance entre elles.
Lamartine, Nouvelles confidences,1851, p. 154. − À égale distance de. Une sagesse de juste milieu, à égale distance des hardiesses philosophiques et des austérités fanatiques (Guéhenno, Jean-Jacques,1948, p. 245). − Littér. Toute(s) distance(s) gardée(s). En tenant compte des différences. Je sais qu'il y a, toute distance gardée, bien des rapports entre nous et Chateaubriand. Il était, au fond, sceptique comme nous (Goncourt, Journal,1860, p. 841). b) Différence entre des personnes. Distances sociales; établir, marquer, garder les distances, rapprocher les distances; avoir, perdre le sentiment des distances. L'armée est le refuge du formalisme. (...) On y a une superstition bizarre des distances et des hiérarchies (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1906, p. 164).Le mot [bourgeois] n'était employé que par la noblesse qui entendait ainsi souligner une distance entre les gens bien nés et la roture dorée (Aymé, Confort,1949, p. 46): 6. ... il [le gentleman] sera toujours attentif à conserver les distances, à nuancer les égards, à observer toutes les gradations de la politesse conventionnelle, suivant le rang, l'âge, la situation des personnes.
Amiel, Journal intime,1866, p. 224. 2. Réserve, recul vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose (cf. distanciation). L'intimité avec les chimères, les distances avec les réalités (Giraudoux, Siegfried,1926, I, 5, p. 34).C'était donc vous, chez Charles Morgan, qui aviez pris assez de distance pour bien observer mon pays (Mauriac, Cah. noir,1943, p. 382): 7. Elle garde dans son comportement une distance qui fait frissonner, une effrayante indifférence, et cette immobile sérénité du visage, qui appartient au sommeil et à la mort.
Morand, Rococo,1933, p. 93. − P. ext. Hauteur, dédain. Il affectait le sérieux, la froideur et la distance (Larbaud, Journal,1935, p. 363).Son regard était plein de distance (Jammes, Mém., t. 3, 1923, p. 134). II.− [Concerne le temps] Intervalle qui sépare deux événements, deux époques. Dubois, puis le régent, disparurent, en 1723, à quelques mois de distance (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 274): 8. Il neige sur le jardin, sur les buissons qui verdissaient déjà. J'essaie de voir cela comme je le verrai plus tard, par le souvenir, avec les embellissements que prête la distance des années.
Green, Journal,1943-46, p. 98. − De distance en distance. Par intermittence : 9. ... le ministre anglican prononçait des prières dont toute l'assemblée répétait avec lui les dernières paroles. Ces voix confuses, et néanmoins assez douces, venaient de distance en distance ranimer l'intérêt et l'émotion.
Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 212. Prononc. et Orth. : [distɑ
̃:s]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. [Ca 1175 « désaccord » (Benoit, Chr. Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 3850), seulement dans l'Ouest et en ang. au Moy. Âge]; 1. a) Ca 1223 « écart, intervalle (dans l'espace) » ici, fig. « degré de séparation entre deux personnes » (G. de Coincy, Mir. Vierge, éd. V. F. Kœnig, II, chast 10, 778); av. 1558 « degré de séparation entre deux choses » (St Gelais,
Œuvres complètes, éd. P. Blanchemain, II, 58); 1844 garder sa distance (Balzac, Splend. et mis., p. 309); b) 1762 à quelque distance de (J.-J. Rousseau, Émile, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, p. 865); c) 1827 sp. (Mack. t. 1, p. 133); 1877 prendre sa distance (Zola, Assommoir, p. 533); 2. ca 1450 « écart (dans le temps) » (Mistere du viel Testament, éd. J. de Rothschild, VII, 4191, I, 159). Empr. au lat. class.distantia « distance, éloignement », fig. « différence »; à rapprocher de 1 c l'angl. distance, terme de sp. (turf) dep. 1674 (NED). Fréq. abs. littér. : 5 215. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 219, b) 8 533; xxes. : a) 4 269, b) 7 172. Bbg. Encyclop. Dir. par J.-P. Bouhot. Informatique (L'). 1973, no37, p. 61. Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 64. |