| DISPENSER, verbe trans. A.− Dispenser qqn de (faire) qqc. 1. DR. CIVIL et RELIG. [Le suj. désigne une autorité] a) Autoriser (quelqu'un) à ne pas faire quelque chose de prescrit par une loi, une règle; accorder une dispense (cf. ce mot C). Le maire peut dispenser des publications pour le mariage. Synon. exempter (de).En raison de l'extrême éloignement d'une de mes annexes, je suis dispensé du jeûne sacramentel le jour où je dois y célébrer la Sainte Messe (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1184).Couchez-vous, signez-vous, et dormez. Je vous dispense formellement de toute autre prière (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 2etabl., 2, p. 1609). SYNT. Dispenser de la communion publique, du ministère ordinaire, de la loi commune; on l'a dispensé du service militaire, de servir comme soldat. b) P. anal., spéc., DR. CANON, emploi abs., rare. Faire remise à quelqu'un de ce qu'il a fait contre les règles de l'Église. Le Pape seul peut dispenser en cas de simonie (Lar. Lang. fr.).Synon. absoudre, relever (d'une faute). 2. P. ext. [Le suj. désigne une pers.] a) Domaine du dr. ou de la coutume.Libérer, dégager (quelqu'un) d'une obligation. On l'a dispensé de s'astreindre à ce règlement; élève dispensé des épreuves orales d'un examen : 1. Pour me rendre la situation encore beaucoup plus agréable, on m'a dispensé des études... Je distrayais tout le monde en classe...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 287. SYNT. Le médecin major a dispensé cette recrue de corvée, de garde, de marche; être dispensé du deuil; être dispensé de quelque formalité, d'avoir à décliner son identité; dispenser un écolier de faire, de rendre des devoirs. − Spéc. Dispenser qqn d'un droit, d'une taxe. Synon. exonérer.Louis XI put rentrer dans Paris qu'il dispensa d'impôts pour être plus sûr de sa fidélité (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 128). b) Domaine gén.Tenir quitte de, ne pas exiger, ne pas imposer. Dispenser le lecteur des indications préliminaires : 2. ... je lui demandai [à Gobseck] (...) quel sentiment l'avait poussé à me faire payer de si énormes intérêts (...) − Mon fils, je t'ai dispensé de la reconnaissance en te donnant le droit de croire que tu ne me devais rien...
Balzac, Gobseck,1830, p. 420. − Au part. passé. Être (se croire) dispensé de... Se considérer comme déchargé de, ne pas se sentir obligé. Se croire dispensé d'agir, de réfléchir, de répondre à une lettre; se juger définitivement dispensé de toutes lectures, études sérieuses, de résoudre un problème; on n'est jamais dispensé d'être aimable. Un homme en proie à une grande maladie, ou à une angoisse profonde, est dispensé du même coup de toutes les autres maladies ou angoisses (Camus, Peste,1947, p. 1376). − P. euphém. Dispensez-moi (je vous dispense) de tout commentaire, de vos critiques et réflexions. Ne faites (je ne veux pas que vous fassiez) aucun commentaire. Synon. faire grâce (de), épargner.Schiller, (...) était sûr de rencontrer dans ses auditeurs assez de connaissances pour le dispenser de tout commentaire (Constant, Wallstein,1809, p. XVI). c) P. ext., littér. [Le suj. désigne une chose] Épargner, soustraire à quelqu'un l'obligation de. Le grand âge dispense d'aller à la guerre; aucun raisonnement ne dispense de l'expérience; sa fortune le dispense de travailler. Le dogme les dispense de penser, la providence d'oser, la raison de trembler (Mounier, Traité caract.,1946, p. 747): 3. L'abbé fit de nouveau un geste vague de la main, ce geste qui répondait à tout en le dispensant de s'expliquer plus nettement.
Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 931. SYNT. Un prétexte, une excuse qui dispense de faire qqc.; un état qui dispense de travailler. d) Emploi pronom. réfl. (cf. supra A 2 b, au part. passé). Se permettre de ne pas faire quelque chose. Se dispenser de tout effort, de travailler; il s'est dispensé d'aller à son bureau, à l'école. Synon. s'abstenir (de); anton. s'obliger (à), se forcer (à).− Vous pourriez vous dispenser d'ameuter le village, continua-t-il furieux (Bernanos, Crime,1935, p. 801): 4. Le plus souvent, dans le tête à tête, nous [lui et Amélie de Liviers] ne nous donnions pas de noms en causant... Devant le monde, l'accent était toujours là pour corriger ce que l'usage imposait de trop cérémonieux... Mais, seuls, nous nous gardions d'ordinaire, nous nous dispensions de tout nom...
Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 30. SYNT. Ne pouvoir se dispenser de juger; se dispenser de toute cérémonie; se dispenser de banalités; se dispenser des visites, des formalités d'usage; particuliers qui se dispensent de payer leurs dettes; se dispenser d'un acte pénible; ne pouvoir se dispenser de citer qqn; ne pouvoir se dispenser de se rendre à une soirée. B.− Dispenser qqc. à qqn 1. Distribuer (avec une idée de largesse, de générosité). Dispenser libéralement tout son temps à qqn; dispenser des trésors d'affection à un enfant; le sommeil qui dispense les bienfaits de l'oubli. Synon. répandre, prodiguer.L'heure de la récréation du soir, passée tout entière à l'avare lumière du préau dispensée par un unique bec de gaz (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1268): 5. ... je passe ma vie au milieu des architectes tunisiens et des artisans indigènes; je les vois distribuer partout l'air et la lumière dans les maisons, avec cette même habileté qu'ils déploient à dispenser l'eau dans les rigoles des jardins,...
Tharaud, La Fête arabe,1912, p. 82. 6. Elle [Mmed'Amoncourt] avait maintenant une situation à n'avoir pas à dispenser d'autres grâces que celles que sa présence répandait.
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 667. SYNT. Platanes qui dispensent une ombre remarquable; ruisseau dispensant le soir une fraîcheur dangereuse; yeux qui dispensent le bonheur et la tristesse; la sérénité que dispense la mort; fleurs qui dispensent leurs parfums; dispenser avec impartialité le blâme et la louange; dispenser la vie aux générations nouvelles; dispenser un enseignement à des étudiants. − Au part. passé. Rayonnement, chaleur dispensés par une présence. 2. Emploi pronom. passif. Être donné. Cet enseignement se dispense aux seuls spécialistes; les honneurs se dispensent qqf. au hasard. Mais donnons d'abord notre attention à l'éducation organisée, celle qui se dispense dogmatiquement dans les écoles (Valéry, Variété III,1936, p. 270). Rem. 1. On rencontre ds les principaux dict. du xixes. le sens spéc. en pharm. de « doser ». Dispenser les médicaments (cf. dispensaire, dispensation) déjà indiqué comme ,,vx`` par Littré. 2. On rencontre ds la docum. a) Le part. prés. et adj. dispensant, ante. Qui a le pouvoir, la faculté de donner dispense (v. ce mot A). De là [l'impossibilité de créer une loi sans exception] résulte dans toute législation la nécessité d'une puissance dispensante (J. de Maistre, Pape, 1819, p. 139). b) L'adj. dispensatoire. Qui dispense (supra B 1). Mon docteur médecin examinait les cas nouveaux avec un esprit nouveau. Il n'avait pas des formules toutes faites et dispensatoires [répond le malade au docteur] (Péguy, Grippe I, 1900, p. 11). Prononc. et Orth. : [dispɑ
̃se], (je) dispense [dispɑ
̃:s]. Étymol. et Hist. I. 1. 1283 « accorder une dispense » (Ph. de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 1636 : Se toute la verités du mesfet n'est contee a sainte Eglise et que l'apostoile vueille seur ce dispenser); 1544 dispenser de « autoriser quelqu'un à ne pas faire quelque chose qui est obligatoire » (Seyssel trad. d'Appien, Guerres civiles, III, 12 ds Hug.); p. ext. 1559 « (d'une chose − ici l'âge −) décharger quelqu'un d'une obligation » (Amyot, Marcell., 1 ds Littré); 1644 dispensez moi de... (Corneille, Rodogune, III, 1); 2. 1526 dispenser à « autoriser quelqu'un à faire quelque chose normalement interdit » (J. Bouchet, Epistres morales du Traverseur, I, 2 ds Hug.); 1541 se dispenser de « se permettre de » (Calv. Instit., 1001 ds Littré). II. 1. Av. 1340 « organiser, répartir l'emploi d'une chose » ma vie mal dispensee (Watriquet de Couvin, Dits, 113, 5 ds T.-L.); cf. 1534 il dispensoyt ... son temps (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, chap. 20); 2. xives. « distribuer, employer, utiliser » le vin dispenser (G. Le Muisit, Poésies, I, 166 ds T.-L.); en partic. 1541 [Dieu] dispense ses bénéfices envers les hommes (Calv., op. cit., 108 ds Littré); 3. 1690 pharm. (Fur.). Empr. au lat. class.dispensare « partager, distribuer; administrer, gouverner » lat. impérial « régler, employer », formé sur le supin dispensum de dispendere « distribuer » (dis et pendere « peser »), v. aussi dépense. Fréq. abs. littér. : 1 168. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 182, b) 1 381; xxes. : a) 1 286, b) 1 582. DÉR. Dispensable, adj.,rare. a) Pour lequel on peut accorder dispense (v. ce mot C). Cas (non) dispensable. b) Qui peut être évité; dont on peut se dispenser (supra A 2 d), se passer. L'occasion, toujours ajournable et même « dispensable », ne décide que du lieu, de l'heure et de la sorte (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 121).− [dispɑ
̃sabl̥]. − 1reattest. xives. [ms.] « qui comporte une dispense », chose dispensable (J. Goulain, Ration., Richel. 437, fo155 rods Gdf.); du rad. de dispenser, suff. -able*. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Barb. Infl. 1923, p. 11 (s.v. dispensatoire). − Gir. t. 2. Nouv. Rem. 1834, p. 31 − Lindström (A.). Dispensare. In : [Mél. Wahlund (K.)]. Mâcon, 1896, pp. 283-286. − Orr (J.). Le Fr. s'en passer. In : Essais d'étymol. de philol. fr. Paris, 1963, p. 132. |