| DEVANT1, prép. et adv. I.− Devant exprime l'antériorité spatiale. A.− Emploi prép. 1. En avant, en face de. a) [Le subst. déterm. désigne un animé] Pour divertir les messieurs, une servante jeta devant les poules des poignées d'avoine (Flaub., Bouvard,t. 1, 1880, p. 27): 1. Boule de suif et Cornudet, bien que près de la portière, descendirent les derniers, graves et hautains devant l'ennemi.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Boule de Suif, 1880, p. 130. b) [Le subst. déterm. désigne une chose] Debout devant le perron, trois ombres (...) nous attendaient (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, 1887, p. 746): 2. Sur les fonts baptismaux ce fut encore fort long, et puis il nous fallut faire station, Anne et moi, devant la grille du chœur, agenouillés comme deux nouveaux époux.
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 198. − P. ext.
α) En présence de. ♦ [Le compl. désigne un individu, un ensemble d'individus] À Paris, on méprisait devant elle les curés (Zola, Joie de Vivre,1884, p. 850): 3. pâris. − Voilà nos sénateurs! Tu as à choisir : ou tu embrasseras Hélène devant eux, ou c'est moi qui l'embrasse devant toi. Tu préfères que ce soit moi?
Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, II, 2, p. 98. ♦ [Le compl. désigne une chose concr.] Une tentation inexplicable de meurtre, devant ce cou blanc de fille (Zola, Germinal,1885, p. 1561): 4. Dès ce moment, elle n'eut pas un abandon, elle montra devant ce lit de mort, le calme résigné qu'elle avait eu, lorsque la mort la menaçait elle-même.
Zola, La Joie de vivre,1884, p. 968. [En parlant d'une institution, d'un corps jur.] Traîné devant les magistrats (France, Bonnard,1881, p. 485).Marcher devant témoins (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Cri alarme, 1886, p. 1060).Déposer devant la Cour d'Assises (Bourget, Disciple,1889, p. 55).Poursuivi devant les tribunaux (Renan, Avenir sc.,1890, p. 360).
β) Face à, au regard de. L'égalité devant la loi ne sera jamais qu'un mot à jeter aux foules (Peladan, Vice supr.,1884, p. 218): 5. ... je le dis comme critique pur, en me posant devant les révolutions du présent comme nous sommes devant les révolutions de Rome, par exemple, comme on sera dans cinq cents ans vis-à-vis des nôtres : l'insurrection triomphante est parfois un meilleur criterium du parti qui a raison que la majorité numérique.
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 344. ♦ Spéc. [En parlant de Dieu, d'un saint, de l'humanité] Criminel devant Dieu et les hommes (Vigny, Chatterton,1835, p. 237).Je jurerais, devant la Sainte Vierge, de t'épouser (Flaub., Bouvard,t. 2, 1880, p. 56).
γ) Du fait de, sous l'influence de quelque chose. Devant cet état de chose, devant de tels arguments. Je m'incline devant une contrariété, voilà tout (Villiers de l'I.-A., Corresp.,1880, p. 245).Devant des concours de circonstances (Renan, Souv. enf.,1883, p. 372). 2. [Gén. en constr. avec un verbe de mouvement] À l'avant de; dans la direction qui est en face d'un animé ou d'un inanimé. Filer droit devant soi, dans la nuit (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1268).Aller droit devant soi. Progresser en ligne droite, sans se détourner de sa route. Je marchai droit devant moi, dans la campagne noyée de vapeurs (Bourget, Disciple,1889, p. 200). − Au fig. : 6. Et c'était bien cela qu'elle voyait se dresser de nouveau, la marche en avant, irrésistible, la poussée sociale qui se rue au plus de bonheur possible, le besoin d'agir, d'aller devant soi, sans savoir au juste où l'on va, mais d'aller plus à l'aise, dans des conditions meilleures; ...
Zola, L'Argent,1891, p. 79. ♦ Avoir de l'argent devant soi. Posséder de l'argent en réserve. J'ai un peu d'argent devant moi (Loti, Pêch. Isl.,1886, p. 225). − P. anal. [Dans un temps spatialisé] Dans le futur, dans l'avenir. J'ai six feuilletons devant moi (...) de prêts (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1880, p. 285).Avoir devant soi de l'espace, du jour, du soleil (Zola, Bête hum.,1890, p. 210). ♦ Avoir du temps devant soi. Disposer d'un laps de temps pour réaliser quelque chose. Si j'avais eu quinze jours devant moi, je me serais très certainement fait aimer de vous (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1864, p. 70): 7. pâris. − Je ne sais pas si tu te rends très bien compte de la monstruosité que tu commets, en supposant qu'un homme a devant lui une nuit avec Hélène, et accepte d'y renoncer.
Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, I, 4, p. 35. − Loc. prépositives a) De devant. Du devant, d'en face de. Ôter l'Italien de devant les yeux (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 179).De devant la porte, Panturle appelle la chèvre (Giono, Regain,1930, p. 46). b) Par devant qqc., qqn
α) Sur le devant d'une chose, d'un animé. Une grotte haute et profonde par devant laquelle tombe une épaisse brassée de lianes vertes à fleurs roses (Claudel, Soulier,1944, 1repart., 2ejournée, 8, p. 1020).
β) P. ext. En présence de. Par devant notaire (Stendhal, L. Leuwen,t. 2, 1836, p. 286).Par devant notre Sainte Mère l'Église! (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 199). B.− Emploi adv. 1. En avant; du côté de la face antérieure a) [d'un inanimé abstr. ou concr.] Six zéros, c'est néant, mettez un devant, vous avez un million (Péladan, Vice supr.,1884, p. 181).L'auto repartit. Manuel devant, Ramos derrière, serrant sur son ventre un paquet de grenades (Malraux, Espoir,1937, p. 443). b) [d'un animé :] 8. Les deux bêtes vont d'un pas lent dans les descentes et les montées rapides, tirant ou retenant la charge énorme. Un homme marche devant et règle leurs pas avec une longue baguette dont il les touche par moments. Jamais il ne frappe.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Malades et médecins, 1884, p. 1295. ♦ Fam. Partir, sortir les pieds devant. Partir, sortir mort, réduit à l'état de cadavre : 9. ... quand le collectivisme sera établi sur le monde, il y aura beau temps que je serai sorti de ma soupente les pieds devant...
France, Monsieur Bergeret à Paris,1901, p. 93. ♦ MAR. Être vent devant. ,,Se dit d'un navire qui est debout au vent, qui reçoit le vent sur ses voiles en le prenant de devant`` (Littré; attesté également ds DG et Rob.). Synon. usuel être vent debout*. 2. Sur le devant. Vêtement déchiré devant (Lar. Lang. fr.) : 10. La charmante fille était cousue dans un sac, avec un trou devant, grillé par un filet! C'était l'habitude de la maison, qui était l'hôtel Chateaubriand :...
Goncourt, Journal,1882, p. 203. − Loc. adv. a) Par devant
α) [Sans idée de mouvement] Devant, sur le devant. Les deux hommes par devant, sur la banquette (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Boitelle, 1889, p. 276).Le corsage noir, boutonné par devant (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 17).
β) [Avec une idée de mouvement] Vers l'avant : 11. Quand il est impossible de s'échapper ni par derrière, ni par la droite, ni par la gauche, il ne reste plus qu'un parti, c'est de se sauver par devant, et, s'il y a quelqu'un qui vous barre le chemin, on tâche de passer par-dessus lui; on le tue.
Renan, Drames philos.,Append. Abbesse Jouarre, 1888, p. 580. b) Rare. [Par déformation de c'en devant derrière] Sens devant derrière. Dans une position telle que ce qui se trouve derrière devrait être devant et inversement; dans un très grand désordre. Nos corsages mis sens devant derrière (Sand, Hist. vie,t. 3, 1855, p. 237).On comprend le langage des singes et que l'on met ses idées sens devant derrière (Alain, Propos,1936, p. 1301). II.− Vx. [Devant exprime l'antériorité temporelle] A.− Emploi prép. − Poét. Devant l'été des ans j'en ai touché l'hiver (Moréas, Sylves,1896, p. 181). − Vx, région. Je l'ai rencontrée [Fadette] devant z'hier, et au lieu qu'elle se mettait toujours derrière moi à contrefaire ma boiterie, elle m'a dit bonjour (Sand, Pte Fad.,1849, p. 210).Deux bonnes heures ed'vant la visite (Courteline, Train 8 h 47,1888, 1repart., p. 9). − Loc. prép. De devant qqc. D'avant quelque chose. Le vent de devant la nuit courbe les herbes (Giono, Colline,1929, p. 58). B.− Emploi adv. Avant, auparavant : 12. Elle appela la servante qui se montra plus empressée et plus effarée que devant et qui disparut sur l'ordre d'avertir Mademoiselle Alexandre que M. Sylvestre Bonnard, membre de l'Institut, l'attendait au parloir.
France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 409. − Comme devant [en partic., p. réf. à un vers de La Laitière et le pot au lait (La Fontaine, Fables VII, 10)] Etre Gros-Jean comme devant. Être au même point qu'avant : 13. Ce qu'il y a de sûr, c'est que ce Dieu nouveau se réveillera un jour, après la fête, sur son autel, pauvre, nu, pleurant, gémissant, et Gros-Jean comme devant.
Quinet, Allem. Ital.,1836, p. 129. 14. Quand l'espèce de vision fut partie, dans la grande chambre nue et envahie d'ombre où ma grand'mère chantait, je me retrouvai, comme devant, un tout petit être n'ayant encore rien vu du vaste monde, ayant peur sans savoir de quoi, et ne comprenant même plus bien comment l'envie de pleurer lui était venue.
Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 41. Rem. P. allus. à ce modèle, on trouve de nombreuses var. qui suggèrent l'inanité des efforts qu'un personnage a déployés pour se retrouver tel qu'il était. Et me voilà rimeur comme devant (Sainte-Beuve, Poés., 1829, p. 82). Toujours aussi Jean-des-Figues que devant (Arène, J. des Figues, 1870, p. 61). − Loc. conj. 1. Devant que de + inf.Avant de : 15. Donc, devant que de quitter la pension Keller pour rentrer à l'école Alsacienne, je cherchai quelque moyen subtil de marquer à M. Jacob le souvenir ému que je gardais de ses bons soins.
Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 496. 2. Devant que + subj. Avant que : 16. Se fiant par surcroît au sauf-conduit royal,
Il est venu, devant que la chose soit faite,
Se mettre entre les mains d'un chevalier loyal.
Leconte de Lisle, Poèmes tragiques,Les Inquiétudes de Simuel, 1886, p. 156. Prononc. et Orth. : [d(ə)vɑ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Homon. devant du verbe devoir. Étymol. et Hist. I. Adv. 1. (temporel) xes. de avant « auparavant » (Sermon sur Jonas, 37 ds Bartsch Chrestomathie, p. 6); ca 1176 devant (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 4757), demeuré dans certains dial. et dans l'expr. être/rester Gros Jean comme devant (1678, La Fontaine, Fables, VII, 10 ds
Œuvres, éd. H. Régnier, t. 10, p. 154); 2. (spatial) ca 1050 (St Alexis, éd. Chr. Storey, 357); ca 1176 par devant (Chr. de Troyes, op. cit., 4549). II. Prép. 1. a) fin xes. davant « du même côté que le visage d'une personne, que le côté visible d'une chose » (Saint Léger, 41 ds Bartsch Chrestomathie, p. 10) − 1552, Baïf ds Hug.; b) ca 1050 devant (St Alexis, 361); 1177-81 par devant (Chrétien de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 5183); 1181-90 devant que (+ subj.) « avant que » (Id., Perceval, éd. F. Lecoy, 7806), rare dep. le xviiies.; ca 1460 devant que (+ inf.) « avant de » (G. Chastellain, Chronique ds
Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 1, p. 30), rare dep. le xviies.; 1580 devant que de (+ inf.) « id. » (Montaigne, Essais, II, 8, éd. A. Thibaudet, p. 429); 2. début xiies. devant « en présence de » (Roland, éd. J. Bédier, 900); ca 1174 par devant (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 1558). Composé de de* et de avant*; les formes en de- sont apparues de bonne heure à côté de celles qui commençaient par da-, peut-être sous l'infl. de dessous, dessus, cf. Bourc.-Bourc., 88, IV et Fouché t. 2, p. 425. |