| DÉTRÔNER, verbe trans. A.− [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Destituer de la royauté. Guillaume Le Conquérant avait détrôné Harold; la maison de Lancastre, à son tour, renversa Richard II (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 2, 1817, p. 284).[Des poètes du début du XIXes.] se donnaient volontiers les allures de Prométhées appelés à détrôner des dieux jaloux (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 14). B.− Au fig. Faire cesser la prééminence, le pouvoir de quelqu'un ou de quelque chose. 1. [Le verbe est suivi d'un compl. d'obj. dir.] a) [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers., un ensemble de pers.] Le voilà [Eugène Sue] le romancier en vogue; il a détrôné Balzac, il est lu partout (Sainte-Beuve, Portr. contemp.,t. 3, 1846-69, p. 87): 1. Les églises et la foi ont vraiment fait trop de mal! ... (...) Il faut détrôner les églises! Déjouer leurs ruses! Arracher l'homme à leur envoûtement! ...
Martin du Gard, Notes sur André Gide,1951, p. 1422. b) [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Il faut admirer comment l'invention du ton et du mode sauvèrent la musique instrumentale, lorsque le chant fut détrôné (AlainBeaux-Arts,1920, p. 122).Le seul emploi [pour la cuisson des œufs] où l'horlogerie mécanique... n'ait pas détrôné le sablier vénérable... (Arnoux, Visite Mathus.,1961, p. 16). 2. [Le verbe est suivi en outre d'un compl. d'obj. second. ou d'un compl. circ. complétant l'obj. premier, pers. ou chose] a) [Le compl. d'obj. second. indique le lieu (parfois au fig.) qui constituait la prééminence, le pouvoir auquel il est mis fin] J'ai eu deux chambres à l'auberge de Vitré. La première vaste comme une place d'armes... Cette chambre-là, le préfet m'en a détrôné (Nerval, Nouv. et fantais.,1855, pp. 157-158). b) [Le compl. circ. indique d'où s'exerce la prééminence, où réside le pouvoir auquel il est mis fin] Comment, (...) tu me détrônerais de ton cœur! (Balzac, Ferragus,1833, p. 75).Quel Dieu avait mis en vous cette indomptable puissance, que la mort seule à pu détrôner de votre âme? (Sand, Lélia,1833, p. 95): 2. ... il s'est produit un changement historique à partir du moment où Hegel et Marx ont détrôné dans les admirations de la jeunesse des écoles Rimbaud et Lautréamont.
Nizan, La Conspiration,1938, p. 46. 3. ... une science d'avenir, encore méconnue, un « psychologisme historique », qui ne détrônerait pas le matérialisme historique du plan qu'il a légitimement conquis, mais regagnerait sur lui des perspectives complémentaires de l'explication, ...
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 574. Rem. 1. On rencontre ds la docum. des ex. du part. passé adj. a) Cf. supra A. Un souverain fera plutôt épouser à son fils la fille d'un roi détrôné que d'un président de la république en fonctions (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 704). Marie Leczinska, fille du roi détrôné de Pologne (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 276). Emploi subst. Gustave-Adolphe, le détrôné et le banni (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 138). b) Cf. supra B. La crainte du ridicule qui s'attache toujours aux amants détrônés (Balzac, Paix mén., 1830, p. 323). 2. On rencontre ds la docum. le subst. fém. détronation. Action de détrôner (cf. Arnoux, Algorithme, 1948, p. 296). Prononc. et Orth. : [detʀone], (je) détrône [detʀo:n]. Ds Ac. 1694-1740 sous l'anc. forme dethroner; ds Ac. 1762-1932 sous la forme moderne. Enq. : /detʀon, D/ (il) détrône. Étymol. et Hist. 1602 dethroner « chasser du trône » (Du Bartas, 1resem., 2ej., 751 ds Gdf. Compl.); 1775 fig. détrôner « enlever la prééminence » (Gilbert, XVIIIesiècle ds Littré). Dér. de trône*; préf. dé-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 211. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 576, b) 285; xxes. : a) 190, b) 135. Détrônement, subst. masc.Action de détrôner (correspond à détrôner A). De respect pour l'autorité, il n'y en a guère [au XIVes.]. L'Angleterre donne l'exemple des détrônements et du régicide, des sujets de tragédie pour Shakespeare (Bainville,Hist. Fr.,t. 1, 1924,p. 107).− [detʀonmɑ
̃]. Ds Ac. 1878 et 1932. − 1reattest. 1731 (Volt., Charles XII, 2 ds Littré); du rad. de détrôner; suff. -(e)ment1*. − Fréq. abs. littér. : 7. |