| DÉSOLATION, subst. fém. A.− 1. Action de vider un lieu, un pays en le ravageant; résultat de cette action, état de ce lieu ravagé, détruit. Depuis vingt ans tu portes le deuil et la désolation (Guilbert de Pixer., Victor,1798, III, 8, p. 47): 1. ... on accumule dans un roman les accidents les plus funestes, des inondations, des naufrages, des incendies, la ruine et la désolation qui accompagnent ces grands désastres, et le désespoir qui les suit...
Marmontel, Essai sur les romans,1799, p. 321. ♦ Expr. biblique. [P. allus. aux anges qui, aux chap. VIII, IX et XV de l'Apocalypse, sont chargés d'exécuter le jugement de Dieu sur les méchants et la terre qu'ils habitent] Les anges de la désolation (Barrès, Colline insp.,1913, p. 299). − P. ext. [En parlant d'un lieu quelconque] C'est une désolation, c'est un spectacle de désolation : 2. L'ingénieur et Nab arrivèrent sur le plateau. C'était une désolation. Les champs avaient été piétinés. Les épis de la moisson, qui allait être faite, gisaient sur le sol. Les autres plantations n'avaient pas moins souffert. Le potager était bouleversé.
Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 506. − P. méton. Lieu frappé de désolation. Ces troncs que l'on voit parmi la désolation d'alentour (Gide, Retour Tchad,1928, p. 975). 2. [En parlant d'une étendue de pays] État d'un lieu inhabité, désert, dépourvu de verdure (d'où profondément triste). La désolation lunaire (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1910, p. 231).La grande lande, ce pays de désolation (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 126): 3. Madrid est, comme Rome, entourée d'une campagne déserte, d'une aridité, d'une sécheresse et d'une désolation dont rien ne peut donner l'idée...
Gautier, Tra los montes,Voyage en Espagne, 1843, p. 70. − P. ext. [En parlant d'un lieu quelconque] :
4. En suivant la rue Riquet, il [Martin] débouchait sur des paysages de gazomètres, de voies ferrées et des gares de marchandises, qui avaient, dans leur désolation, un déroulement d'infini.
Aymé, Derrière chez Martin,1938, p. 97. − P. méton. Lieu désert : 5. ... j'ai cru aimer le musée du Trocadéro, les marais d'Aigues-Mortes, de Ravenne, (...) mais à toutes ces fameuses désolations, je préfère maintenant le moindre cimetière lorrain où devant moi s'étale ma conscience profonde.
Barrès, Mes cahiers,t. 9, 1912, p. 307. 3. P. ext. Calamité. − [P. réf. à l'expr. biblique (Daniel, XI, 31; Matth., XXIV, 15)] L'abomination de la désolation (cf. abomination). La pire des calamités : 6. Le poëte [V. Hugo] était présenté comme un Antechrist littéraire, qui apportait dans les lettres françaises l'abomination de la désolation.
Zola, Nos auteurs dramatiques,1881, p. 71. − Fam. C'est la désolation des désolations. Le troupier sans guerre, c'est la désolation des désolations; c'est un médecin sans épidémies (Borel, Champavert,1833, p. 214).C'est une (la) désolation (cf. Romains, Knock,1923, II, 4, p. 12). ♦ [En interj.] Horreur! désolation! triple enfer sur vous! (Flaub., Tentation,1849, p. 254). B.− Au fig. 1. [En parlant d'une pers., de son âme, de son cœur] État d'une personne qui se découvre seule, perdue, à qui il manque quelqu'un ou quelque chose (notamment un signe de Dieu). On n'a pas su ce que c'est que la désolation du cœur, quand on n'est point demeuré seul à errer dans les lieux naguère habités d'une personne qui avait agréé votre vie (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 120): 7. ... Condren n'avancera plus (...) que par le chemin de « la foi nue », parmi les sécheresses, les terreurs, les doutes, les ténèbres, la désolation infinie qu'entraîne le silence et la « retraite de Dieu ».
Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France,t. 3, 1921, p. 311. 2. Peine extrême, douloureuse affliction (provoquée par un événement malheureux, souvent la perte de quelqu'un) : 8. Je viens, mon cher Hippolyte, me jeter dans vos bras et pleurer sur votre sein, et fondre ma désolation dans la vôtre. Vous entretenir de ma douleur, de mes larmes...
M. de Guérin, Correspondance,1835, p. 191. − P. méton. Lamentation. Il (...) put sangloter hors de sa vue, en une désolation courte et emportée (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 358). 3. P. exagér. Un pommier couvert de ces pucerons lanigères, qui font la désolation des jardiniers et la joie des fourmis (Michelet, Insecte,1857, p. 278). − P. méton. [Désigne une chose concr. ou abstr., ou une pers.] Ce qui est cause d'une grande contrariété. Être la désolation de qqn; être une désolation (pour qqn) : 9. ... l'empereur laissait beaucoup à faire aux scribes; il était leur désolation; son écriture composait de véritables hiéroglyphes; elle était illisible souvent pour lui-même.
Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 148. Rem. On rencontre ds la docum. désolement, subst. masc. Synon. de désolation. Et par là vous savez que tout homme retourne Dans le désolement d'une éternelle nuit (Péguy, Ève, 1913, p. 734). Prononc. et Orth. : [dezɔlasjɔ
̃]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. « action de dépeupler, de ravager » (Dialogue Gregoire, 241, 3 ds T.-L.); 2. ca 1330 « affliction » (Girart de Rossillon, 116 ds T.-L.). Empr. au b. lat.desolatio « désolation, destruction ». Fréq. abs. littér. : 688. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 827, b) 1 323; xxes. : a) 1 314, b) 718. Bbg. Martin (E.). Que signifie l'expr. l'abomination de la désolation. Courrier (Le) de Vaugelas. 1869, t. 2, no1, p. 1. |