| DÉPÊCHER, verbe trans. A.− Accomplir une tâche avec rapidité ou précipitation afin d'en finir ou de s'en débarrasser (cf. expédier). Dépêcher un travail : 1. D'un geste précis, en femme qui a l'habitude de dépêcher la besogne pour aller travailler à l'usine, madame Julien s'empara du bagage de Pauline, le porta dans la chambre et sortit aussitôt.
Chardonne, Les Destinées sentimentales,Porcelaine de Limoges, 1936, p. 24. − P. ext. et souvent fam. Faire vite quelque chose. Dépêcher un discours; un écolier qui dépêche ses devoirs; dépêcher ses prières, son chapelet, dépêcher une messe. Enfin s'il dort..., il dort vite, dépêchant son sommeil comme il dépêche sa vie (Balzac,
Œuvres div.,t. 2, 1850, p. 223). ♦ Dépêcher son repas. Manger vite. − P. anal. Dépêcher qqn.L'abbé Fulcran, assis sur la planchette du confessionnal, dépêchait ses dévotes, accourues en grand nombre aux approches de l'Assomption (Fabre, Norine,1889, p. 187). ♦ [En parlant d'un mauvais médecin dont beaucoup de clients meurent ou sont morts] Il en a beaucoup dépêché (Ac.1835-78).Je regrette bien de n'être pas médecin comme le Docteur Bretonneau, j'irais de ce pas en Perse ou en Chine et je vivrais tant que j'aurais des malades à dépêcher (Mérimée, Lettres ctesse de Boigne,1870, p. 6). − Expr. fig. et fam. Travailler à dépêche compagnon. Travailler négligemment et trop vite. C'est un ouvrage fait à dépêche compagnon (Ac.1835-78).Se battre à dépêche compagnon. Se battre sans quartier pour dépêcher l'adversaire dans l'autre monde. Patientez un peu, repartit Charette, nous y entrerons ensemble. C'est l'affaire de quelques jours. Nous nous battrons à dépêche-compagnon et la ville sera prise en deux jours (Morand, P. de Saligny,1947, p. 166). − Cour., emploi pronom. Se dépêcher de + inf., vers qqc.Synon. se hâter.[Je] me suis dépêché vers l'antichambre (Gide, Journal,1912, p. 385): 2. ... mes jours s'écoulaient, et j'étais effrayé de leur vitesse, et je me disais : − dépêche-toi donc d'être heureux! Encore un jour, et tu ne pourras plus être aimé.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4, 1848, p. 796. ♦ Emploi abs. Les canonniers, devant nous, se dépêchaient comme des forcenés (Erckm.-Chat., Conscrit 1813,1864, p. 127). ♦ P. ell., fam. − Monseigneur, sa majesté, ou camarade. Appelle-moi comme tu voudras. Mais dépêche. Qu'as-tu à dire pour ta défense? (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 102). B.− Dépêcher qqn à, auprès de, vers qqn. 1. Envoyer à quelqu'un. Dépêcher un courrier, un émissaire. Antonio fut dépêché en courrier à la brodeuse du portrait (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 369): 3. Dare-dare, il dépêche vers le navire qu'il présume contaminé la barque du pilote et quelques hommes, avec l'ordre pour le Grand-Saint-Antoine d'avoir à virer de bord tout de suite, et de faire force de voiles hors de la ville, sous peine d'être coulé à coups de canon. La guerre contre la peste.
Artaud, Le Théâtre et son double,1938, p. 20. − Emploi abs. On a dépêché à Rome (Ac.1835-78). 2. Péj. fam. Dépêcher qqn dans l'autre monde; dépêcher un adversaire. En finir avec quelqu'un en le tuant. Il eût préféré dépêcher son rival lui-même, sans la supériorité de Sigognac à l'escrime (Gautier, Fracasse,1863, p. 353). Rem. On rencontre ds la docum. le subst. masc. dépêchement, rare et vieilli. Action d'envoyer une dépêche; action de dépêcher quelque chose ou quelqu'un; spéc. synon. de envoi à la mort. Des hommes d'un grand nom ou d'un haut rang scientifique, ne craignirent pas de louer le dépêchement du prince (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 173; cf. également Rheims 1969). Prononc. et Orth. : [depε
ʃe] ou p. harmonisation vocalique [depeʃe]; (je) dépêche [depε
ʃ]. Enq. : /depeʃ/ (il) dépêche. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. depescher; ds Ac. 1740-1932 sous la forme mod. Étymol. et Hist. 1. 1erquart du xiiies. pronom. « se délivrer, se libérer (de quelque chose) » (Reclus de Molliens, Miserere, 29, 6 ds T.-L.); 1225 trans. (Grand reg. de l'hostel de ville de Douai, N, fo5 ro, Arch. mun. Douai ds Gdf.); 2. ca 1462 « se débarrasser de quelqu'un en le tuant » (Cent Nouvelles Nouvelles, éd. Fr. P. Sweetser, 75, 94 : luy bouter la hart au col pour le despescher); Ac. 1835 note ce sens comme fam.; 3. ca 1490 « en finir rapidement (avec quelque chose ou quelqu'un) » (Recueil de farces fr. inédites du XVes., éd. G. Cohen, p. 27 : Il despecheoit tout à deulx motz); ca 1490 pronom. « se hâter » (ibid., p. 202); 4. fin xves. « envoyer quelqu'un (ici des ambassadeurs) en toute diligence » (Ph. de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 1, p. 102); 5. 1681 [éd.] « envoyer des dépêches » (Vaugel., Q.C., 395 ds Littré). Formé comme anton. de empêcher*; préf. dé-*. Fréq. abs. littér. : 1 229. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 190, b) 2 523; xxes. : a) 2 176, b) 1 547. DÉR. Dépêcheur, euse, subst.,peu usité. Celui, celle qui fait rapidement quelque chose. L'homme de sport, (...) grand dépêcheur de bouteilles (L. Daudet, Idées esthét.,1939, p. 183).Fam. [P. allus. littér. à l'expr. créée par Rabelais] . Un beau dépêcheur d'heures. Moine qui dit ses prières avec hâte et sans dévotion. Ce moine, jeune, galant, aventureux, « bien fendu de gueule, bien avantagé en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes, beau décroteur de vigiles » (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 272).− 1resattest. 1534 « celui qui expédie à la hâte une besogne » depescheur d'heures (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, chap. 25, p. 168), repris au xixes. 1838 (Ac. Compl. 1842); du rad. de dépêcher, suff. -eur2*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Landin (E.). Ét. sur les constr. de certains verbes exprimant la prière, la hâte et la nécessité en fr. (Thèse. Uppsala. 1938). − Quem. 2es. t. 2 1971 (s.v. dépêchement). |