| CROSSE, subst. fém. I.− Élément dont l'extrémité est recourbée. A.− Long bâton, dont l'extrémité supérieure est recourbée en volute, qui est le signe de la dignité abbatiale et épiscopale. Crosse abbatiale, d'abbé, d'évêque; crosse d'argent. La dépravation des deux puissances ecclésiastiques et séculière est moins périlleuse (...) que leur confusion. La crosse et l'épée se sont unies dans des mains violentes (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 117).Quatre évêques disent des prières. Ils sont vêtus somptueusement; mitres et chapes richement brodées. Chacun d'eux a sa crosse (Green, Journal,1930, p. 29).Mitre en tête et crosse en main (Billy, Introïbo,1939, p. 155): 1. Le bon abbé de San-Lucar, paré des habits pontificaux, ayant sa mitre enrichie de pierres précieuses, son rochet, sa crosse d'or, siégeait, roi du chœur, sur un fauteuil d'un luxe impérial au milieu de tout son clergé, composé d'impassibles vieillards...
Balzac, L'Élixir de longue vie,1830, p. 393. ♦ HÉRALD. Bâton d'or ou d'argent, recourbé et fleuronné par le haut et dans la partie courbe, qui est un ornement ou, plus rarement, un meuble de l'écu d'un évêque, d'un abbé ou d'une abbesse. La grille au-dessus de laquelle les armes, la crosse, le chapeau et la devise étaient sculptés (Billy, Introïbo,1939p. 179). − P. compar. ou p. métaph., au fig. Nez, favoris en crosse. Des sursauts, bien sûr, elle [la vipère] en avait (...) d'abord en spirale, puis en crosse d'évêque, puis en point d'interrogation (H. Bazin, Vipère,1948, p. 9). ♦ Spéc. [En parlant de certaines parties de plantes, en partic. lorsqu'il s'agit de fougères] Feuille en crosse. Les fougères sèches jonchaient le sol que perçaient les nouvelles crosses, d'un vert acide (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 193). B.− P. ext. 1. Bâton recourbé avec lequel on pousse une balle dans certains jeux. Crosse de cricket, de hockey. Synon. canne (cf. ce mot B 2 b).De beaux bagages fatigués, carton à chapeaux, crosses de golf, raquettes (Mauriac, Asmodée,1938, I, 6, p. 43).Les paysans (...) trouvent leur amusement favori à « chouler », c'est-à-dire à pousser une boule de bois, à coups de crosse ou de maillet, dans le camp d'un adversaire (Faral, Vie temps St Louis,1942, p. 205). − P. méton. ♦ Vx (France, Canada). Jeu où les joueurs, divisés en deux équipes, cherchent à envoyer, à l'aide d'une crosse (supra I B 1), une balle dans les buts du camp adverse. Crosse canadienne; jeu de la crosse; jouer à la crosse. Synon. cricket.Au milieu de sa besogne, il [Zacharie] était resté sur le dos, les yeux vagues, rêvassant aux parties de crosse qu'il avait faites la veille (Zola, Germinal,1885, p. 1175). Rem. Dans le jeu de la crosse canadienne la concavité de la crosse est munie d'un filet, en cuir, qui permet de rattraper la balle à la volée. Attesté ds Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, Bél. 1957. ♦ [Avec une épithète] Le joueur lui-même. Quelques-unes des plus fameuses « crosses » du Canada joueront cet hiver à Paris (L'Auto,12 sept. 1933, p. 5 ds Grubb, Fr. sp. neol., 1937, p. 30). 2. Vx et région. (Suisse, Savoie, Midi). Bâton, dont l'extrémité supérieure est recourbée et sur lequel s'appuient, pour marcher, les infirmes. Marcher avec des crosses. Synon. béquilles.Les estropiés qui se balancent entre leurs crosses de frêne (Pourrat, Gaspard,1930, p. 58). 3. Bâton allongé et bifurqué qui sert à fixer les claies d'un parc à moutons. Dans le parc, au milieu des claies mobiles, que fixaient les bâtons des crosses, enfoncés en terre, les moutons, vautrés, respiraient d'une haleine courte et pénible (Zola, Terre,1887, p. 290). II.− P. méton. Partie d'un élément présentant une certaine courbure. A.− [En parlant d'obj. fabriqués] 1. Usuel. Crosse de canne. Mmede Cambremer tenait à la main, avec la crosse d'une ombrelle, plusieurs sacs brodés (Proust, Sodome,1922, p. 808). 2. MUS. [Dans un instrument à cordes] Partie recourbée du manche qui porte les chevilles. Crosse de luth, de viole, de violon, La tête ou crosse [du luth] était légèrement renversée et était munie de chevilles qu'on tournait pour tendre plus ou moins les cordes (Rougnon1935, p. 379). 3. TECHNOL. Crosse de piston. Extrémité de la tige du piston, guidée par deux glissières, qui s'articule avec la tête de la bielle-motrice. Lorsque le mécanisme de distribution est disposé pour la marche avant, la crosse du piston exerce sur la glissière supérieure (...) un effort dirigé de bas en haut (Herdner, Constr. et conduite locomot.,1887, p. 53). 4. Domaine des armes à feu a) Partie postérieure recourbée du pistolet, qui sert à le tenir à la main. Crosse de pistolet. Il allait, la main dans la poche de son veston, serrant la crosse d'un revolver (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 187).J'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse (Camus, Étranger,1942, p. 1166). b) P. ext. Partie postérieure d'une autre arme à feu portative, située à l'arrière du canon, et qui sert soit à l'appuyer à l'épaule (fusil, fusil-mitrailleur) soit à le tenir entre le bras et le côté (pistolet-mitrailleur) : 2. Des sentinelles marchaient le long des caisses (...) toutes les deux heures elles devaient (...) les obliger [les Algériens arrêtés] à faire dépasser leurs mains. La plupart des factionnaires, fâchés d'être obligés de couper leur sommeil pour garder ces « sales boukaks », en profitent pour frapper les doigts crispés d'un coup de la crosse métallique de leur Mas 36.
Leuliette, Saint-Michel et le Dragon,Paris, éd. de Minuit, 1961, p. 311. SYNT. Crosse de fusil-mitrailleur, de pistolet-mitrailleur; crosse à l'épaule, à la main, au poing; battant de crosse; recevoir un coup de crosse dans la figure, les reins; assommer, battre, défoncer, enfoncer, frapper, refouler à coups de crosse. − Loc. Lever, mettre la crosse en l'air. Signe de révolte de la troupe vis-à-vis des officiers, et du refus de combattre en temps de guerre. Paix entre nous (...) Appliquons la grève aux armées Crosse en l'air rompons les rangs (L'Internationale (E. Pottier), 1871). c) Vx. Partie du canon contre laquelle s'appuie l'épaule du pointeur lorsqu'il donne la direction à la pièce. Bêche de crosse; crosse d'affût. Ce canon [canon Hotchkiss à tir rapide de 75 mm], est le plus lourd de ceux qui sont disposés pour être pointés et tirés à la crosse (Ledieu, Cadiat, Nouv. matér. nav.,1899, p. 203).Lunette de crosse. Évidement circulaire pratiqué dans le bout de crosse d'un affût pour permettre de l'accrocher à son avant-train. L'arrière-train [d'un caisson de 75] est réuni à l'avant-train, par une lunette de crosse s'engageant dans un crochet-cheville-arrière (Alvin, Artill., Matér., 1908, p. 237). B.− P. anal., MÉD. Courbure des vaisseaux sanguins et des troncs lymphatiques. − Crosse aortique, de l'aorte. Premier segment de l'aorte dont la courbure, concave vers le bas, contourne le pédicule pulmonaire gauche et qui comprend l'aorte ascendante et l'arc de l'aorte. Dans son ensemble, sa forme est exactement comparable à une crosse d'évêque (...) Cette partie initiale supérieure est la seule qui soit comprise comme crosse de l'aorte (Gérard, Anat. hum.,1912, p. 253). ♦ Crosse de l'azygos. Portion terminale de la grande veine azygos qui contourne le pédicule pulmonaire droit à hauteur de la quatrième vertèbre dorsale. Elle [l'azygos] s'infléchit d'arrière en avant, enjambe la bronche droite − crosse de l'azygos − et s'abouche dans la face postérieure de la veine cave supérieure (Gérard, Anat. hum.,1912p. 283). SYNT. Crosse de l'artère coronaire-stomachique, épigastrique, utérine; crosse de la saphène externe, interne; crosse de la veine céphalique; crosse du canal thoracique; syndrome de la crosse aortique. Prononc. et Orth. : [kʀ
ɔs]. o se conserve [ɔ] ouvert et bref parce que -ss- correspond à un anc. c : croce (cf. Buben 1935, § 53). Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1160 « bâton pastoral » (Roland, éd. J. Bédier, 1509); 2. 1160-85 « sorte de béquille recourbée » (Philomena, 350 ds T.-L.); 3. 1381 terme de jeux (ds Du Cange, s.v. crossare); 1616-20 « extrémité recourbée du bois d'un mousqueton » (D'aubigné, Hist., I, 288 ds Littré); 4. av. 1752 crosse de l'aorte ([Joseph-Guichard] Du Verney ds Trév. 1752). Issu, de même que ses corresp. ital. et esp. (REW3, no4785), du germ. *krukja « bâton à extrémité recourbée » que l'on peut déduire de l'a. h. all. krucka, a. saxon krukka, m. néerl. crucke (Kluge20, s.v. Krücke). Fréq. abs. littér. : 431. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 488, b) 762; xxes. : a) 763, b) 548. Bbg. Bruch 1913, p. 138. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 154. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 89, 226; Lang. par. 1920, p. 286. |