| CRITIQUER, verbe trans. A.− [La critique est un examen raisonné, objectif, qui s'attache à relever les qualités et les défauts et donne lieu à un jugement de valeur] 1. Emploi abs. Exercer son intelligence à démêler le vrai du faux, le bon du mauvais, le juste de l'injuste en vue d'estimer la valeur de l'être ou de la chose qu'on soumet à cet examen. Besoin, droit de critiquer; enclin à critiquer. Critiquer, c'est se poser en spectateur et en juge au milieu de la variété des choses (Renan, Avenir sc.,1890, p. 145).À côté de moi qui travaille, il y a trop souvent un autre moi qui examine, raisonne, critique (Léautaud, Journal littér.,t. 1, 1893-1906, p. 17): 1. On ne saurait l'appeler [Charles Du Bos] un critique, si critiquer c'est juger et classer. Ou du moins n'agissait-il en critique qu'au départ, dans le partage qu'il établissait entre les écrivains dignes de son attention et ceux auxquels il refusait l'existence.
Mauriac, Journal 3,1940, p. 265. SYNT. Analyser, apprécier, commenter, examiner, surveiller et critiquer; critiquer cruellement, doctement, durement, expérimentalement, justement, librement, méticuleusement, pertinemment, sainement, savamment, scientifiquement, sérieusement, sévèrement, systématiquement, timidement, victorieusement, violemment, vivement; critiquer à bon droit, à juste titre, pour critiquer, pour le plaisir, sans motif valable; oser critiquer; s'amuser à critiquer; s'abstenir de critiquer; pour le plaisir de critiquer; les esprits chagrins qui critiquent. 2. [L'obj. désigne une pers. ou une chose] a) Porter un jugement motivé sur quelqu'un ou sur quelque chose. Comment critiquer un vrai poète? (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1905, p. 130).L'on ne peut critiquer sainement que ce que l'on a d'abord bien compris (Gide, Journal,1929, p. 917). b) En partic. Soumettre une chose à un examen méthodique en vue de l'estimer à sa juste valeur; la juger d'après des critères appropriés qui varient selon les domaines. − Domaine de la pensée.Faire la part de la vérité et de l'erreur à propos d'une production abstraite de l'esprit. Une conception de la durée et de la causalité que nous critiquerons en détail (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 119).Le tragique spirituel, notion que Tchekhov m'apprit à critiquer (Du Bos, Journal,1924, p. 173): 2. On doit toujours être prêt à critiquer une théorie; on doit toujours la supposer vulnérable (...). Il faut tout admettre comme critiquable, mais ce n'est pas une raison pour critiquer à tort et à travers comme font certaines gens pour faire parler d'eux en faisant des critiques d'hommes haut placés. Comme la critique est fort difficile à juger, ils en tirent toujours profit.
C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 253. − Domaine de la sc. exp.Déterminer la portée d'un phénomène. Les notions recueillies par le médecin (...) doivent être appréciées, critiquées, et, parfois, ramenées à leur juste valeur (Codet, Psych.,1926, p. 4). − Domaine de l'hist.Établir l'authenticité et la portée d'un fait, d'un document, d'un témoignage. Il faut critiquer les religions comme on critique les poèmes primitifs (Renan, Avenir sc.,1890p. 275).Il avait épluché les bévues du Talmud et critiqué scientifiquement la Bible (Arnoux, Juif Errant,1931, p. 227). − Domaine de la mor.Faire la part du bon et du mauvais, du bien et du mal. En laissant l'État reprendre sa liberté, nous gardons le plus précieux de nos droits, celui de la critiquer (Bernanos, Enf. humil.,1948, p. 90). − Domaine de l'esthétique.Discerner dans un ouvrage, une œuvre, l'ensemble des qualités et des défauts qui le/la rendent plus ou moins conforme à une perfection idéale. Examiner scrupuleusement ce livre et en critiquer les détails (Musset, Revue des Deux-Mondes,1833, p. 610).Il plaça sa toile sur son chevalet, et alla chez son ancien Maître (...) il le pria de venir critiquer l'œuvre rejetée (Balzac, P. Grassou,1840, p. 442). − Domaine de l'action.Déterminer la qualité plus ou moins fine d'une chose dont la réalisation ou l'accomplissement sont soumis à des règles conventionnelles. Critiquer une bataille, une manœuvre, un match. [L'oncle] critiquait méticuleusement les fautes d'équitation (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 243).Tâter, de la narine et de la langue, les vins et critiquer la cuisson (Colette, Fanal,1949, p. 224). 3. Emploi pronom. réfl. a) Soumettre sa propre personne à un examen, en vue de porter sur elle un jugement de valeur. Ernest se promena fièrement dans sa chambre, il se mit de trois-quarts, de profil, de face devant la glace, il essaya de se critiquer (Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 148). b) Se soumettre à un examen en tant qu'auteur, réalisateur de quelque chose, afin de l'estimer à sa juste valeur. Synon. se juger.Pioche bien la « Paysanne »; (...) revois tout, épluche-toi; apprends à te critiquer toi-même (Flaub., Corresp.,1852, p. 69).Ceux qui agissent sans se critiquer (Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 40). B.− [P. restriction de sens; la critique ne s'attache à relever que les défauts, les imperfections] 1. Emploi abs. Émettre, formuler des jugements défavorables, d'une façon systématique ou occasionnelle. L'amitié n'est pas faite pour critiquer, (...). Elle est faite pour donner confiance (Sartre, Âge de raison,1945p. 47): 3. Papa aimait se moquer, et maman critiquer; peu de gens trouvaient grâce devant eux, alors que je n'entendais jamais personne les dénigrer : leur manière de vivre représentait donc la norme absolue.
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 49. 2. [L'obj. désigne une pers. ou une chose] a) Reprendre quelqu'un ou porter sur lui un jugement défavorable en se fondant sur un ou des défauts qu'il accuse. Synon. blâmer, reprendre; anton. admirer, féliciter, louer.Ils critiquent Géricault parce que dans sa « Course d'Epsom » (...) il a peint des chevaux qui galopent ventre à terre (Rodin, Art,1911, p. 87).Ces premières attaques, si elles atteignirent Blaise Pascal, le délivraient du moins de son rôle irritant d'enfant prodige. Il était critiqué, peut-être jalousé par Descartes (Mauriac, Pascal et sa sœur,1931, p. 39). − Critiquer qqn + obj. second prép.; de + inf., pour + inf. passé; en raison de, pour + subst.On nous a reproché d'avoir employé un mot nouveau, le « déterminisme » (...). On m'a beaucoup critiqué sur ce mot (C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878p. 265). − Au fig. [Le suj. désigne une entité] Elle sent elle-même comme quelque chose qui la critique (Janet, Obsess. et psychast.,1903, p. 27). b) Juger défavorablement quelque chose en se fondant sur une ou des imperfections qu'elle présente. Il avait critiqué le montage d'une pompe à huile (Saint-Exup., Vol nuit,1931, p. 93).Il refuse tout d'abord d'adhérer; il considère les choses au point de vue historique; il critique sévèrement, selon les règles, l'impulsion qui l'envahit, l'emporte (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 23). − Au fig. De sorte (...) que la raison pût critiquer la valeur du témoignage des sens (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 599). c) Juger défavorablement quelqu'un ou quelque chose, souvent avec acrimonie, en ne retenant que leurs défauts, leurs imperfections, ou même sans motif valable. Le sentiment de tout Français s'oppose à ce qu'il prenne une initiative quelconque et en même temps le pousse à critiquer tout ce qui se fait autour de lui (Mérimée, Lettres à M. Panizzi,t. 2, 1850-70, p. 402).Comme on critiquait devant lui Villars absent, il coupa net la conversation, en rappelant que Villars était son ami (Arland, Ordre,1929, p. 195). PARAD. a) Synon. bafouer, décrier, dénigrer, déchirer. b) Synon. fam. ou arg. bêcher, chiner, débiner, étriller; éreinter, esquinter. − Critiquer que + verbe au subj.Il avait critiqué que l'amie d'Odette donnât (...) dans le faux ancien (Proust, Swann,1913, p. 245). 3. [L'obj. désigne une chose] Relever un défaut chez quelqu'un, une imperfection dans quelque chose et porter sur eux un jugement défavorable motivé. Aristarques impatients, qui critiquent individuellement (...) les pierres dont la réunion seule peut donner une idée du plan de l'architecte (Dumas père, C. Howard,1834, avertissement, p. 206).Une attitude qui fut par la suite beaucoup critiquée : celle de me dérober au succès (Gide, Si le grain,1924, p. 525).Il s'asseyait, croisait les jambes sous la table, découvrant des fixe-chaussettes mauves : elle critiquait ce laisser-aller (Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958p. 182). SYNT. Critiquer aigrement, amèrement, âprement, bassement, hardiment, ouvertement, poliment; critiquer avec aigreur, avec âpreté. C.− P. ext. Porter des jugements non fondés, exprimer des opinions non contrôlées. Critiquer à la manière de la plupart des feuilletonistes actuels, c'est exprimer des jugements tels quels d'une façon plus ou moins spirituelle (Balzac, Muse départ.,1844, p. 214). Rem. On rencontre ds la docum. a) Critiquant, ante, adj. Enclin, porté à la critique (souvent en mauvaise part). Quant à la nature de ces causeries (...) on m'a dit que ce n'était pas une nature critiquante et esthétisante (A. France, Vie littér., t. 2, 1890, p. X). Le public des premières, ce public blasé, critiquant (A. Daudet, Crit. dram., 1897, p. 81). b) Des dér. péj. et fam.
α) Criticaillon, subst. masc. rare. Mauvais critique qui juge à tort et à travers (cf. J.-R. Bloch ds Rob. Suppl. 1970).
β) Critiquailler, verbe intrans. Critiquer à tort et à travers, sans motif fondé. Est-ce qu'il n'est pas beaucoup mieux et plus beau d'être aimé et compris de quelques braves gens, qu'entendu, critiquaillé, ou flagorné par des milliers d'idiots? (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 449). La forme criticailler est attestée ds Rob. Suppl. 1970 et Lexis 1975. Prononc. et Orth. : [kʀitike], (je) critique [kʀitik]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. 1546 méd. « arriver à sa phase finale (d'une maladie) » (Rabelais, Tiers Livre, éd. Marty-Laveaux, chap. XLI, 2, p. 197) − 1611, Cotgr. II. 1. 1611 « porter un jugement » (Cotgr.); 2. 1674 « analyser des ouvrages littéraires de manière critique » (Malebr., Recherche, II, III, 4 ds Littré). I dér. de critique1*. II dér. de critique2*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 495 (critiqué : 118). Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 443, b) 658; xxes. : a) 770, b) 906. DÉR. Critiqueur, euse, subst. et adj.,fam. (Celui) qui a la manie de critiquer, qui ne pense qu'à reprendre (souvent en mauvaise part). Une cause (...) dont il faut tenir tous les critiqueurs pour adversaires (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 281).Repasser mon petit couplet critiqueur (Frapié, Maternelle,1904, p. 206).− [kʀitikœ:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1reattest. 1589 (Vigenère, Comm. de Cés., Annot., p. 3 ds Gdf. Compl.); rare av. le xixes., 1801 (S. Mercier, Néol., t. 1, p. 137); de critiquer, suff. -eur2*. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Dub. Dér. 1962, p. 41 (s.v. critiqueur). − Goug. Lang. pop. 1929, p. 102, 139 (s.v. critiqueur). |