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CORRUPTION, subst. fém.
I.− [L'obj. de l'action est un corps, une substance matérielle] (cf. corrompre I)
A.− Action de changer l'état naturel d'une chose en la rendant mauvaise, généralement par décomposition; fait de se corrompre. La corruption de la chair, de l'air; arriver à un certain degré de corruption. Synon. altération, décomposition.Préserver l'eau douce de la corruption (Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 8).Elle garde un cadavre intact, défiant, vierge, la corruption (Cocteau, Potomak,1919, p. 340).
B.− P. méton.
1. Au sing. État de ce qui est corrompu. Odeur de corruption. Synon. infection, pestilence, pourriture :
1. Les termitières, hautes et blanchâtres... élevaient dans la pénombre leurs pics de planètes abandonnées comme si elles eussent trouvé naissance dans la corruption de l'air. Malraux, La Voie royale,1939, p. 99.
2. Rare, sing. ou plur. Chose infectée, pourrie ou produite par la corruption (cf. moisissure, pourriture). Je prenais la plante verte qui croît sur les sales ruisseaux pour une corruption (Stendhal, H. Brulard,t. 1, 1836, p. 185).
Rem. Dans le vocab. philos. corruption (correspondant au concept grec de φ θ ο ρ α ́, opposé à celui de γ ε ́ ν ε σ ι ς génération, production) désigne l'événement par lequel une chose cesse d'être telle qu'on puisse encore la désigner par le même nom (d'apr. Goblot 1920, Lal. 1968). Lal. propose destruction comme étant une traduction plus exacte. Le propre de l'histoire, c'est ce changement même, cette génération et corruption (Péguy, Notre Jeun., 1910, p. 79).
II.− Au fig.
A.− Altération (procès ou état), changement en mal (sous l'effet de causes externes ou internes), cf. corrompre II A.
1. [L'obj. de l'action est une œuvre, une structure, une valeur sociale] La corruption de la civilisation, du monde, d'un peuple, de la peinture; un élément de corruption; répandre la corruption. Synon. décadence, déchéance.Le scepticisme et la corruption raffinée des temps modernes (Huysmans, Art mod.,1883, p. 95).Tout est-il donc piège, condition d'infortune ou signe de corruption dans ce qui vient de l'intelligence de l'homme? (Delacroix, Journal,1850, p. 361):
2. ... l'on pourrait avancer sans blasphème que la langue de Massillon [...] n'est, par rapport à celle de Rabelais, qu'une langue plutôt de corruption, de mollesse déjà commençante et de décadence. Sainte-Beuve, Chateaubr.,t. 1, 1860, p. 29.
2. [L'obj. de l'action est une réalité psychique : jugement, goût, raisonnement, sensation, sentiment] Modification fâcheuse par altération des qualités propres; déformation. La corruption des plaisirs, des principes, de la raison, du style; la corruption du goût littéraire. Une certaine bassesse de cœur qui explique, sans les justifier, hélas! les corruptions de l'intelligence (Bernanos, Gde peur,1931, p. 233):
3. Quelque temps, l'abbé Quandieu avait résisté, refusant de mettre dans son église paroissiale un tronc pour Saint-Antoine de Padoue, ne voulant pas se prêter à ce qu'il considérait comme une idôlatrie, une corruption de l'esprit religieux. Zola, Vérité,1902, p. 182.
3. [L'obj. de l'action est une réalité, une valeur du domaine de l'expr.]
a) Corruption d'une langue. Dégradation, altération de sa « pureté » par des usages considérés comme fautifs, par des emprunts, etc.
Rem. Attesté par Ac. 1835, 1878, Besch. 1845, Guérin 1892, Lar. 19e, Lar. encyclop.
b) Corruption d'un mot, d'un nom. Transformation phonétique. Le nom de La-Ville-aux-Fayes [...] s'explique [...] par la corruption de ce nom (en basse latinité, Villa in Fago, le manoir dans les bois) (Balzac, Paysans,1844-50, p. 326).
c) Corruption d'un texte. Altération, volontaire ou non, de la forme ou du sens d'un texte (par faute de copie, interpolation, omission ou addition); mauvais établissement d'un texte. La seconde difficulté d'une bonne interprétation (des textes sacrés) est la corruption des textes, et la multiplicité des ouvrages apocryphes (Cousin, Fragm. philos.,1840, p. 291).
B.− Dégradation de ce qui est sain, honnête et constitue une valeur morale (cf. corrompre II B).
1. [L'obj. de l'action est une pers. ou un groupe évoqué par un compl. prép. de ou un adj.]
a) Action de pousser (quelqu'un) à agir contre son devoir, sa conscience, par des dons, des promesses, la persuasion. Corruption active; corruption de témoins; tentative de corruption :
4. Les Grands d'Espagne ont tous reçu de l'argent de lui [le duc de Montpensier], mais pas assez. En matière de corruption, il ne faut pas avoir de repentir. Mérimée, Lettres à M. Panizzi,1870, p. 410.
b) Faute de celui qui se laisse détourner de son devoir par des dons, des promesses ou la persuasion. La corruption parlementaire; la corruption de la presse; un député convaincu de corruption; suspecter quelqu'un de corruption. Montrer la corruption des classes dirigeantes (Green, Journal,1944, p. 181).
Spéc., DR.
Corruption électorale. Délit consistant à fausser par des dons et des promesses, l'exercice du droit de suffrage.
Rem. Attesté ds les dict. dep. Lar. 19e.
Corruption d'employés. ,,Délit du commis, employé ou préposé, salarié ou rémunéré sous une forme quelconque, d'un commerçant ou d'un industriel, qui a, soit directement, soit par une personne interposée, à l'insu et sans le consentement de son patron, soit sollicité ou agréé des offres ou promesses, soit sollicité ou reçu des dons, présents, commissions, escomptes ou primes, pour faire un acte de son emploi ou s'abstenir de faire un acte que son devoir lui commandait de faire`` (Cap. 1936).
Corruption de fonctionnaires. ,,Acte qualifié crime, consistant à solliciter du titulaire d'un mandat électif, d'un fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, militaire ou civil, agent ou préposé d'une administration publique en faisant appel à son intérêt personnel, de faire ou de s'abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, acte juste ou non, mais non sujet à salaire`` (Barr. 1974).
Corruption de mineurs. Délit d'attentat aux mœurs commis en excitant, en favorisant ou en facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l'un ou de l'autre sexe, au-dessous de l'âge de la majorité.
Rem. 1. Ce dernier syntagme est attesté ds Lar. 19e-20e, Lar. encyclop. 2. Ces expr. sont utilisées aussi bien pour désigner l'action de corrompre (corruption active) que le fait de se laisser corrompre (corruption passive).
2. Altération ou bassesse (morale). Une extrême corruption, la corruption féminine, générale; corruption de la conscience, du cœur. Synon. avilissement.La probité est nécessaire à la liberté comme la corruption à la tyrannie (A. France, Clio,1900, p. 132):
5. Obstinez-vous à conserver au milieu de vous, comme s'il était vivant, le passé qui est mort, vous produisez je ne sais quel choléra moral; la corruption se répand, elle est dans l'air, on la respire... Hugo, Napoléon le Petit,1852, p. 125.
Spéc., Dans le domaine des mœurs. Corruption des mœurs; vivre dans la corruption. Synon. débauche, immoralité, impureté, perversité, souillure, vice :
6. Elle avait des paroles tendres avec des baisers qui lui emportaient l'âme. Où donc avait-elle appris cette corruption presque immatérielle à force d'être profonde et dissimulée? Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 307.
De corruption. Un lieu de corruption. Qui vivait dans une atmosphère de corruption (Chateaubr., Mémoires, t. 2, 1848, p. 620).
Vieilli, au plur. Mœurs corrompues, dissolues. Les corruptions du Directoire. Une figure fatiguée par les corruptions parisiennes (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 77).
P. méton. Monde où règne la corruption. L'étudiant riche, venu de province pour s'initier à la haute vie et qui entre en corruption, comme on entrait autrefois en religion (Bourget, Pastels,1889, p. 8).
Rem. La docum. atteste le verbe trans. corruptionner, néol. non attesté par les dict., synon. de corrompre. Quand on songe qu'il ne faut qu'un mauvais livre pour corruptionner tout un peuple (Mercier, Néologie, t. 1, 1801, p. 130).
Prononc. et Orth. : [kɔ (r)rypsjɔ ̃]. Ds Ac. depuis 1694. Cf. corrupteur. Étymol. et Hist. 1. a) 1121-35 « altération de ce qui est sain, honnête dans l'âme » (Ph. de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 2905 : Corruptiun, pechiez); b) 1373 « action de détourner quelqu'un de son devoir par de l'argent, des dons; fait de se laisser ainsi corrompre » (Ordonnance sur l'Amirauté d'apr. FEW, t. 2, p. 1234b); 2. ca 1170 « action de corrompre une substance; résultat de cette action » (Vie de St Edmond, éd. H. Kjellmann, 3078); en partic. 1172-74 « altération d'un récit, d'un fait » (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 2562). Empr. au lat. class. corruptio, mêmes sens. Fréq. abs. littér. : 951. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 601, b) 1 190; xxes. : a) 862, b) 667.