| COLÈRE, subst. fém. I.− Emploi subst. A.− 1. [En parlant d'une pers.] Vive émotion de l'âme se traduisant par une violente réaction physique et psychique. Une grande, grosse, juste, sainte, terrible, violente colère : 1. ... si nous ouvrions la bouche, ce n'étoit que pour nous accabler d'injures et de reproches sanglans relativement à ce voyage; si par hasard nos yeux se rencontroient, quoique ternes et affoiblis, ils s'enflammoient encore du feu de la colère et de l'indignation. Ces passions, que, jusqu'à ce moment, nous n'avions jamais connues, se manifestèrent tout-à-coup avec la plus grande violence, comme si quelque mauvais génie les eût subitement soufflées dans nos cœurs.
Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 2, 1801, p. 53. 2. Je veux dire que la plus redoutable colère vient de l'impatience de ne pouvoir maîtriser la colère. (...). Ce genre de colère, qui s'accroît par un effort maladroit pour la vaincre, est propre à l'homme, il me semble.
Alain, Propos,1924, p. 586. 2. RELIGION a) Un des sept péchés capitaux : 3. ... les formes à peine entrevues jusque-là commencent à grandir. Ce sont les sept péchés capitaux : envie, avarice, luxure, colère, gourmandise, paresse, orgueil, et une huitième plus petite, la logique. Elles voltigent comme des ombres, légèrement, tout autour de saint Antoine et projettent leur silhouette sur les rochers.
Flaubert, La Tentation de St. Antoine,1856, p. 503. b) Manifestation violente de la justice divine pour châtier l'homme pécheur. Le vent de la colère divine agitait les flots de sa [d'Ézéchiel] barbe blanche, et [que] le feu du courroux céleste brillait dans ses yeux de prophète (Lamartine, Voyage en Orient,t. 1, 1835, p. 298).Le peuple se prive du nécessaire pour apaiser la colère du Dieu serpent (Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 438). − Le jour de colère. Le jugement dernier où se manifestera la colère divine. L'hymne de la colère « Dies irae » (Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 323): 4. Et voici que se lève le jour de colère, qui réduira le siècle en poudre, selon le témoignage de David et de la Sibylle.
A. France, Les Contes de Jacques Tournebroche,1908, p. 67. SYNT. Colère aveugle, blanche, bleue, céleste, contenue, folle, froide, furieuse, intérieure, noire, rentrée, rouge; colère d'agneau, colère du ciel, colère de Dieu; cri, geste, mouvement, transport de colère; entrer, être, se mettre en colère; fam. (se) fiche(r) en colère, faire, piquer une (des) colère(s); trembler de colère, exciter la colère, apaiser la colère, attirer (s') la colère de. B.− P. anal. 1. [En parlant d'un animal] :
5. La nuit était très sombre, à peine distinguait-elle, en bas, le pavé de la rue des Voyards, un étroit couloir obscur, étranglé entre les vieilles maisons. Au loin, du côté du collège, il n'y avait que l'étoile fumeuse d'un réverbère. Et il montait de là un souffle salpêtré de cave, le miaulement d'un chat en colère, des pas lourds de soldat égaré.
Zola, La Débâcle,1892, p. 252. 2. Poét. [En parlant des éléments ou des choses de la nature, considérée comme un animé] :
6. L'orage gronde et tord les arbres : Rilke, abrité dans la maison voudrait être dehors, non pas par le besoin de jouir du vent et de la pluie, mais pour une recherche de rêverie. Alors Rilke participe, on le sent, à la contre-colère de l'arbre attaqué par la colère du vent. Mais il ne participe pas à la résistance de la maison.
Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 54. 7. Prier en un moment pareil, s'attarder, ne fût-ce que quelques minutes, aggravait encore le danger qui accourait à la vitesse des nuages. Le Matterhorn accumulait l'une de ses colères foudroyantes, peut-être la suprême transe annoncée par Davidsen. Nul sommet ne se couvre avec pareille rapidité.
Peyré, Matterhorn,1939, p. 276. 3. [En parlant d'un inanimé] :
8. II. Allegretto ma non troppo du quatuor op. 95 de Beethoven. − Après les colères de l'Allegro, l'Allegretto respire le calme, « un calme triste, entrecoupé de soupirs ».
J. de Marliave, Les Quatuors de Beethoven,1925, p. 202. 9. ... le latin en ous alternait dans sa classe [de Papel] sordide et noire avec les bénédictions ou les colères des cloches voisines...
A. Daudet, Les Rois en exil,1879, p. 60. II.− Emploi adj. A.− [En parlant d'une pers.] Que son caractère porte à se mettre facilement en colère : 10. Je me suis aperçu depuis longtemps que les gens colères soutiennent toujours qu'ils ne sont pas colères, que ceux qui ont peur, disent souvent qu'ils n'ont pas peur; ...
Napoléon Ier, Lettres à Joséphine,1806, p. 119. ♦ P. métaph. : 11. Les grosses pierres, arrêtant le cours, avaient autour d'elles un bourrelet d'eau, une sorte de cravate terminée en nœud d'écume. Par places, c'étaient des cascades d'un pied, souvent invisibles, qui faisaient, sous les feuilles, sous les lianes, sous un toit de verdure, un gros bruit colère et doux; ...
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Petite Roque, 1885, p. 1018. B.− P. ext. [En parlant du comportement d'une pers.] Qui est marqué par la colère. Air, humeur, regard, ton, voix colère. Rem. L'adj. colère exprime un état durable : on naît et on meurt colère. En colère exprime une manière d'être passagère. ,,Elle était, elle est, elle sera en colère [...]. Au dix-septième siècle, coléreux et colérique étaient des mots de médecin [...]. Aujourd'hui, coléreux et colérique, devenus communs, menacent sérieusement l'existence de l'adjectif colère`` (Ch. Bruneau ds Le Figaro littér., 27 févr. 1954, p. 9; cf. également A. Moufflet ds La Dépêche du Midi, 12 déc. 1957, p. 2). Prononc. et Orth. : [kɔlε:ʀ]. Homon. collèrent (du verbe coller). Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1265 colere « bile » (B. Latini, Trésor, éd. Chabaille, p. 103) − xvies., Hug.; 2. 1416 collere « état affectif violent » (Le Livre Caumont, p. 50, éd. Galy ds R. Hist. litt. Fr., t. 6, p. 460); 1505 adj. « emporté par la colère » (Gringore, Folles entreprises, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 1, p. 57 ds Romania, t. 65, p. 169 : leur cerveau fier, colère et trop chault); 1550 d'une pers. (Ronsard, Odes, L. 1, ode II, éd. P. Laumonier, t. 1, p. 71); 1762 « qui marque la colère » (Rousseau, Émile, L IV ds Littré : humeur colère); 3. entre 1556 et 1577 fig. « déchaînement violent » (R. Belleau,
Œuvres, t. 1, p. 65 ds IGLF : les plus ardantes coleres du ciel). Empr. au lat. impérial cholera « maladie bilieuse, bile », b. lat. « colère » (Jérôme ds TLL s.v., 1015, 12), lui-même empr. au gr. χ
ο
λ
ε
́
ρ
α (choléra*). Fréq. abs. littér. : 8 335. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 10 415, b) 13 328; xxes. : a) 12 545, b) 11 873. Bbg. Collin (C.). Fr. chagrin « ledsen »; colère « ond ». In : [Mél. Vising (Johan)]. Paris, 1925, pp. 55-60. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 140; Mots. t. 1, 1962, p. 25, 130-133. − Lauren (P.). Contribution à l'hist. du lex. fr. Romania. 1939, t. 65, pp. 167-170. − Stefenelli (A.). Der Synonymenreichtum der altfranzösischen Dichtersprache. Wien, 1967. − Tournemille (J.)., Il n'y a pas de synon. colère, ire, courroux. Déf. Lang. fr. 1968, no41, pp. 12-13. − Valter (R.). Einige Bemerkungen zum romanischen Wortschatz... Beitr. rom. Philol. 1972, t. 11, no1, p. 146. |