| CHIFFRE, subst. masc. Signe graphique servant à marquer, à représenter une chose à l'intention d'un lecteur. I.− [Sans idée de secret] A.− [Ce qui est marqué est un nombre] 1. [Le chiffre est en réf. simple avec un nombre donné] Caractère servant à représenter un nombre. Chiffres arabes, romains; colonne de chiffres; aligner des chiffres. Il inscrivait des comptes en chiffres démotiques à l'aide d'un roseau (T. Gautier, Le Roman de la momie,1858, p. 263).Des années dont il faudrait des millions de chiffres pour écrire le nombre (H. Poincaré, La Valeur de la sc.,1905, p. 183): 1. Les jours insignifiants sont comme les zéros, qui ne sont rien par eux-mêmes, mais prennent leur valeur du chiffre qui les précède.
Karr, Sous les tilleuls,1832, p. 107. − P. ext. Nombre représenté par le ou les chiffres : 2. Le chiffre treize lui portait malheur! À treize ans elle avait fait une chute, son père était mort un treize février, − le petit garçon mourait à treize mois!
Queffélec, Un Recteur de l'île de Sein,1944, p. 120. 2. Vieilli. [Le chiffre indique un numéro dans une série] Citer vingt fois le chiffre d'une page (Lamartine, Les Confidences,1849, p. 123): 3. Je vous envoie une intercalation, la pièce Tu peux comme il te plaît me faire jeune ou vieux, qui entre dans le livre II sous le numéro VIII et rejette au chiffre IX la pièce En écoutant les oiseaux. Modifier les chiffres d'ordre suivants en conséquence.
Hugo, Correspondance,1855, p. 211. − P. ext., littér. Signe assignant une place dans un ensemble : 4. [L'âne :]
L'homme est un numéro dans l'infini [pour certains politiques]
(...)
Vain, fuyant, coudoyé par d'autres chiffres vagues
(...)
Hugo, L'Âne,1880, p. 331. 3. [Le nombre indique l'aboutissement, le résultat d'un calcul] a) Chiffre correspondant à un nombre représentant une somme, un total. Chiffre des dépenses, d'une fortune, de la population; atteindre, dépasser un chiffre. Diminuer le chiffre du déficit (Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 181): 5. Vous savez que le froid au sortir du bal tue chaque année, à Paris, onze cents jeunes femmes. J'ai vu le chiffre officiel.
Stendhal, Souvenirs d'égotisme,1832, p. 115. b) P. méton. Somme, total. Le nombre des maladies épouvante encore plus que le chiffre des étoiles (E. et J. de Goncourt, Journal,1866, p. 270).Un petit trésor, de l'or et des billets de banque, dont il ne connaissait jamais le chiffre exact (Zola, Le Docteur Pascal,1893, p. 44). − Spéc. [En parlant d'une somme d'argent] :
6. La religion du nombre − du nombre des spectateurs et du chiffre des recettes − dominait la pensée artistique de cette démocratie mercantilisée.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 723. ♦ En chiffres ronds. En arrondissant la somme (au nombre supérieur ou inférieur). L'intérêt (...) s'élève maintant à 498 francs. Nous mettrons 490 en chiffres ronds (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Désert de Bièvres, 1937, p. 80). ♦ [Dans un tour exclamatif] Somme importante. Dame, trente-cinq millions, c'est un chiffre (Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 880). − COMM. Chiffre d'affaires. Montant des ventes, des prestations de services, etc., effectuées par une entreprise pendant un exercice. Impôt, taxe sur le chiffre d'affaires (cf. affaire, ex. 29). 4. P. méton. Calcul aboutissant à la somme en question; p. ext., opération de comptabilité. a) Au sing. coll., vieilli. Se condamner aux travaux du chiffre, où le calcul « tuera » l'illusion (Vigny, Chatterton,1835, p. 236). ♦ Loc. (C'est) un zéro* en chiffre. − [En constr. d'appos.] Homme(-)chiffre. Comptable; p. ext., homme d'affaires ne connaissant que l'aspect comptable d'une entreprise : 7. Gundermann, plein du mépris de la passion, exagérait encore son flegme de joueur mathématique, d'une obstination froide d'homme chiffre, vendant toujours malgré la hausse continue.
Zola, L'Argent,1891, p. 286. 8. Cocon est l'homme-chiffre. Il a l'amour, l'avarice de la documentation précise. À propos de tout, il fouine pour trouver des statistiques qu'il amasse avec une patience d'insecte, et sert à qui veut l'entendre.
Barbusse, Le Feu,1916, p. 25. b) Au plur. L'esprit de chiffres et d'administration (Fromentin, Dominique,1863, p. 19).Le méridional, apte à faire des chefs-d'œuvre et des lois, ne l'est pas aux chiffres (J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 104). B.− [Le chiffre est un signe ou un ensemble de signes plus ou moins conventionnels; ce qui est représenté n'est pas un nombre] .
1. MUSIQUE. a) Caractères (lettres ou chiffres) servant parfois à représenter les notes. b) Les mêmes caractères, placés au-dessus ou au-dessous des notes de la basse pour en indiquer les accords (cf. basse1A 1). 2. [L'idée de secret peut s'ajouter à celle d'ensemble conventionnel] Combinaison artistique des lettres initiales d'un ou de plusieurs noms ou prénoms pour marquer des objets personnels (linge, sac à main, vaisselle, etc.). Cf. monogramme.Un superbe sac de cuir du Levant, marqué d'un chiffre illisiblement entortillé, surmonté d'une couronne de baron (Gyp, O province,1890, p. 131). − P. ext. Combinaison conventionnelle de signes graphiques servant à marquer un objet personnel : 9. ... chacune des pièces d'argenterie de cette vaisselle plate était marquée d'un chiffre différent, où la même lettre était alternativement combinée avec toutes celles de l'alphabet.
Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 210. ♦ P. métaph. : 10. La fleur capucine remplaçant le lierre religieux, brode de ses chiffres de pourpre les murs sacrés [des couvents].
Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 145. II.− [Avec une idée de secret] A.− [P. oppos. à l'écriture ou au langage en clair] 1. Gén. au plur. Caractères d'écriture (lettres ou chiffres) représentant par convention secrète les lettres ou les groupes de lettres des mots d'une langue. Dom Gervaise écrivait en chiffres à une religieuse qu'il avait aimée (Chateaubriand, Vie de Rancé,1844, p. 249).Lettre écrite en chiffres (E. de Goncourt, La Faustin,1882, p. 328). − P. méton., au sing. L'écriture secrète ainsi constituée. Une écriture à rebours (...) chiffre dont tous les secrets n'ont pas été pénétrés encore (T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre,1872, p. 201). 2. En partic., gén. au sing. Code, ensemble des règles de transposition permettant à un service officiel d'écrire en un langage secret ou de le comprendre. Cf. code, clef.Des dépêches dont le gouvernement avait le chiffre (Clemenceau, La Réparation,1899, p. 528): 11. ... pour ne parler que de l'étourderie, il [Beyle] écrivit un jour (...) à M. de Broglie, ministre des affaires étrangères une lettre chiffrée et lui transmit le chiffre sous la même enveloppe.
Mérimée, Portraits hist. et littér.,1870, p. 155. − P. méton. Service d'un ministère, d'une armée, etc., chargé de transcrire les messages en chiffre ou de les déchiffrer. Section, officier du chiffre : 12. Le grand quartier général comptait alors une cinquantaine d'officiers, en y comprenant tous ceux des services (chemin de fer, intendance, santé, section du chiffre, section du courrier, automobiles, commandement du quartier général).
Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 239. 3. P. ext., le plus souvent au fig. a) Langage secret quelconque; règles permettant de le pratiquer : 13. ... à partir de ce mois de novembre [1621], après une entrevue qu'eurent les deux amis [Jansénius et Saint-Cyran], ils s'entendirent pour se servir désormais d'un chiffre ou argot qu'on a peine à pénétrer, au moins dans le détail.
Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 1, 1840, p. 296. 14. Son œuvre [de Pepys] est une sorte de journal de bord du Londres de la seconde partie du dix-septième siècle, rédigé en une écriture secrète, alors très peu connue, la tachygraphie, dont le chiffre compliqué par l'emploi de langues étrangères, lui permettait de s'épancher sans crainte.
Morand, Londres,1933, p. 21. − En partic. Règles permettant le déchiffrement d'un langage secret. Synon. clef.Le miracle est un phénomène naturel dont on n'a pas encore le chiffre, une preuve de désordre (Cocteau, La Fin du Potomak,1940, p. 158).La Bible contient pour chacun de nous un message chiffré. Le chiffre, c'est la foi qui nous le donne (Green, Journal,1940, p. 25): 15. Peut-être un seul mot qu'elle eût dit, un sourire, m'eussent fourni une clef, un chiffre inattendus, pour lire l'expression de sa figure et de sa démarche, qui seraient aussitôt devenues banales.
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs,1918, p. 713. b) Langage ou énoncé renvoyant à une réalité plus ou moins cachée : 16. Le stoïcien échappe à la crispation de son effort méprisant, parce qu'il se sait dans le tout. Le rapport de partie à tout est ici le chiffre d'un rapport plus subtil, qui est « le mystère ontologique » lui-même, ...
Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 444. c) Symbole conventionnel. Le soufre, qui est le chiffre du feu (J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 118). B.− TECHNOL. Arrangement secret de chiffres, de lettres, permettant à celui qui l'a conçu ou y est initié d'ouvrir la porte d'un coffre-fort (cf. combinaison). Le coffre-fort dont il repoussa la porte sans brouiller le chiffre (P. Bourget, Conflits intimes,1925, p. 201).Un coffre-fort qui s'ouvre lorsque l'on a disposé les lettres de la serrure selon un certain chiffre qui sert de clé (Ruyer, Esquisse d'une philos. de la struct.,1930, p. 151). Prononc. et Orth. : [ʃifʀ
̥]. Ds Ac. 1694-1932. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. chifre. Étymol. et Hist. 1. xiiies. chifres « zéro » (G. de Coinci, Mir., éd. V. F. Kœnig, t. 1, p. 59 [ici au sens fig. ds l'expr. très fréq. chifre en augorisme : « personne sans valeur »]) − 1599 (Ph. de Marnix, Differ. de la Relig., II, iv, 2 ds Hug.); 2. a) 1485 chiffre « signe qui sert à représenter les nombres » (Tropfke, Geschichte der Elementar-Mathematik..., Berlin, 1921-24, t. 1, p. 13 d'apr. FEW t. 19, p. 156a, s.v. ṣifr); b) 1599 fém. « calcul » (Ph. de Marnix, Differ. de la Religion, I, iii, 5 ds Hug.); 1835 plur. « mathématiques » (Ac.); c) 1832 « le nombre représenté par les chiffres » (Stendhal, Souvenirs d'égotisme, p. 115); 3. a) 1497-98 « écriture secrète » (Commynes, Mém., VIII, 16, éd. J. Calmette, t. 3, p. 221); ca 1657 « langage symbolique » (Pascal, Pensées, section X, no691 ds IGLF); b) 1741 mus. (M. Corette, Méthode de violoncelle, p. 6); 4. 1529 chyfres « lettres initiales des prénoms, du nom de quelqu'un » (G. Tory, Champfleury..., LXXIII, voal. 5 ds IGLF). Empr. à l'ar. ṣifr « vide, zéro » (Freytag t. 2, p. 503; FEW t. 19, pp. 156-158), calque du skr. śūnya « id. », par l'intermédiaire du lat. médiév. cifra « zéro » (xiies., Anon., Algor. Salem. ds Mittellat. W. s.v., 574, 12). Le zéro étant l'innovation la plus importante et la plus caractéristique du système numérique ar., le mot chiffre a fini par désigner toutes les figures de ce système, d'où 2. Le sens 3 est dû au fait que le zéro semblait doué d'un pouvoir magique. Le passage de [s] à [ʃ] s'explique difficilement; l'hyp. d'une infl. de l'ital. cifra « chiffre » (1476 « caractère secret » Masuccio ds Batt.) ou celle, insuffisamment documentée, d'une infl. du cat. xifra (Cor.) sont peu probables. L'hyp. d'une infl. du pic. en raison de l'adoption précoce du système numérique ar. par les villes industrielles du Nord (Jordan d'apr. FEW, loc. cit.) conviendrait mieux, les textes les plus anciens étant picards. Fréq. abs. littér. : 2 107. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 789, b) 3 492; xxes. : a) 3 392, b) 3 522. Bbg. Hope 1971, p. 34. − Lammens 1890, p. 262. − Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 43. |