| CERNE, subst. masc. Zone plus ou moins large et plus ou moins nette ayant la forme d'un cercle, ou entourant quelque chose comme d'un cercle. A.− [L'image est celle d'une petite surface assez terne et aux contours le plus souvent imprécis] :
1. Cette fois-là, c'étaient des moires, rien que des moires changeantes qui jouaient sur la mer; des cernes très légers, comme on en ferait en soufflant contre un miroir. Toute l'étendue luisante semblait couverte d'un réseau de dessins vagues qui s'enlaçaient et se déformaient, très vite effacés, très fugitifs.
Loti, Pêcheur d'Islande,1886, p. 61. − Spéc., souvent au plur. Traces laissées par un produit détachant à l'endroit de la partie nettoyée d'un tissu : 2. ... l'essence y [sur la belle douillette] a fait des cernes affreux. On dirait de ces taches irisées qui se forment sur les bouillons trop gras.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1058. B.− [L'image ou l'idée dominante est celle d'une fig. qui entoure quelque chose] 1. Vx. ,,Rond tracé sur la terre, sur le sable, etc.`` (Ac. 1798-1872). Un grand cerne. Faire un cerne (Ac. 1798-1872). 2. FORÊTS. ,,Sur un fût coupé en travers, anneau circulaire comprenant la quantité de bois formé dans le cours d'une saison de végétation`` (Plais. 1969). Synon. cercle*.Le nombre des cernes indique celui des années de l'arbre (Ac.1835-1932). 3. Zone faiblement lumineuse et assez terne qui baigne ou entoure des objets, des personnes, etc. La lune se montrait au milieu d'un cerne épouvantable de trois ou quatre cercles roux et bleus (Jouve, La Scène capitale,1935, p. 116).Tout le jour le cerne bleuâtre d'un brouillard irisé baignait encore l'horizon (Gracq, Au château d'Argol,1938, p. 140).Les cernes d'or jaune des lampes (Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1471). 4. Marque autour de quelque chose. Le cerne de sang frais (...) imbibait dans le dos le bandage, autour de la tache déjà caillée et noire (Montherlant, Le Songe,1922, p. 137). − En partic. a) ,,Rond livide qui se fait quelquefois autour d'une plaie lorsqu'elle n'est pas en bon état`` (Ac. 1798-1932). Il remarqua (...) une tache brunâtre, entourée d'un cerne plus clair que la peau de la main (Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1439). b) Zone livide ou bleuâtre autour des yeux. Les cernes de fatigue, glacés et bleuâtres comme la nacre (Montherlant, Le Songe,1922, p. 32): 3. Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Apollinaire, Alcools,Les Colchiques, 1913, p. 60. − Spéc. Zone formée artificiellement (à l'aide du maquillage). Je le quitte (Max) pour refaire à mes yeux le cerne bleuâtre qui les veloute et les moire (Colette, La Vagabonde,1910, p. 216). 5. PEINT. Trait qui souligne le contour d'un dessin ou d'une peinture : 4. Les premiers chefs-d'œuvre de l'affiche moderne, dus à Lautrec ou à Bonnard, n'eurent recours qu'à l'appel sensoriel de la tache chromatique et de son contour percutant sur la rétine : aucun modelé, aucun passage; des à-plats francs et brutaux soulignés par un cerne!
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 50. Prononc. et Orth. : [sε
ʀn]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) 1119 « cercle » (Ph. de Thaon, Comput, éd. Mall, 1647 ds T.-L.); b) 1220-40 spéc. « magie » (H. d'Andeli,
Œuvres, éd. Héron, IV, 137 ds T.-L. s.v.), considéré comme vieilli par Trév. Suppl. 1752; 2. marque circulaire autour de qqc. a) entre 1354 et 1377 autour des yeux (H. de Ferrières, Les Livres du Roy Modus et de la Royne Ratio, éd. G. Tilander, Paris, 1932, t. 1, p. 217 : le cherne d'entour la punele de l'eul); b) 1458 autour de la lune (A. Greban, Le Mystère de la Passion, éd. G. Paris et G. Raynaud, Paris, 1878, 5254-55); c) 1694 autour d'une plaie (Ac.); d) 1820 « cercle concentrique sur la tranche d'un arbre coupé horizontalement » (Lav.); e) 1867 « tache circulaire sur une étoffe » (Lar. 19e). Du lat. class. circinus « compas, cercle », lui-même dér. de circus « cercle » (cirque*). Fréq. abs. littér. : 86. Bbg. Goug. Mots t. 2, 1966, p. 81. − Sain. Sources t. 2, 1972 [1925], p. 149; t. 3, 1972 [1930], p. 167. |