| CATÉGORIE, subst. fém. I.− Domaine de la pensée abstr. A.− PHILOSOPHIE 1. Chez Aristote. [Le plus souvent au plur.] Genres ou divisions premières de l'être (substance, qualité, quantité, relation, temps, lieu, situation, action, passion, savoir). Cf. également attributs, prédicament.Depuis Charlemagne, elle (la langue d'Aristote) n'avait cessé de régner dans l'école, sévère, emprisonnant la pensée dans ses catégories, et la parole dans ses syllogismes (Ozanam, Essai sur la philos. de Dante,1838, p. 259).Aristote substitue une subordination ontologique, une hiérarchie de catégories, de genres et d'espèces, dont le pivot est l'idée d'être ou de substance (Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 566): 1. Tout le monde sait qu'Aristote est le premier philosophe qui ait inventé des cathégories, où les idées viennent se ranger de force, quelle que soit leur classe ou leur nature.
Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 134. 2. Chez Kant. Concept primitif (unité, pluralité, totalité; réalité, négation, limitation; substance, cause, réciprocité; possibilité, existence, nécessité) de l'entendement pur s'appliquant à priori aux données de l'intuition. La catégorie n'est sans doute pas en elle-même un concept réel. Mais elle est le principe de la synthèse conceptuelle, c'est-à-dire du mode d'unité que représente le concept (A. Tremesaygnes, B. Pacaud, Critique de la Raison pure,trad. de E. Kant, Paris, P.U.F., 1967, préf. de Ch. Serrus, p. XV). 2. Les catégories sont (...) les conditions sans lesquelles nous ne pourrions connaître un objet, c'est-à-dire qu'elles se rapportent nécessairement et à priori à des objets d'expérience puisque ce n'est que par elles qu'un objet d'expérience peut être pensé.
G. Pascal, Pour connaître la pensée de Kant,Paris, Bordas, 1966, p. 69. Rem. Avec Kant, l'épistémologie et la logique moderne donnent une définition moins statique de la catégorie, l'accent étant davantage mis sur le pouvoir possible de l'entendement et la virtualité des faits et des idées que sur la fixité des cadres du langage chez Aristote (cf. rem. analogue au sujet de la définition de axiome). − [Dans l'expression d'un jugement moral, humain ou esthétique] Subsumer un donné sensible, une série de termes sous une catégorie. La catégorie de l'idéal, c'est-à-dire la forme sous laquelle nous concevons l'idéal (Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 476).Unité et multiplicité abstraites sont, comme on voudra, des déterminations de l'espace ou des catégories de l'entendement (Bergson, L'Évolution créatrice,1907, p. 258).Les qualités servent à répartir les êtres extrinsèquement en classes et catégories (Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 18): 3. C'est le rythme de la vie sociale qui est à la base de la catégorie du temps; c'est l'espace occupé par la société qui a fourni la matière de la catégorie de l'espace; ...
Traité de sociol.,1968, p. 106. B.− LING. [Le plus souvent au plur.] Classes à l'intérieur desquelles les éléments d'un vocabulaire ou d'une information sont rangés suivant un certain nombre de critères sémantiques ou grammaticaux communs. Catégories sémantiques, syntaxiques; catégories grammaticales; les catégories du discours. L'opposition de l'animé et de l'inanimé constitue une catégorie de langue et appartient au système grammatical du français (R. Martin, La Catégorie de l'animé et de l'inaniméds Trav. Ling. Litt. Strasbourg, 1971, p. 254): 4. Les catégories sémantico-grammaticales. I Le « genre » et les classificateurs. Les lexèmes nominaux sont groupés en classes, dont la motivation sémantique est plus ou moins nette selon les langues.
Le Langage, La Typologie, 1968, p. 307. PARAD. et SYNT. a) Classe, concept. (cf. également les universaux linguistiques); b) catégorie de l'adjectif, du pronom, du substantif, du verbe; catégorie du genre, du nombre, de la personne; catégorie du temps. C.− MATH. Théorie des catégories. Généralisation de la théorie des ensembles : 5. Dès 1952, en définissant les théories de l'homologie comme foncteurs d'une catégorie d'espaces topologiques dans une catégorie algébrique vérifiant certains axiomes et en classifiant ces théories, Eilenberg et Steenrod mettaient en évidence le rôle des catégories comme outil pour la topologie algébrique.
Encyclop. univ.,1968. II.− P. ext., usuel. Ensemble ou groupe de personnes ou de choses qui ont un certain nombre de caractères communs. Procéder par catégories, opérer un classement par catégories, appartenir à une catégorie, ranger sous une catégorie. A.− [Le compl. de nom désigne un ensemble de choses] 1. [Choses concr., possédant une représentation ou existant dans l'espace] Il existe toute une catégorie de fluorures doubles, où l'aluminium peut être associé à la soude, à la chaux ou à la magnésie (A. de Lapparent, Cours de minér.,1899, p. 542).On se mit à déclasser un grand nombre de places et de forts, que l'on mit en deuxième et troisième catégorie (Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 32). SYNT. Catégorie(s) d'aliments, d'engrais, de marchandises, de produits, de véhicules (de cylindrées); un établissement de première catégorie. − Spéc., BOUCH. Chacune des trois divisions établies au xixes., supprimées depuis, parmi les viandes de boucheries, en fonction de leur utilisation culinaire et leur prix. L'éternelle quatrième catégorie de viande pour les dîners (E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1141). ♦ Au fig. : 6. Mais non, c'est une beauté trop mâtinée de la beauté de la belle écaillère. Quelle plantureuse santé et quel poitrail et quel étal de viande de la troisième catégorie!
E. et J. de Goncourt, Journal,1895, p. 888. 2. [Choses abstr.] Leur réunion rentre donc dans la catégorie des associations littéraires qui sont dispensées de demander l'autorisation préalable (Huysmans, L'Oblat, t. 2, 1903, p. 154).Depuis Baudelaire et les Goncourt il existe dans la littérature française un « modernisme » qui ne rentre dans aucune des catégories classicisme, romantisme, réalisme, symbolisme, mais qui les traverse toutes (Thibaudet, Réflexions sur la litt.,1936, p. 104). − Expr. Ces deux choses ne sont pas de la même catégorie (Ac.1798-1932).Synon. elles ne sont pas de même nature. B.− [Le compl. de nom désigne un ensemble de pers.] 1. [Avec en commun, un ou plusieurs critères extérieurs, d'ordre soc.] Catégorie sociale; catégorie socioprofessionnelle. P. ell. Les catégories les plus défavorisées. L'homme de catégorie moyenne a végété sa vie entière, afin de devenir juge en province ou médiocre employé (Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 88).Au sein de la catégorie des agents publics, les « fonctionnaires » sont ceux qui sont dans une situation statutaire (G. Belorgey, Le Gouvernement et l'admin. de la France,1967, p. 233): 7. L'État serait, paraît-il, décidé à accepter les bons à la reconstruction qu'il remet à certaines catégories de sinistrés en paiement pour l'achat d'un appartement dans la « cité radieuse », sous réserve de les racheter à 88 % de leur valeur.
Le Monde,19 janv. 1952, p. 4, col. 2. SYNT. Catégorie(s) d'administrés, d'assurés sociaux, de citoyens, de contribuables, d'électeurs, de passagers, d'usagers; catégories de personnel, de la population; catégories d'âge. − P. ext. : 8. ... la Jeanne d'Arc, comme les autres tableaux de M. Lepage, est l'œuvre d'un matois qui essaye du faux naturalisme pour plaire à une certaine catégorie du public...
Huysmans, L'Art mod.,1883, p. 150. 9. Il est indispensable d'insister ici sur l'obligation absolue, pour l'annonceur, de ne pas utiliser des programmes radiophoniques conçus dans l'amour de l'art pour l'art, mais des programmes tels que le public, ou plus exactement la catégorie des auditeurs qu'on recherche, se complaît à en écouter.
M. Weinand, Qq. aspects de la public. radiophonique,1964, p. 26. − Spéc., SP. Chacune des classes dans lesquelles sont répartis les sportifs selon leur âge, leurs capacités, leurs performances ou leur poids. Championnat du Monde toutes catégories (L'Auto, 8-6-33 ds A.-O. Grubb, French sports Neologisms,1937, p. 24). 2. [Avec en commun un ou plusieurs critères d'ordre moral, mettant en évidence la nature ou la manière d'être de la pers. ou du groupe] C'est un esprit de la catégorie la plus ordinaire (Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 248).Il se rangeait dans la catégorie des bonnes gens dociles aux volontés des forts (Adam, L'Enfant d'Austerlitz,1902, p. 524).− Il y a deux catégories d'hommes : ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés (Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1385): 10. Il y a toute une catégorie d'hommes qui ne font la cour qu'aux femmes fidèles... et qui seraient bien embarrassés si les femmes disaient : « allons-y! »
S. Guitry, Le Veilleur de nuit,1911, II, p. 10. − Au fig., fam., péj.; expr. Ces gens-là ne sont pas de la même catégorie (Ac.1798-1932).Tu ne peux pas comprendre il n'est pas de ta catégorie; être un niais de première catégorie. Quant à l'auteur, c'est Edouard Fournier? ou quelque oiseau de la même catégorie? (Flaubert, Correspondance,1878, p. 139).Voir notre nom aux sommaires à côté des noms de gens malpropres : et les gens de cette bande, ou de la même catégorie (Larbaud, Journal,1931, p. 254). Rem. On rencontre ds les dict. gén. le subst. masc. catégorème qui désigne chez Aristote la qualité affirmée d'un objet et qui le fait ranger dans telle ou telle catégorie. Les catégorèmes sont au nombre de cinq : le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident. Dans la ling. mod., en partic. ds le vocab. de B. Pottier, le catégorème désigne ,,l'unité minimale de la forme du signifié, du niveau du morphème`` (Pottier Ling. gén. 1974). Prononc. et Orth. : [kategɔ
ʀi]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1564 philos. terme de log. aristotélicienne (Rabelais, Le Cinquiesme Livre, 19, éd. Marty-Laveaux, III, 74); 1801 syst. de Kant (Ch. de Villers, Philosophie de Kant, 291 ds Quem.); 2. 1668 « classe d'objets ou de personnes de même nature » (La Fontaine, Fables, V, 18 ds Littré); 1690 (Fur. : Categorie. Se dit figurément des choses de même nature, et de même qualité. Un bon bourgeois et un soldat ne sont pas de même categorie). Empr. au b. lat. categoria terme de log. fin iiie-début ives. Chalcidius ds TLL s.v., 602, 18. Categoria est empr. au gr. κ
α
τ
η
γ
ο
ρ
ι
́
α, Aristote ds Liddell-Scott. Fréq. abs. littér. : 1 000. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 418, b) 1 079; xxes. : a) 1 357, b) 2 501. Bbg. Benveniste (É.). Catégories de pensée et catégories de lang. Ét. philos. 1958, t. 13, pp. 419-429. − BrØndal (V.). Les Parties du discours. Ét. sur les catégories ling. Trad. par P. Naert. Copenhague, 1948, 174 p. − Imbs (P.). Au seuil de la lexicogr. Cah. Lexicol. 1960, t. 2, p. 10-12. − Mounin (G.). Les Probl. théoriques de la trad. Paris, 1963, 302 p. |