| BRAVE, adj. et subst. I.− Adjectif A.− [En parlant d'une pers.] 1. Vx ou région. (Qui est) bien habillé, qui a une belle apparence, (qui est) beau/belle (grâce à ses habits, ses bijoux, etc.). Pour être brave, je volerai de beaux habits, et alors Agostin m'aimera (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 387). 2. Usuel a) [Se dit aussi de son comportement] Qui ne craint pas les dangers, les entreprises difficiles, qui est prêt à les affronter avec courage. Synon. courageux, hardi, intrépide; anton. lâche.Modéré, mais brave, il [Manet] a été constamment prêt à affronter les préjugés (C. Mauclair, Les Maîtres de l'impressionnisme,1904, p. 55). − Spéc. [Avec souvent antéposition expressive de l'adj. épithète] À la guerre, dans les combats. Un brave soldat. Vous feriez un brave capitaine dans une armée bien batailleuse (Sartre, Les Mouches,1943, I, 1, p. 20). b) Qui possède des qualités de droiture, de loyauté, d'honnêteté et fait des actions qui relèvent de ces qualités. Synon. honnête, loyal. − [En constr. d'épithète ou d'attribut] Avoir un fils bien élevé, brave, honnête homme (Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1877).Il est brave. − [Avec une valeur affective-expressive, placé devant le subst. et formant avec lui une loc. plus ou moins figée] Un brave cœur, un brave homme, un brave garçon, de braves gens : 1. Je ne connais pas au monde de plus brave homme que celui-là; de l'honneur, de la probité, la bonté même.
Scribe, Varner, Le Mariage de raison,1826, p. 394. 2. Il y avait un peu de tout parmi elles, des coquines et de braves filles. Le niveau de leur moralité montait, d'ailleurs.
Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 686. ♦ Fam. [Les loc. précédentes en antéposition expressive] Un brave homme de mari. Un excellent brave homme de père, la bonté et la tendresse mêmes (E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 47).(Plais.) Ce brave garçon de chien (Barrès, L'Ennemi des Lois,1893, p. 160). − Fréq. [Avec une nuance de supériorité condescendante de la part de celui qui parle] Notre censeur était Joubin, insignifiant et « bien brave » (L. Daudet, Fantômes et vivants,1914, p. 113): 3. Les mêmes personnes souriront et s'attendriront, selon leur degré de libéralisme, sur le spectacle, (...) de ces braves nègres s'excitant au tam-tam. Ils sont certains eux, de posséder dans leur musique l'authentique élixir d'une spiritualité immaculée : cependant que bat, innocente et incontrôlée, une bottine révélatrice...
P. Schaeffer, À la recherche d'une mus. concr.,1952, p. 169. c) P. ext. et affaiblissement de sens. [Dans des formules de politesse et surtout placé avant un subst. qui désigne la pers. qu'on interpelle ou dont on parle] Brave lecteur. Synon. bon, gentil, cher : 4. À Paul de Saint-Victor. Paris, lundi soir (1862?). 42, boulevard du Temple. Êtes-vous assez brave pour venir, après-demain mercredi, dîner chez votre serviteur?
Flaubert, Correspondance,1862, p. 309. 5. Cette « brave Oriane », comme il eût dit cette « bonne Oriane », ne signifiait pas que Saint-Loup considérât Mmede Guermantes comme particulièrement bonne. Dans ce cas, bonne, excellente, brave, sont de simples renforcements de « cette », désignant une personne qu'on connaît tous deux et dont on ne sait trop que dire avec quelqu'un qui n'est pas de votre intimité. Bonne sert de hors-d'œuvre et permet d'attendre un instant qu'on ait trouvé : « Est-ce que vous la voyez souvent? » ou « Il y a des mois que je ne l'ai vue »...
Proust, Le Côté de Guermantes 1,1920, p. 100. Rem. ,,On le [brave] met tantôt avant, tantôt après son substantif : suivant qu'il est ainsi placé, sa signification est quelquefois différente`` (Lav. Diffic. 1846). Cf. à ce sujet Verlaine,
Œuvres posthumes, t. 2, Voyage en France par un Français, 1896, p. 41 : Les grognards − gens braves et braves gens en somme − passèrent. ,,Cependant on dit dans le sens de bravoure un brave capitaine, un brave soldat; l'analogie qu'il y a entre ces deux mots sauve l'équivoque`` (Lav. Diffic. 1846). Cf. à ce sujet supra a, et Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, Mademoiselle Fifi, 1881, p. 155 : On le disait brave homme autant que brave officier. Il semble pourtant qu'il y ait parfois équivoque : De bons et braves soldats; nos braves et chères forces (De Gaulle, Mémoires de guerre, 1956, p. 658, 709). B.− [En parlant d'un animal] 1. Beau/belle : 6. [Tistet :] « Ah! mon Dieu! grand Saint-Père, quelle brave mule vous avez là! (...) Laissez un peu que je la regarde (...) Ah! mon Pape, la belle mule! »
A. Daudet, Lettres de mon moulin,1869, p. 63. 2. Courageux, vaillant : 7. « Pour rendre les faucons braves et vaillants, il faut les nourrir, (...) avec le cœur des animaux braves et vaillants (...) tels que taureaux, sangliers et loups. »
A. Dumas Père, La Reine Margot,1847, III, 8, p. 117. 3. Bon, gentil : 8. − Ah, tu sais, nous gardons le chat. Il est des grandes Bastides. Tu te souviens, quand Chabassut m'a apporté une charretée de foin? Il était couché dedans, paraît; c'est son chat. L'est bien brave. C'est une bonne bestiole; elle attrape les rats, faut voir ça.
Giono, Colline,1929, p. 196. C.− [En parlant d'une chose] 1. [En parlant d'un mets, d'une boisson] Excellent : 9. Une demi-bouteille de « côte-rouge » (...) Les charbonniers (...) n'en buvaient jamais d'aussi brave.
G. d'Esparbès, La Légende de l'outil,1903, p. 174. 2. [Par personnification, avec une nuance affective] Bon : 10. Le Golria était un de ces vrais paquebots faits pour naviguer (...) et comme on n'en verra plus beaucoup, toutes ces « cages à poules » hautes sur l'eau, tous ces bons, vieux et braves bateaux ayant été envoyés par le fond durant la Grande Guerre et la Guerre Mondiale.
Cendrars, Le Lotissement du ciel,1949, p. 14. II.− Substantif A.− 1. Homme courageux qui ne craint pas les dangers ou les entreprises difficiles, qui les a affrontés. Il n'y a pas d'heures pour les braves (Verlaine,
Œuvres posthumes, t. 1, Souvenirs, 1896, p. 206): 11. ... tu es sûr du cœur et du bras de ce gladiateur? Il faut un brave pour défaire Sigognac, lequel, je l'avoue, bien que je le haïsse, n'est point lâche, puisqu'il a bien osé se mesurer contre moi-même.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 347. − Loc. Se conduire en brave (Ac.1932).P. ext. [En parlant d'un animal] Il [le sanglier] prit son parti en brave, il fit tête aux chiens (Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 596). ♦ Un faux brave. Homme qui cherche à passer pour brave mais qui ne l'est pas. Il n'y a que les faux braves qui prétendent n'avoir jamais manqué de force et de cœur (G. Sand, Lettres d'un voyageur,1837, p. 5). ♦ Faire le brave. Chercher à paraître brave. Quand on a peur, on ne fait pas le brave (Musset, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée,1845, p. 247).Faire le brave contre Dieu : 12. L'héroïne racinienne relève la tête, se dresse contre l'aigle menaçant et prêt à fondre; Athalie fait la brave contre Dieu.
Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 195. 2. Spéc. Vaillant soldat. Se battre en brave (Ac.1932).Foi de brave! C'était un brave qui avait reçu la médaille militaire (Bordeaux, Les Derniers jours du fort de Vaux,1916, p. 221). ♦ [Désigne en partic. les soldats de Napoléon Bonaparte] :
13. ... les Français s'aperçoivent que leur général n'est point avec eux. Un cri se fait entendre : « Soldats, en avant pour sauver le général! » Les braves reviennent aussitôt au pas de course sur l'ennemi, le repoussent jusqu'au delà du pont et Napoléon est sauvé.
Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 551. ♦ [En parlant d'hommes de guerre fameux : Ney, La Fayette, etc.] Le brave des braves. ♦ Par dérision : 14. Sa redingote bleue [de Philippe], blanchie aux lisières, était toujours décorée de la rosette. Aussi les passants regardaient-ils ce brave (...) avec une curiosité mêlée de pitié : car la rosette inquiétait le regard et jetait l'ultra le plus féroce en des doutes honorables pour la Légion-d'Honneur.
Balzac, La Rabouilleuse,1842, p. 350. ♦ Brave à trois poils. Soldat d'une bravoure éprouvée. Synon. auj. poilu (d'apr. J. de La Varende, Monsieur le Duc de Saint-Simon et sa Comédie humaine, 1955, p. 14) : 15. Il s'est comporté brillamment au front. Il a été blessé deux ou trois fois; d'ailleurs pas gravement. Des citations. La croix de guerre avec palmes. Il a fini la guerre comme capitaine de chasseurs alpins. On lui a collé la croix le 14 juillet dernier, sur son uniforme de brave à trois poils.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 113. − P. ext. Homme dont la profession est de se battre : 16. Des braves de profession, classe d'hommes que la conquête avait créée, s'offraient en foule pour servir d'escorte jusqu'au terme du voyage; ...
Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 2, 1840, p. 110. B.− [En constr. d'apostrophe, par appellation fam. et condescendante] Mon brave : 17. ... celui-ci [Maheu] reprit, la langue déjà empâtée et maladroite : − Alors, monsieur, c'est tout ce que vous répondez.. Nous allons dire aux autres que vous repoussez nos conditions.
− Moi, mon brave, s'écria le directeur, mais je ne repousse rien! ... Je suis un salarié comme vous, je n'ai pas plus de volonté ici que le dernier de vos galibots.
Zola, Germinal,1885, p. 1324. Rem. On rencontre dans la docum. a) Le néol. bravette, adj. fém. Gentiment brave, jolie, gentillette, bonne (cf. A. Daudet, Numa Roumestan, 1881, p. 31, 282; Tartarin sur les Alpes, 1885, p. 144; Port-Tarascon, 1890, p. 148). b) Le néol. bravomme, subst. masc. (L. Daudet, Bréviaire du journ., 1936, p. 167). Cf. brave homme supra I A 2 b. c) Le région. braveté, subst. fém. Qualité de braves gens. Ciel de Dieu! sont-elles bonnes pour nous, ces sœurs du Caylar! Cause de notre braveté en le pays (F. Fabre, Le Chevrier, 1867, p. 298). − Cf. braverie. − 1reattest. av. 1544 « élégance (ici, verbale) » (B. des Périers, Joyeux Devis, XXX-137, éd. Frank et Chenevière dans IGLF Litt.), seulement au xvies.; av. 1553 « bravoure, courage » (Amadis, 244, ibid.), rare et arch.; dér. de brave, suff. -eté (-ité*). PRONONC. ET ORTH. : [bʀa:v]. Enq. : /bʀav/. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. brâve pour souligner la durée de la voyelle. Barbeau-Rodhe 1930 transcrit l'expr. un brave homme : [œ
̃bʀavɔm]. ÉTYMOL. ET HIST. − [Av. 1521 subst. brave « spadassin », v. bravo; l'adj. n'est pas attesté dans le Bon Berger de J. de Brie, comme le croit Quem. : les éd. du xvies. de cette œuvre (dont le ms. de 1379 est perdu) donnent vraye là où P. Lacroix, éditeur du xixes., a lu brave (d'apr. E. von Kraemer dans Actes du 4eCongrès des Romanistes Scandinaves, Copenhague, 1967, p. 80)]; 1. apr. 1535 « beau » (N. de Troyes, Grand Parangon, 51 dans Hug. : pompeuses et braves robes); 2. 1541 « fier, arrogant » (G. de Selve, Huict Vies de Plutarque, Coriolan, 84 ro, ibid. : jeunes gens braves et ostentateurs); 3. av. 1544 « bon » [en parlant d'une pers.] (Marot, le Balladin, ibid.) qualifié de ,,familier`` dep. Trév. 1704; 4. av. 1544 « noble » (Marot, Chants divers, 13, ibid. : brave origine); 5. 1549 « courageux » (M. Scève, Relation de l'Entrée triomphale de Henri II à Lyon dans A. Baur, Maurice Scève et la Renaissance lyonn., Paris, 1906, p. 95).
Empr., en raison du caractère italianisant des 1ersaut. fr. attestant le mot (N. de Troyes, Rabelais, G. de Selve), à l'ital. bravo, attesté dep. 1346-67 (au sens de « courageux », Fazio dans Batt.; au sens d'« arrogant », av. 1529, Castiglione, ibid.; au sens de « bon », dep. 1555, Varchi, ibid.; également « sauvage, indompté [en parlant d'un animal] », dep. le xves., Pulci, ibid.), lui-même prob. empr., plutôt qu'à l'esp. (v. DEI et Cor., s.v. bravo), au prov. brau « sauvage » (dep. la 2emoitié du xies., Chanson de Ste Foy d'Agen, 455 dans E. von Kraemer, loc. cit., p. 76). Le prov., de même que le cat. brau dep. 1284, d'apr. Alc.-Moll., le port. bravo (dep. 1124 d'apr. Mach., s.v. barbaro) et l'esp. bravo (dep. 1030, doc. de León d'apr. Cor. et Menéndez Pidal, Origenes del español, 1964, p. 325), sont prob. issus du lat. barbărus, d'abord « barbare » (v. ce mot) puis « fier, sauvage » en parlant des animaux (Pline dans TLL s.v., 1740, 31, d'où esp. bravo appliqué au taureau et prov. brau « taureau », v. brau2), « sauvage » en parlant des plantes (Id., ibid., 28) et « inculte » en parlant de sols (en lat. médiév., v. attest. du domaine port. citées par J. Cornu dans Romania, t. 13, p. 112), devenu *barbru, puis par dissimilation *babru, d'où *brabu par translation du 2er (v. J. Çornu, loc. cit., pp. 110-113, Cor. et EWFS2). Cette étymol., proposée d'abord par J. Cornu, est reprise par tous les dict. étymol. modernes (REW5, EWFS2, FEW, Bl.-W.5, Cor., DEI) et par P. Aebischer dans R. port. Filol., t. 6, pp. 37-50. Se fondant sur des formules du Léon où le lat. pravus a le sens de « inculte » ou « sauvage », Menéndez Pidal, loc. cit., propose de voir dans ce mot l'orig. du mot rom., mais pravus représente prob. ici une fausse latinisation de bravo, très anc. sur le sol ibérique (cf. le topon. Costa Brava; v. aussi Cor., G. Rohlfs dans R. Ling. rom., t. 21, p. 308 et E. H. Tuttle dans Language, t. 7, pp. 213-214). L'hyp. de G. G. Nicholson dans Mél. Roques, t. 1, 1950, pp. 209-216, qui voit dans bravo un b. lat. bravus, latinisation du galicien brau, représentant un *branus issu de l'a. fr. brahain (fém. brehaine, fr. mod. bréhaigne*) « stérile », est invraisemblable. STAT. − Fréq. abs. littér. : 4 998. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 460, b) 11 074; xxes. : a) 8 311, b) 3 952. BBG. − Aebischer (P.). Sur l'orig. port. de port., esp. bravo. R. port. Filol. 1953-55, t 6, pp. 37-50. − Brüch 1913, p. 103. − Cornu (J.). Bravo. Romania, 1884, t. 13, pp. 110-113. − Duch. 1967, § 13, 14, 41. − Feugère (F.). En marge de l'exposition Charles V. dans le vocab. de Duguesclin. Déf. Lang. fr. 1968, no45 p. 26. − Gottsch. Redens. 1930, passim. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 117, 118. − Hope 1971, p. 30, 167. − Kidman (J.). Les Empr. lexicol. du fr. à l'esp. des orig. jusqu'à la fin du xves. Paris, 1969, pp. 273-274. − Kohlm. 1901, p. 33. − Kraemer (E. von). Rem. sém. sur les descendants rom. de *brabus < barbarus. In : CONGRÈS DES ROMANISTES SCANDINAVES. 4. 1967. Copenhague. Copenhague, 1967, pp. 79-82. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 293. − Menéndez Pidal (R.). Orígenes del español. 5a ed. Madrid, 1964, p. 325. − Nicholson (G. G.). Orig. du mot brave. In : [Mél. Roques (M.)]. Paris, 1950, t. 1, pp. 209-216. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. Rem. lexicogr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 364. − Rohlfs (G.). Aspekte und Probleme spanischer Etymologie. R. Ling. rom. 1957, t. 21, p. 308. − Rupp. 1915, pp. 44-45. − Sain. Autour Sources 1935, pp. 161-168. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], pp. 415-417. − Sar. 1920, p. 38. − Schmeck (H.). Zu mfr. brave. Rom. Forsch. 1947, t. 60, pp. 551-553. − Tracc. 1907, pp. 116-117. − Wind 1928, p. 184, 206. − Zacc. 1927, pp. 65-66. |