| BERLUE, subst. fém. A.− MÉD., vx. ,,Lésion de la vue, dans laquelle on voit des objets que l'on n'a pas réellement devant les yeux, tel que des mouches, des toiles d'araignées, etc.`` (Littré-Robin 1865) : 1. ... le sentiment du vide persiste, et l'entrain de vivre n'est pas revenu avec le réveil. Je sens même une berlue poindre dans ma rétine...
Amiel, Journal intime,1866, p. 319. B.− P. ext. − Fam. Avoir la berlue. Voir les choses de travers en déformant la réalité ou en percevant des objets imaginaires. Synon. avoir une hallucination : 2. Il a fallu marcher sous le soleil, dans le sable, où les gens sujets d'avoir la berlue voyaient des eaux desquelles on ne pouvait pas boire, et de l'ombre que ça faisait suer.
Balzac, Le Médecin de campagne,1833, p. 173. ♦ P. métaph. Se faire une idée fausse de quelque chose. C'est drôle comme ton discernement a des berlues quelquefois! (Flaubert, Correspondance,1853, p. 163). − [En parlant de choses] Donner la berlue. ... tellement agités et si nombreux qu'ils vous en donnaient la berlue (Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 454). − Se faire des berlues, ne pas se faire de berlue (A. Le Breton, Du Rififi chez les Hommes, 1953, p. 21). (Ne pas) se faire des illusions. Rem. On rencontre dans la docum. la loc. ne pas avoir la berludondaine (R. Martin du Gard, La Gonfle, 1928, I, 6, p. 1194). N'avoir pas la berlue. PRONONC. : [bε
ʀly]. ÉTYMOL. ET HIST. − a) xiiies. bellue « fable, discours merveilleux destiné à aveugler l'esprit » (Rutebeuf, I, 295 dans T.-L. : Ele li dist tan de bellües, De truffes et de fanfelües, Qu'ele li fet à force entendre Que le ciel sera demain cendre), attest. isolée; b) 1536 berlue (Nicolas de Troyes d'apr. Lar. Lang. fr.); 1596 (Hulsius, Dict. françois-alemand et alemand-françois, d'apr. Behrens dans Z. fr. Spr. Lit., t. 23, p. ); c) 1828 brelue (F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, t. 2, p. 351).
Orig. obsc.; − soit (hyp. de Diez5) déverbal de belluer xives. « éblouir » (Lefevre, Lamentations de Mattheolus dans T.-L.) [l'attestation fournie par Gdf., Vers de la mort, est erronée cf. éd. Wulff et Walberg, III, 8] lui-même formé du préf. péjoratif bes-, lat. bis (cf. bellonc pour beslonc, v. barlong; bellourd pour beslort, v. balourd) et de -lucare d'apr. les verbes lat. dér. de lux « lumière » : interlucare, sublucare; cf., de même orig., l'a. fr. esluer « glisser, s'évanouir ». (Vers de la mort, III, 8) erlue « tromperie » (Renart, éd. Martin X, 1384 dans Tilander, Lexique Renart), de même l'a. fr. tresluer « tromper » (xiiies.? dans Gdf.), treslue (Renart, éd. Martin, I, 2018), formes citées sous l'étymon lux par FEW t. 5, p. 478 b; à rapprocher aussi, du point de vue morphol., de la loc. ital. a barluzzo « de jour et de nuit » (DEI) − soit, plus prob., parce que cette hyp. rend mieux compte de l'ensemble de cette famille, v. bluette (Schuchardt dans Z. rom. Philol., t. 28, p. 143; FEW, s.v. pompholyx), d'un lat. vulg. *bisluca, forme issue à la fin de l'Empire, par substitution du préf. bis- à la syll. initiale du b. lat. famfaluca (a. fr. fanfelue dep. le xiies. dans T.-L.; cf. aussi ex. de Rutebeuf supra) v. fanfreluche; en cette hyp. belluer est dér. de bellue, ce qui est plus en accord avec la chronologie des attestations. Brelue par métathèse pop. L'hyp. d'une orig. gaul. proposée par EWFS2semble peu solide. STAT. − Fréq. abs. littér. : 42. DÉR. Berlurer, verbe,arg. Raconter des histoires imaginaires. C'est toujours les paumés qui berlurent le plus et viennent vous parler d'affaires miraculeuses (A. Simonin, Le Pt Simonin ill.,1957, p. 216).− 1reattest. 1957, id.; terme pic. (Corblet 1851, Jouanc. t. 1 1880), dér. de berlue, étymol. I peut-être d'apr. lure, lurette, turelure, turelurer (cf. FEW t. 5, pp. 463-464), dés. -er. BBG. − Guiraud (P.). Le Champ morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, no1, p. 100. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 215. |