| BANNIÈRE, subst. fém. A.− HIST. Drapeau militaire féodal. 1. FÉOD. Enseigne quadrangulaire que le seigneur ou chevalier banneret avait le droit de porter à la guerre et sous laquelle se rangeaient ses vassaux. Lever (la) bannière; arborer la bannière; se ranger sous la bannière : 1. C'était bien beau. Une procession de tous les gentilshommes de France avec leurs oriflammes qui rougeoyaient à l'œil. Il y avait ceux à pennon et ceux à bannière. Que sais-je, moi? Le sire de Calan, à pennon; Jean de Châteaumorant, à bannière; le sire de Coucy, à bannière, et plus étoffément que nul des autres, excepté le duc de Bourbon...
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 392. SYNT. Bannière de France. Celle des anciens rois de France lorsqu'ils allaient à la guerre (Barante, Hist. des ducs de Bourgogne, t. 2, 1821-24, p. 189). Fief de bannière. Fief de chevalier banneret (Chateaubriand, Ét. hist., 1831, p. 375). 2. P. anal., HÉRALD. En bannière. Manière de disposer les armes en carré, comme les bannières féodales, plus honorable qu'en écusson ou en pointe. Armes, armoiries, écu en bannière. Rem. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixeet du xxesiècle. 3. P. méton. Compagnie de vassaux formée par le seigneur banneret et qui se rangeait sous sa bannière. Rem. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixes. ainsi que dans Rob. et Lar. encyclop. − P. ext., terme d'anc. dr. coutumier.Ensemble de personnes habitant dans un quartier. Chef de bannière. Capitaine de quartier dans une ville (Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, Guérin 1892, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e): 2. Dans les sept quartiers de la ville nommés bannières, parce que chacun avait son drapeau et ses couleurs, les citoyens [de Besançon] choisissaient tous les ans vingt-huit notables qui, à leur tour, nommaient quatorze personnes deux par bannière, pour former la magistrature de l'année.
A. Thierry, Essai sur l'hist. de la formation et des progrès du Tiers-état,1853, p. 337. − Loc. Cent ans bannière, cent ans civière. En parlant des changements de fortune qui surviennent dans les familles, la civière étant autrefois un instrument des travaux les plus abjects. Rem. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixesiècle. B.− P. ext. Étendard de ralliement. 1. Signe de ralliement d'un mouvement, d'une faction, d'une organisation, dont il symbolise les idéaux. Synon. de drapeau national : 3. « Qu'est-ce que c'est que cette fantaisie? dit ma mère. Tu salues le drapeau à présent? C'est tout à fait inutile. » J'essayai de lui expliquer, mais elle me coupa la parole en me parlant de ma grand'tante qui, elle, avait bravé les baïonnettes des soldats fédéraux plutôt que de s'incliner devant la bannière du Nord. Que de fois on m'avait conté cette histoire! Les soldats en bleu sombre autour de la crinoline indignée, le drapeau tendu en travers de la rue, l'officier à barbe discutant avec la dame rebelle, cette scène était pour moi une des plus importantes de toute la guerre de Sécession.
Green, Journal,1932, p. 91. ♦ Bannière étoilée. Drapeau national des États-Unis d'Amérique : 4. Mais à l'élan patriotique se mêlait, ce jour-là, [à Colmar] un autre élément d'enthousiasme : la fraternité d'armes entre Français et Américains. (...). Au centre de la place Rapp submergée de drapeaux tricolores et de bannières étoilées, devant le front de nos troupes et de celles de nos alliés rangées fièrement côte à côte, sous les vivats de la foule alsacienne, (...), je décorai d'abord le général de Lattre, vainqueur de Colmar.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 151. − Spéc., MAR., vx. Nom du pavillon de poupe. Synon. actuel pavillon. Rem. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixeet du xxesiècle. 2. Étendard, généralement suspendu aux branches d'une hampe en T, que l'on porte aux processions et servant à distinguer une paroisse ou une confrérie : 5. C'est la procession qui arrive d'un pas rythmé, la première procession du printemps. − la voilà dans le chemin vert, − elle va passer devant nous. (...). La bannière de la Vierge passe, portée par deux jeunes hommes recueillis et graves. Tous les hommes de Trémeulé et de Toulven la suivent, tête nue, jeunes et vieux, leur feutre bas, ...
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 270. − Se dit également pour des corporations et plus rarement pour un club : 6. Notre hôtel des Trois Maures était, dit-on, l'ancien palais des Fugger. (...). Nous vîmes à la cathédrale les antiques bannières des métiers : antiques pour le fond de l'étoffe; les figures ont été renouvelées. Bannières cramoisies des tailleurs, bleues des boulangers, vertes des jardiniers, etc. Elles ne servent plus pour l'assemblée ni le combat, mais seulement pour les processions. Les vieilles corporations ont leurs bannières dans ce chœur poudreux, abandonné, près du Siège carlovingien de saint Ulric...
Michelet, Journal,1842, p. 439. − Loc. proverbiales a) La croix et la bannière. Le maximum de cérémonie : 7. « Cela dit, la croix en tête et la bannière du comte venant ensuite, on entra dans la ville en chantant le Te Deum. On alla droit à l'église, et on la réconcilia, en y plantant la croix au plus haut de la tour, on plaça ailleurs l'étendard du comte; et il était juste que la croix précédât et dominât l'étendard, car c'était le Christ qui avait pris la ville.
Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 1, 1840, p. 44. − Au fig. : 8. − Attendez-moi un instant, dit le voisin en faisant asseoir Octave, je vais faire un bout de toilette. − Je vous en supplie, monsieur, dit Octave en se levant, ne faites point de cérémonies à cause de moi. − Eh! monsieur, s'écria le vieillard avec un sourire, c'est aujourd'hui fête; on sort la croix et la bannière, comme on dit; je ne puis point rester comme je suis là. Ne voyez-vous pas que je suis en cuisinier?
Murger, Scènes de la Vie de jeunesse,1851, p. 125. b) C'est (il faut) la croix et la bannière (pour)... Cela représente beaucoup d'embarras, de difficultés (Gide, Si le grain ne meurt, 1924, p. 431). 3. P. métaph. a) [En parlant d'une pers., de ses idées, de ses opinions] Synon. de école : 9. Dans le vocabulaire musical du xxesiècle, on a désormais adopté l'expression « école de Vienne » − malgré les autres souvenirs historiques qui y sont attachés − pour signifier que l'on réunit sous la même bannière Arnold Schoenberg et ses deux disciples les plus illustres : Alban Berg et Anton Webern. (...).
L'école de Vienne nous propose l'exemple de trois créateurs qui, en deçà des mille liens esthétiques et humains qui les rassemblent, indiquent trois directions parfois divergentes, trois styles parfaitement différenciés, trois œuvres enfin aux visages profondément dissemblables. On en connaît cependant le dénominateur commun : ...
G. Samuel, Panorama de l'art musical contemp.,1962, p. 203. b) [Dans un cont. pol.] Synon. de parti : 10. ... c'est en France que peut s'opérer la contre-révolution, et que le système atroce qui règne doit favoriser le retour à l'ancien régime; mais qu'il faut offrir au peuple une bannière sous laquelle il puisse se rallier.
Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1693. c) Au fig. Signe de ralliement : 11. Aux temps naïfs où le tyran rasait des villes pour sa plus grande gloire, où l'esclave enchaîné au char du vainqueur défilait dans les villes en fête... devant des crimes aussi candides, la conscience pouvait être ferme, et le jugement clair. Mais les camps d'esclaves sous la bannière de la liberté, les massacres justifiés par l'amour de l'homme ou le goût de la surhumanité, désemparent, en un sens, le jugement.
Camus, L'Homme révolté,1951, p. 14. − Loc. Se ranger sous la bannière de... Partager les idées de..., adhérer au parti de... : 12. On sent qu'un changement de régime n'amènerait rien de neuf, et précisément parce que tout le monde crie contre l'Empire, je crois l'Empire solide. On ne trouverait pas vingt hommes pour se ranger sous une bannière, le mot d'ordre manque à tous les partis; ...
Flaubert, Correspondance,1868, p. 363. C.− [P. anal. de forme (sans valeur symbolique)] MAR. Voiles en bannière. Voiles non fixées du bas, dont les écoutes sont larguées ou cassées et qui flottent librement. Larguer les voiles en bannière : 13. Pour faciliter le séchage des voiles en rade, on peut, lorsqu'il n'y a aucune brise, les larguer en bannière au lieu de les larguer sur les cargues.
J. Galopin, Cours de lang. mar.,Matelotage et technol., 1925, p. 21. − P. méton. ♦ Autrefois, manière d'effectuer des signaux convenus en laissant voltiger les perroquets et les cacatois. Rem. Attesté dans Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, Quillet 1965. ♦ Par calme plat, manière de hisser des pavillons pour effectuer des signaux convenus. Rem. 1. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixes. ainsi que dans Lar. 20eet Quillet 1965. Rem. 2. La lang. de la pêche connaît le sens « longueur de la ligne comprise entre l'extrémité de la canne et le flotteur » : 14. Et faire vite, car le garbeau ne traîne pas. Une mouche artificielle, (...) cela n'a pas de goût, on appelle ça un « leurre » : le chevesne l'a tôt recrachée (...). Ce grand pendard de fil, cette bannière démesurée tord sur l'eau des méandres avachis...
Genevoix, La Boîte à pêche,1926, p. 60. Rem. 3. Peut-être s'agit-il d'un emploi méton. de bannière, drapeau très allongé, s'étendant entre la hampe et son extrémité (souvent terminée par des ornements). D.− Pop. Chemise, pan de chemise : 15. ... elle [Clémence] rabattait le pan de devant [de la chemise d'homme] et le plissait également à larges coups.
− Ça, c'est la bannière! dit-elle en riant plus fort.
Zola, L'Assommoir,1877, p. 512. PRONONC. ET ORTH. : [banjε:ʀ]. Ortho-vert 1966, p. 258, signale que ,,la finale -anière ne prend qu'un n : casanière... sauf dans bannière``. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Fin xiies. dr. féod. « enseigne sous laquelle le seigneur faisait marcher ceux qui lui devaient le service militaire » (Lambert Le Tort, A. de Bernay, Alexandre, éd. H. Michelant, 184, 14 dans T.-L. : Ja de millor de vus nen ert lance brisie Ne fors escus saisis ne baniere lacie); 2emoitié xiiies. p. ext. « ensemble des vassaux rangés sous cette enseigne » (Gaufrey, éd. F. Guessard et P. Chabaille, 96, ibid. : Deus mile Sarrasins avoit en sa baniere); 2. ca 1209 « symbole » (Reclus de Molliens, Miserere, éd. van Hamel, 93, 8, ibid. : Chil − Lucifer − porte d'orguel le baniere); 1erquart xiiies. « parti, signe de ralliement » (G. de Coincy, Mir. Notre-Dame, 1937 dans IGLF Litt. : Nostre Dame est nostre fiance Nostre refuiz, nostre estandars, Nostre enseigne, nostre baniere); employé couramment dans l'expr. fam. se ranger sous la bannière de qqn « se ranger de son parti » 1835 (Ac.); 3. 1557 « drapeau d'une confrérie religieuse que l'on porte dans les processions » (L. Deschamps de Pas, Inventaire des ornements, reliquaires de l'église collégiale de Saint-Omer : Deux vexilles ou bannières de soie changeant); d'où 1690 fig. et iron. (avec) la Croix et la Banniere « (avec) beaucoup de cérémonies » (Fur.); 4. a) xvies. mar. p. anal. « pavillon de la poupe d'un vaisseau » (Ant. de Conflans, Les faits de la marine et navigaige dans Jal1: La nef du Roy ou de son Admiral et lieutenant, si ledit seigneur − Roi − n'y estoit en personne, portera la Bannière ordinairement en la hune que l'on appelle gabie en Leuant); 1690 spéc. [voile] perroquet en bannière (Fur.); b) 1612 hérald. p. anal. en bannière (écu, armes) « de forme carrée, comme les bannières féodales » (Favyn, Hist. de Navarre, liv. XI, p. 621 dans Trév. 1752 : Je n'ai vû en tout Paris qu'un écu en banniére, en la rue de Joüi sur une porte); c) 1828-29 pop. « pan de chemise » (F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, t. 3, p. 335 : comme j'étais ce qu'on appelle en petite tenue de dragon, c'est à dire le paniau volant ou la bannière au vent, je me retirai bien vite).
Prob. dér. de ban*; le suff. -ière* indique que ce mot désignait peut-être à l'orig. le lieu où était planté l'enseigne, symbole du droit de ban.
Le recours à l'hyp. d'un terme prélittéraire *bandiere issu du germ. occ. *banda « signe » corresp. au got. bandwa (bande* « troupe ») croisé avec bannir* (EWFS2, Kluge20s.v. Banner) n'est nécessaire ni phonétiquement ni sémantiquement. De même que pour bannir/bandir, il semble que l'on peut distinguer deux filons distincts : ban/bannière et got. bandwa, bandwo « signe », d'où le lat. médiév. bandum, bandus « labarum » (xes., CGL, V, 505, 7) et les dér. rom. (prob. avec infl. du fr. bannière) : a. prov. bandiera « bannière » (xiiies. dans Rayn.), d'où prob. l'ital. bandiera « id. » (xiiies. dans DEI), v. bandière. STAT. − Fréq. abs. littér. : 528. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 161, b) 754; xxes. : a) 657, b) 455. BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 326, 351, 450. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 143. − Rog. 1965, p. 102. − Sain. Lang. par. 1920, p. 141. |