| BAFOUILLER, verbe trans. A.− Gén. en emploi abs. 1. Fam. Parler d'une manière confuse, incohérente, et peu intelligible (par timidité, sous l'effet de l'alcool ou à la suite d'une émotion violente). Le succès le faisait bafouiller : 1. Mais elle était lancée, maintenant; elle allait, vidant sa hotte aux gros mots et son bac aux reproches. Cela coulait de sa bouche comme un ruisseau qui roule des ordures. Les paroles précipitées semblaient se battre pour sortir. Elle bredouillait, bégayait, bafouillait, retrouvant soudain de la voix pour jeter une injure, un juron.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Une Soirée, 1883, p. 1274. 2. Enfin me revoilà dans un placard sur le théâtre. Antoine, qui est de fort mauvaise humeur, ne sait pas plus son rôle qu'à la répétition générale. Il intervertit les choses, passe des phrases, bafouille.
E. et J. de Goncourt, Journal,1893, p. 350. 2. Argotique a) Se tromper dans une réponse (argot de Polytechnique) (cf. Esn. 1966). − P. anal. Se tromper dans l'exécution d'un morceau de musique (cf. Rossignol, Dict. d'arg., arg.-fr. et fr.-arg., 1901, p. 9). b) Écrire une lettre (cf. bafouille* ) cf. A.-L. Dussort, Journal, 1930, dép. par G. Esnault, 1953, p. 21). 3. P. ext., TECHN. [En parlant d'un moteur] Être affecté d'un fonctionnement défectueux caractérisé par des variations rapides du régime de rotation. Synon. fam. avoir des ratés. 4. Au fig., péj., domaine de l'art, de la pensée, de la sc.Errer, faire des essais successifs incohérents dont le résultat demeure imparfait : 3. M. Monet a longtemps bafouillé lâchant de courtes improvisations, bâclant des bouts de paysages, d'aigres salades d'écorces d'orange.
Huysmans, L'Art mod.,1883, p. 292. 4. [Le comte à Donnadieu]
− Pour l'instant, la thérapeutique bafouille quand elle s'attaque à tout ce qui est classé sous les vocables de « déséquilibre » et de « manie » ...
H. Bazin, La Tête contre les murs,1949, p. 95. B.− Emploi trans. [Avec un obj. interne] Énoncer de manière confuse ou incohérente quelque chose. Bafouiller des mots sans suite, des compliments : 5. Les domestiques effrayés s'empressèrent d'aller chercher le médecin de Fontenay qui ne comprit absolument rien à l'état de Des Esseintes. Il bafouilla quelques termes médicaux, tâta le pouls, examina la langue du malade, tenta mais en vain de le faire parler, ordonna des calmants et du repos, promit de revenir le lendemain...
Huysmans, À rebours,1884, p. 165. 6. Camille demeura la bouche ouverte. Ses yeux clairs, un peu globuleux, étaient fixes. Enfin, il bafouilla des mots incohérents.
Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 105. Rem. On rencontre dans la docum. l'emploi de l'adj. verbal bafouillant. L'amabilité débordante, baveuse, bafouillante (E. et J. de Goncourt, Journal, 1884, p. 329), voix pressée et bafouillante (Gracq, Le Rivage des Syrtes, 1951, p. 309). ,,Elle m'avait saisi les mains, soudain bredouillante, bafouillante, suffoquée. Elle disait des choses extraordinaires`` (G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 125). PRONONC. : [bafuje], (je) bafouille [bafuj]. Passy 1914 note une durée mi-longue pour la 2esyll. de la forme conjuguée. ÉTYMOL. ET HIST. − Av. 1870 « se tromper dans une réponse » arg. de l'École polytechnique (d'apr. Esn. 1965).
Orig. obsc.; prob. empr., avec attraction de bafouer*, au lyonnais barfouiller (1810, Molard, Lyonoisismes ou Recueil d'expr. vicieuses... ds Sain. Lang. par., p. 307 : Barfouiller, barfouillage. Dites : barboter, barbotage. C'est l'action des oies par laquelle elles cherchent à manger dans des ruisseaux bourbeux, en y fourrant le bec. Au figuré, c'est mettre les mains dans l'eau en l'agitant); cf. Du Puitsp., s.v. barfoyi, d'où ensuite « barboter en parlant »; le lyonn. barfouiller résulte lui-même d'une altération de barbouiller* par croisement avec fouiller*. L'hyp. retenue par Bl.-W.5, FEW (s.v. *fodiculare, t. 3, p. 672a) d'une formation du rad. onomat. *baff- (exprimant la not. d'épais, de gonflé, de boursouflé d'où « parler la bouche pleine ») et de fouiller* est recevable, mais l'existence ant. du lyonn. barfouiller rend la 1rehyp. plus probable. [Contrairement aux indications de Dauzat68et Bl.-W.5, le mot n'est pas attesté ds Lar. 19e]. STAT. − Fréq. abs. littér. : 174. DÉR. 1. Bafouillard, arde, adj.Qui bafouille. ,,Il en était tout déconcerté, tout ému, tout bafouillard`` (Céline, Mort à crédit,1936, p. 285).Selon Esn. 1966, le subst. la bafouillarde désigne une lettre.Synon. babillarde.− 1reattest. 1903, (Bloy, Journal, p. 186); dér. de bafouiller*, suff. -ard*. − Fréq. abs. littér. : 2. 2. Bafouillis, subst. masc.Bafouillage dans lequel les mots donnent une impression de fouillis et d'incohérence. Guérir le bégaiement et le bafouillis (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 373).− 1reattest. 1932 (Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 424); dér. de bafouiller*, suff. -is*. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Esn. 1966. − France 1907. − Larch. Suppl. 1880. − Lévy-Pinet 1894. − Sain. Lang. par. 1920, p. 307. − Sandry-Carr. Th. 1963. − Wartburg (W. von). Einführung in Problematik und Methodik der Sprachwissenschaft. Tübingen, 1943 [Cr. Jaberg (K.). Vox rom. 1943/44, t. 7, p. 280]. |