| AULNE, subst. masc. BOT. Arbre de la famille des Bétulacées, à fleurs en chatons, qui croît dans les lieux humides et marécageux. Synon. vergne, verne :1. À cette heure indécise où le jour va mourir,
Où tout s'endort, le cœur oubliant de souffrir,
Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,
Que de fois sous ses yeux un chariot champêtre,
Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix,
A gravi sur le flanc du coteau dans les bois
Quelque route creusée entre les ocres jaunes,
Tandis que, près d'une eau qui fuyait sous les aulnes,
Il écoutait gémir dans les brumes du soir
Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir!
Hugo, Les Rayons et les Ombres,1840, p. 1102. SYNT. Aune commun, grisâtre, visqueux; bouquet, écorce, touffe d'aune. Rem. On lit ds Besch. 1845 ,,Nom d'un génie malfaisant qui, suivant les Allemands, habitait les campagnes, les fontaines. Le roi des aunes``. Mais le roi des aunes est la trad. erronée due à Ch. Nodier, de Erlkönig, titre de la célèbre ballade de Gœthe (1782), où aunes ne désigne pas des génies, mais des arbres poussant dans les lieux marécageux. Goethe lui-même avait empr. son titre à Herder, lequel en l'adaptant du danois ellerkonge (« roi des elfes ») avait fait un premier contresens en le traduisant par Erlkönig « roi des aulnes » (d'apr. Kluge 1967) : 2. Des saules, des saules; des prés où marchent des moutons à haute laine, où ruminent paisiblement des vaches blanches et noires; quelquefois un héron qui s'envole; des maisonnettes dispersées, propres, nettes à faire envie; des saignées pleines d'eau encore saisie par la glace et miroitant sous le froid soleil de février; des taillis dépouillés où, la nuit, vient errer le roi des aulnes, et toujours et partout, un moulin qui tourne.
Du Camp, En Hollande,1859, p. 6. PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [o:n]. 2. Homon. et homogr. : aune1. 3. Forme graph. − Ac. 1932 note la forme aune en précisant ,,on écrit aussi aulne``. Rob., Lar. encyclop. et Quillet 1965 donnent parallèlement aulne ou aune. 4. Hist. − Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787, Ac. 1798 (ainsi que les éd. de 1835 et 1878), Lar. 19e(et Nouv. Lar. ill.) ainsi que Littré et DG enregistrent aune comme vedette princ. Parmi ces dict., Ac. 1835, 1878, Lar. 19e, Littré et DG consacrent à aulne une vedette de renvoi à aune. Noter que Ac. 1835 et 1878 signalent de plus, s.v. aune : ,,Quelques-uns écrivent aulne.`` Besch. 1845 enregistre la vedette ,,aune, autrefois aulne``. Land. 1834, Guérin 1892 et Pt Lar. 1906 admettent aune ou aulne. Buben 1935, p. 110, § 113, rappelle : ,,à l'époque où sévissait la manie des lettres étymologiques, les savants et les scribes lettrés ont pris l'habitude de réintroduire dans l'écriture un l vocalisé ou amuï. (...) Cet l, qui n'était jamais prononcé, a été supprimé au cours du xviiesiècle dans la plupart de ces mots et n'a été conservé que dans les mots suivants : aulx (pl. de ail), fils, pouls; aulne, aulnaie, aulnée, faulx, faulde, graphies archaïsantes pour aune, aunaie, aunée, faux, faude (...) ici l'orthographe n'a pas altéré la prononciation primitive et ces mots se prononcent toujours [o, fis, o:n, oˑnε, oˑne, fo, fo:d]``. Cf. aussi Clédat 1930, p. 63, ainsi que Mart. Comment prononce 1913, p. 261. ÉTYMOL. ET HIST. − Ca 1200 ausne « bois d'aune » (Escoufle, éd. H. Michelant et P. Meyer, 5222 ds T.-L. : un hanepel d'ausne C'on ot por un denier ëu); 1268-71 aune, arbre (E. Boileau, Métiers, éd. G.-B. Depping, 284, ibid. : escorce d'aune ne doit noient); ca 1314 aulne (G. du Bus, Fauvel, éd. A. Pey, 1618, ibid. : Tremble y avoit qui sambloit aulne).
L'examen de la carte ling. de « aune » pour le domaine gallo-rom. c.-à-d. au sud d'une ligne Loire-Vosges, domaine des formes issues du gaul. *verno-, au nord, domaine du fr. aune (v. carte ds Arch. St. n. Spr., t. 121, 1910, p. 240) a conduit Th. Frings ds Etymologica Wartburg, 1958, pp. 239-259 à proposer l'hyp. suiv. : aune est issu du lat. alnus, de même sens (dep. Catulle, 17, 18 ds TLL s.v., 1705, 30), qui, tandis qu'il se heurtait au sud au domaine du substrat gaul. *verno-, s'implantait au nord grâce à son homophonie avec le superstrat a.b.frq. *alisa; v. aussi M. Pfister ds Z. rom. Philol., t. 88, 1972, pp. 189-190; Frings a démontré que le vocab. frq. du nord de la France, ayant été essentiellement apporté par les Francs du nord-ouest, alnus est entré en contact non avec le frq. *alira (comme le propose Jud ds Arch. St. n. Spr., t. 121, 1910, pp. 76-96), forme en usage chez les Francs du sud-est dans les régions de la Moselle et du Main, mais avec *alisa, en usage dans les régions de la Meuse, de l'Escaut et du cours supérieur du Rhin (cf. m.b.all., m. néerl. else), ce qui expliquerait la forme d'a. fr. ausne, si celle-ci n'est pas seulement une graphie; le maintien du substrat *verno- dans le domaine d'oc s'explique peut-être par le fait que l'aune, plus fréquent en ce domaine souvent marécageux que dans le nord, a pu y conserver plus facilement sa dénomination primitive.
L'hyp. d'un croisement entre l'a.b.frq. *alira et les noms d'arbres en -inus tels que fraxinus, carpinus (Jud, loc. cit.) est moins vraisemblable, d'autant que aune a de nombreux correspondants en Italie du Nord (REW3, no376); v. aussi la critique des thèses de Jud, formulée par Meyer-Lübke ds Z. rom. Philol., t. 33, 1909, pp. 431-438 et la réponse de Jud qui maintient sa position ds Arch. St. n. Spr., t. 124, 1910, pp. 83-108. D'autre part il semble difficile de faire dériver aune du lat. alnus sans aucune influence étrangère (REW3, EWFS2, v. aussi Feller ds B. de la Commission royale de topon. et de dialectol., t. 7, 1933, pp. 23-115, hyp. soutenue à nouveau récemment par L. Remacle ds R. Ling. rom., t. 36, 1972, pp. 305-310) : c.-à-d. sans tenir compte de son homophonie partielle avec le frq. *alisa qui n'a pu que favoriser son implantation. STAT. − Fréq. abs. littér. : 84. BBG. − Alex. 1768. − Barb.-Cad. 1963. − Bél. 1957. − Bouillet 1859. − Brard 1838. − Chabat 1881. − Comm. t. 1 1837. − Delaigue (J.). Les N. d'arbres ds la topon. de la Haute-Loire. Almanach de Brioude. 1962, t. 42, pp. 153-154. − Duval 1959. − Fén. 1970. − Forest. 1946. − Frings (T.). Erle und aune. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1958, pp. 239-259. − Gay t. 1 1967 [1887]. − Jossier 1881. − Littré-Robin 1865. − Meyer-Lübke (W.) Französische Etymologien. Z. rom. Philol. 1909, t. 33, pp. 431-438. − Monnot (R.). L'Aune. Vie Lang. 1961, pp. 77-81. − Nysten 1824. − Pfister (M.). Die Sprachlichen Berührungen zwischen Franken und Galloromanen. Z. rom. Philol. 1972, t. 88, pp. 188-190. − Plais. 1969. − Privat-Foc. 1870. − Remacle (L.). Rem. sur l'étymol. du fr. aune. R. Ling. rom. 1972, t. 36, pp. 305-310. |