| APPRÉCIATION, subst. fém. A.− Estimation d'un phénomène perçu par les sens : 1. Ce sont surtout les gens d'esprit qui tiennent la gourmandise à honneur : les autres ne sont pas capables d'une opération qui consiste dans une suite d'appréciations et de jugements.
Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 368. 2. Durant les derniers âges de la basse latinité, la quantité prosodique s'était presque entièrement perdue et oubliée; mais comme on avait toujours besoin de vers ou de quelque chose qui y ressemblât, ne fût-ce que pour les chants d'église, on imagina de ranger les unes sous les autres des lignes composées chacune d'un même nombre de syllabes et relevées finalement par la rime : l'oreille était ainsi dispensée de l'appréciation délicate des longues et des brèves; elle n'avait à régler qu'une espèce de compte numérique fort court...
Sainte-Beuve, Tableau hist. et crit. de la poésie et du théâtre fr. au XVIes.,1828, p. 80. 3. L'enfant qui étudie a déjà tous les besoins de l'artiste qui crée. Il faut (...) qu'il renouvelle à son gré la nature de ses pensées par l'appréciation de la couleur et de la forme.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, p. 91. B.− Estimation approximative d'un phénomène mesurable ou chiffrable : 4. ... car le sommeil, en ralentissant le jeu des fonctions organiques, modifie surtout la surface de communication entre le moi et les choses extérieures. Nous ne mesurons plus alors la durée, mais nous la sentons; de quantité elle revient à l'état de qualité : l'appréciation mathématique du temps écoulé ne se fait plus...
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience,1889, p. 103. 5. Ce n'est qu'une vue panoramique, un dessin de la muraille et des bastions, derrière lesquels surgissent les toits et les clochers des églises. Mais l'échelle est très exactement indiquée : on a là l'ancêtre lointain des travaux d'état-major, un document reposant comme eux sur des relevés minutieux et non sur une appréciation au jugé.
P. Lavedan, Qu'est-ce que l'urbanisme?1926, p. 141. 6. Sur la base d'appréciations et d'imputations en prix de marché on aurait : Produit total = Produit des « villages » (= Production en biens de consommation auto-consommés) ...
Perroux, L'Écon. du XXes.,1964, p. 213. − En partic. Évaluation de la valeur marchande d'un objet. Appréciation d'une marchandise : 7. ... si, pour désigner la valeur d'une chose, même lorsqu'il n'est question ni de vente ni d'achat, on emploie plus volontiers dans cette appréciation la valeur des métaux précieux, ou de la monnaie, c'est parce que la valeur d'une certaine quantité de monnaie est une valeur plus généralement connue que toute autre.
Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 286. − Au fig., emploi cour. Démarche de la pensée aboutissant à un jugement de valeur, ce jugement de valeur lui-même portant : 1. [Sur une personne, sur ses qualités, sur ses actions et leurs résultats] :
8. Chose étrange! En nous, après tout, la plus absolue différence de tempéraments, de goûts, de caractères, − et absolument les mêmes idées, les mêmes appréciations, les mêmes sympathies et antipathies pour les gens, la même optique intellectuelle. Notre cerveau voit de même et avec les mêmes yeux.
E. et J. de Goncourt, Journal,1865, p. 195. 9. ... me tendant plusieurs cahiers les uns après les autres, il commença de me résumer ses cours de l'année, avec des appréciations sur l'enseignement de ses maîtres, qui décelaient deux qualités presque contradictoires : dans l'analyse, un esprit critique d'une acuité singulière, et, dans le jugement, une indulgence toujours prête à mettre les gens en valeur.
P. Bourget, Nos actes nous suivent,1926, p. 34. SYNT. Donner son appréciation sur, laisser, soumettre à l'− de; juste, saine − de, ou des choses; appréciation critique; élément, erreur, question d'appréciation. 2. [Sur une notion abstr.] L'appréciation du beau, du vrai, etc. : 10. Si l'influence académique − dont vous exagérez les effets − n'existait plus, nous perdrions ce qui reste de goût, de sentiment, d'unité et de grandeur, dans nos ouvrages d'architecture. Les architectes ne seraient plus des artistes, mais des bâtisseurs, habiles, ingénieux peut-être, mais dépourvus de cette exacte appréciation du beau, que maintient l'influence académique à travers toutes les fluctuations de la mode.
Viollet-Le-Duc, Entretiens sur l'archit.,t. 2, 1872, p. 162. PRONONC. ET ORTH. : [apʀesjasjɔ
̃]. Fér. Crit. t. 1 1787 admet une var. graph. apréciation. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1389 « action d'évaluer » (Fondat. de la chap. de Vinc., Felib., Hist. de Paris, I, 199 ds Gdf. Compl. : En laquelle apreciation et assiette a eux par nous faite sont compris et contenus tous les fiefs mouvans desdites terres); 2. 1825, Brillat-Savarin, supra.
Empr. au b. lat., rarement attesté, appretiatio « estimation » (Itala, Cod. Lugd. lev. 27, 19 ds TLL s.v., 308, 55); ou dér. du verbe fr. apprécier (à peu près contemp.); suff. -ation (-tion*). STAT. − Fréq. abs. littér. : 654. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 368, b) 2 016; xxes. : a) 1 095, b) 727. BBG. − Banque 1963. − Bél. 1957. − Bonnaire 1835. − Burn. 1970. − Dupin-Lab. 1846. − Jossier 1881. − Kuhn 1931, p. 80. − Lacr. 1963. − Lafon 1969. − Lal. 1968. |