| APPLIQUER, verbe I.− [Appliquer est un verbe à double constr.] A.− Poser, mettre, généralement en exerçant une pression. 1. Poser, mettre sur, contre une chose, en exerçant une pression de manière à laisser une empreinte; mettre en contact : 1. ... Je remarquai que le mur étoit rempli de crevasses : j'appliquai l'oreille contre ces ouvertures, et je n'entendis rien d'abord; ...
Mmede Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 2, 1795, p. 151. 2. Puis, elle devint subitement sérieuse; il s'agissait de mettre le rouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigt dans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l'étalait doucement, jusqu'à la tempe.
Zola, Nana,1880, p. 1213. Rem. L'obj. second. peut ne pas être exprimé : il applique successivement deux couches de peinture. − Emploi pronom. (passif) : 3. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s'appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front.
Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 28. 4. Chez Renault le cric s'applique à l'extérieur de la carrosserie sur le support du pare-chocs.
H. Tinard, L'Automobile,1951, p. 334. Rem. La constr. du type : elle s'applique une crème sur le visage au lieu de *elle applique une crème sur son visage s'explique par anal. avec il se lave les mains au lieu de *il lave ses mains. 2. Mettre, donner à quelqu'un, avec en général une idée de force. Appliquer une fessée à un enfant; appliquer un baiser sur la joue de qqn : 5. L'homme à la chemise verte empoigna Céline aux deux bras, et lui appliqua sur le cou un baiser. Elle se débattit.
P. Adam, L'Enfant d'Austerlitz,1902, p. 140. − MÉD. Appliquer les fers, des ventouses, un cataplasme : 6. L'accouchement avait été difficile. À neuf heures du soir il avait fallu demander la sage-femme de Préveranges. À minuit, on avait attelé de nouveau pour aller chercher le médecin de Vierzon. Il avait dû appliquer les fers. La petite fille avait la tête blessée...
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes,1913, p. 315. ♦ Appliquer les menottes : 7. ... − Comme le prisonnier a fait acte de violence dans l'intérieur de la citadelle, lui dit-il, en vertu de l'article 157 du règlement, n'y aurait-il pas lieu de lui appliquer les menottes pour trois jours?
Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 251. − Donner, attribuer, sans idée de force : 8. ... et les noms d'Hérode et de Néron du siècle, que bien des gens lui appliquaient tout bas, furent prononcés, impunément cette fois, par les agents de trahison.
Thierry, Récits des temps mérovingiens,1840, p. 236. B.− Utiliser quelque chose en vue d'obtenir un résultat déterminé. 1. Affecter, réserver une somme à tel ou tel usage : 9. Et les peuples, devenus riches, appliquèrent le superflu de leurs moyens à des travaux d'utilité commune et publique; et ce fut là, dans chaque état, l'époque de ces ouvrages dont la magnificence étonne l'esprit; ...
Volney, Les Ruines,1791, p. 59. 10. D'ailleurs, ma transaction consiste à faire appliquer mes 2 000 fr. déjà pris à la correction des 20 livraisons environ que j'ai faites et à ce que la société ne puisse rien répéter sur moi à cet égard, et que mon action devienne libre; ...
Balzac, Correspondance,1835, p. 55. − Vx. [Le compl. second n'est pas exprimé] :
11. Par une porte entr'ouverte, le bureau de la liquidation lui apparut endormi, avec ses sept employés lisant leur journal, n'ayant plus à appliquer que de rares affaires, depuis que la Bourse chômait.
Zola, L'Argent,1891, p. 382. 2. Utiliser des principes, des règles abstraites dans un cas particulier, pour régler un problème concret. Faire passer du domaine de la théorie à celui de la pratique : 12. En supposant même que ces observations puissent être négligées dans la recherche des vérités spéculatives, doivent-elles l'être, lorsqu'il s'agit d'appliquer ces vérités à la pratique, et de déduire de la science l'art qui en doit être le résultat utile?
Condorcet, Esquisse d'un tableau hist. des progrès de l'esprit hum.,1794, p. 12. 13. Il s'agit donc d'appliquer une méthode d'analyse à l'exploration progressive de la synthèse psychologique, et non pas de réduire cette synthèse à la juxtaposition des produits de l'analyse.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 24. 14. Il m'est clairement apparu alors que, si je m'obstinais à appliquer la forme de Jean Barois aux nombreux volumes prévus pour les Thibault, je me jetais à l'aveuglette dans une déraisonnable aventure, qui risquait de lasser le lecteur, et que je n'étais pas assuré de mener à bien.
R. Martin du Gard, Souvenirs autobiographiques et littéraires,1955, p. LXII. − Vx. [Avec un subst. concr.] :
15. ... ce sont les besoins de la cuisine qui nous ont appris à appliquer le feu, et c'est par le feu que l'homme a dompté la nature.
Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 256. − S'appliquer à.Convenir à, être applicable à : 16. Les lois de la mécanique, de la physique et de la chimie s'appliquent complètement à l'univers matériel.
A. Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 126. 3. DR. Mettre en pratique les dispositions d'une loi, d'un règlement dans tel cas particulier : 17. Quand on songe au droit pénal tel qu'il fonctionne dans nos sociétés actuelles, on se représente un code où des peines très définies sont attachées à des crimes également définis. Le juge dispose bien d'une certaine latitude pour appliquer à chaque cas particulier ces dispositions générales; mais, dans ses lignes essentielles, la peine est prédéterminée pour chaque catégorie d'actes défectueux.
É. Durkheim, De la Division du travail social,1893, p. 62. − [Le compl. second n'est pas exprimé] Mettre à exécution. Appliquer les ordres. − S'appliquer : 18. Les quatre articles précédens ne s'appliquent point aux donations dont il est mention aux chapitres VIII et IX du présent titre.
Code civil,1804, p. 171. 4. Appliquer (son intelligence, son esprit, sa pensée, son attention, etc.) à qqc., à faire qqc.Diriger vers, concentrer sur : 19. Alors que les hommes purent couler des jours dans de longs loisirs, et dans la communication de leurs pensées, ils portèrent sur la terre, sur les cieux, et sur leur propre existence des regards de curiosité et de réflexion; ils remarquèrent le cours des saisons, l'action des élémens, les propriétés des fruits et des plantes, et ils appliquèrent leur esprit à multiplier leurs jouissances.
Volney, Les Ruines,1791, p. 45. 20. ... Joanny devait appliquer à cette tentative de séduction toute sa patience méthodique, tout son entêtement studieux de bon élève.
V. Larbaud, Fermina Marquez,1911, p. 69. − Vieilli. Appliquer qqn à qqc.,,Occuper fortement qqn à...`` (Littré) : 21. La « tension de communion », dont nous avons observé la merveilleuse efficacité pour appliquer l'homme à son devoir humain, et lui faire extraire la vie jusque des puissances les plus chargées de mort, a pour ultime effet de précipiter le chrétien dans l'amour des âmes.
P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 183. II.− S'appliquer à.Consacrer une attention soutenue à faire quelque chose : 22. À votre place je tâcherais de m'étourdir sur ma situation, par la dissipation; je ferais de fréquens voyages, je m'appliquerais avec plus d'ardeur au dessin, je ne lirais aucun roman, aucune pièce de théâtre, et je ferais mes efforts pour être toujours en compagnie.
Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1671. 23. Sans doute l'impatience, la démangeaison d'être ailleurs, de faire autre chose, n'est pas une excellente condition pour travailler. On est dans l'humeur d'un écolier qui attend la cloche. Il semble que l'esprit ne puisse pas vraiment s'appliquer à sa besogne; il est seulement posé dessus, comme une mouche sur une feuille de papier.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 82. − En emploi abs. : 24. Il s'appliquait pourtant, prenant soin des contours, faisant les ombres avec l'estompe, les clairs avec de la mie de pain, ainsi qu'on le lui avait enseigné.
Ch.-F. Ramuz, Aimé Pache,peintre vaudois, 1911, p. 34. 25. − Travaille, a-t-il dit, fais des petites choses, en attendant, au jour le jour. Applique-toi bien. Rappelle-toi l'écolier penché sur sa page d'écriture, et qui tire la langue. Voilà comment le bon Dieu souhaite nous voir, lorsqu'il nous abandonne à nos propres forces.
Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1191. PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [aplike], j'applique [ʒaplik]. Enq. : /aplik/. (il) applique. 2. Forme graph. − Var. apliquer ds Fér. Crit. t. 1 1787. ÉTYMOL. ET HIST.
A.− 1. 1280 trans. « faire servir, employer qqc. à un usage déterminé » (Clef d'amour, Appendice, 62, éd. Doutrepont d'apr. Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 2, p. 256 : Or donc applique ton engin); xiiies. apliquier « utiliser pour » (Gouvernement des rois, éd. S. P. Molenaer, 40, 28 ds T.-L. : apliquier les bones loys et les bones costumes as boenes euvres); xiiies. « imputer un fait à qqn » (G. de Nangis, Vie de S. Louis ds Gdf. Compl.); 1311 aplikier « attribuer une somme d'argent » (Cart. de Ponthieu, ibid.); 1652 p. ext. (Vaugelas ds Rich. 1680 : Apliquer un criminel à la question); av. 1662 « attribuer, rapporter qqc. à qqn » (Pascal, ibid. : Il se moquoit du Pére & lui apliquoit ces paroles); av. 1669 appliquer son esprit à qqc. (La Chambre, ibid.); av. 1704 théol. « faire bénéficier qqc. de qqc. » (Bossuet ds Trév.); 2. 1314 « apposer qqc. sur ou contre qqc. » (H. de Mondeville, Chirurgie, B.N. 2030, fo70b ds Gdf. Compl. : Enplastre appliqué chaut).
B.− xiiies. pronom. « s'adapter à » (Trad. Ovide, Remèdes d'Amour, éd. Koerting, 351 ds T.-L. : Se ta nature s'i applicque Tu ne puez meilleur oevre faire); xiiies. s'appliquer pour « apporter une attention soutenue à » (Sept Sages Rome, 37, G. Paris d'apr. Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 2, p. 256); 1330-32 s'appliquer à « id. » (G. de Digulleville, Pélerinage vie hum., éd. Stürzinger, 12955 ds T.-L.); av. 1622 « travailler avec zèle à » (Molière, Les femmes savantes, acte 3, scène 4, éd. du Seuil, p. 615 : A vous remettre bien je me veux appliquer [Philaminte s'adressant à Henriette et Trissotin]); 1690 employé absol. (Fur. : ... Et on dit absolument d'un homme, qu'il s'applique, pour dire qu'il travaille, qu'il s'attache fortement à sa profession, ou à quelque ouvrage); 1690 « prendre pour soi » (Fur. : ... Un homme chiche ne s'applique jamais ce qu'on dit en general contre les avares).
Empr. au lat. applicare attesté dep. Ennius au sens de « incliner, prendre une direction » (Ennius, Trag., 77 ds TLL s.v., 296, 5); au sens de « mettre, assujettir qqc. à qqc. [fig.] » (Plaute, Trin., 271, ibid., 289, 64); d'où pronom. « travailler avec zèle à qqc. » (Cicéron, De orat., 2, 55, ibid., 298, 50); au sens de « attribuer, rapporter qqc. à qqc. » (Quintilien, Instit., 7, 3, 19, ibid., 299, 24); au sens propre « mettre qqc. sur qqc. » (Pline, Nat., 11, 217, ibid., 296, 47). STAT. − Fréq. abs. littér. : Appliquer. 4 016. Appliquant. 350. Fréq. rel. littér. : Appliquer. xixes. : a) 5 222, b) 4 834; xxes. : a) 5 484, b) 6 734. Appliquant. xixes. : a) 423, b) 539; xxes. : a) 537, b) 514. BBG. − Fromh.-King. 1968. − Jal 1848. − Jossier 1881. − Pierreh. Suppl. 1926. |