| APAISER, verbe trans. I.− Emploi trans. Amener progressivement à l'état de paix. A.− [Le compl. désigne des pers. ou les manifestations de leur âme agitée] 1. [Le compl. désigne le plus souvent une pers. individuelle] Calmer : 1. Ce qui m'apaise, c'est de sentir une ère de paix. Les fortifications, bien que très délabrées, ne se réparent que doucement.
Michelet, Sur les chemins de l'Europe,1874, p. 5. Rem. Quelques dict. signalent que apaiser se dit aussi des animaux (cf. Besch. 1845, Littré ,,apaiser un chien en lui jetant à manger``, Rob. et Quillet 1965). a) [Un aspect de sa vie psychol., la conscience, la pensée, la volonté d'une pers.] Apaiser l'âme, le cœur : 2. Je m'habillai et je sortis de la maison. Mais le calme de la nuit ne put me pénétrer. J'errai un moment sous les arbres, dont le charme et la puissance paternelle, auxquels j'étais généralement si sensible, ne réussirent pas à apaiser cette stérile agitation de l'esprit.
Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 241. Rem. Apaiser peut aussi s'employer absol. : ,,La nuit conseille; on peut ajouter : La nuit apaise!`` (Hugo ds Lar. 19eet Guérin 1892). − [Les sentiments] Apaiser les craintes, la (les) douleur(s) : 3. Le guerrier frappa rudement son épouse : je me hâtai d'étendre le calumet de paix entre mes hôtes et d'apaiser la colère qui monte du cœur au visage en nuage de sang.
Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 217. 4. Sans cesse, il [P. Corneille] va de l'un à l'autre procédé, et il s'aperçoit à peine, sans doute, des différences, car pour lui, il s'agit toujours de cette création consolatrice où il fait tout entrer, son amour du luxe, ses idées, son admiration naïve pour les êtres plus grands que nature, tout ce qui apaise ses rancunes et enhardit ses timidités.
Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 308. − P. anal. (fait d'anthropomorphisme). [En parlant de Dieu ou des dieux] Apaiser la colère, le courroux (des dieux/divin) : 5. Les dieux se vengent et ce fut vainement, par la suite, qu'elle [Phèdre] tenta d'apaiser la déesse par un surcroît d'offrandes et d'implorations.
Gide, Thésée,1946, p. 1449. b) P. ext. [Un aspect de sa vie physique] − [La faim, la soif] :
6. ... il vida son verre d'un trait. − Et que dit-on?
− Je t'apprendrai cela plus tard, Édouard.
− Dis toujours : je t'écouterai de sang-froid; maintenant j'ai l'estomac apaisé.
Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 67. − P. métaph. Apaiser la soif de connaître : 7. Ceux qui ne sont pas morts doivent apaiser la faim et la soif de justice de ceux qui sont morts. Osons confesser que c'est notre immense ambition.
Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 393. Rem. Cet emploi se réfère souvent aux Béatitudes évangéliques (cf. Matth., V, 6 : ,,Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés``.) 2. [Le compl. désigne des discordes, gén. publiques, parfois privées] :
8. À cette nouvelle imprévue, Saladin demeure stupéfait et immobile; il ne peut croire, il ne peut comprendre ce qu'on lui annonce, que l'éloquence d'un seul homme a suffi pour appaiser les discordes envenimées des Chrétiens, et qu'il ne leur a pas fallu plus d'un jour pour s'emparer de la ville la plus importante de la Palestine, après Jérusalem.
MmeCottin, Mathilde,t. 4, 1805, p. 212. 9. Benjamin et Sarah d'Israëli eurent un fils unique, Isaac, qui les étonna. Ils espéraient un grand homme d'affaires; leur fils était pâle, timide, ne se promenait qu'un livre à la main et faisait voir un dégoût surprenant pour toutes les formes de l'action. Cette indolence excitait l'esprit sarcastique de Mrs d'Israëli. Le père apaisait les querelles en faisant des cadeaux à la mère et au fils.
Maurois, La Vie de Disraëli,1927, p. 11. − Spéc. [Le compl. désigne un nom de pays] Calmer les appréhensions, l'agitation d'un pays : 10. Quelque imprudent qu'il fût, Thiers se rendait compte qu'un conflit avec les Anglais serait dangereux. Il se flatta d'apaiser l'Angleterre et de tourner tout l'effort de la France vers une guerre contre la Prusse ...
Bainville, Histoire de France,t. 2, 1924, p. 177. 11. Si le premier ministre désirait, pour apaiser un peu l'Irlande agitée, que le prince de Galles y fît un voyage, il écrivait : « Mr Disraëli se permet d'observer que, depuis deux siècles, le souverain n'a passé que vingt et un jours en Irlande. »
Maurois, La Vie de Disraëli,1927, p. 236. B.− [Le compl. désigne la nature ou les éléments naturels] Apaiser la tempête : 12. ... lorsque la nuit, remplie du calme des dieux, me trouvait sur le penchant des monts, elle me conduisait à l'entrée des cavernes et m'y apaisait comme elle apaise les vagues de la mer, laissant survivre en moi de légères ondulations qui écartaient le sommeil sans altérer mon repos.
M. de Guérin, Poèmes,Le Centaure, 1839, p. 8. II.− Emploi pronom. Revenir au calme. A.− [Le suj. désigne des êtres humains agités ou leurs manifestations] 1. [Une pers., ses sentiments, ses sensations, etc.] :
13. ... dans le doute, je retourne à l'étude du piano, comme vers un opium, où se calme la turbulence de ma pensée et s'apaise mon inquiet vouloir.
Gide, Journal,1931, p. 1023. 14. ... c'est bien là ce qui importe à l'esprit français : définir. Sur une bonne définition il s'apaise, et parfois s'endort. Rien ne le fâche plus que la confusion. (Il se montre en cela fort prosaïque).
Benda, La France byzantine,1945, p. 20. 2. [Les troubles d'une collectivité de nature gén. pol., etc.] :
15. ... les convulsions politiques s'apaisèrent peu à peu pour permettre aux Anglais de poursuivre obstinément la conquête des libertés parlementaires et des mers.
É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 109. B.− [Le suj. désigne la nature ou des éléments naturels] La mer, la tempête s'apaise : 16. Elle [Céleste] n'osait plus fermer la fenêtre, et pourtant le sourd roulement du vent au fond de la vallée, grandissant de minute en minute comme chaque soir, ne s'apaiserait qu'avec les premiers brouillards de l'aube.
Bernanos, Un Crime,1935, p. 727. Rem. Apaiser et calmer. Les dict. de synon. ainsi que Littré font d'utiles distinctions sur l'emploi de ces verbes. ,,Apaiser, c'est ramener, rétablir, mettre, ou définitivement ou par degrés, la paix, c'est-à-dire, l'ordre commun et convenable des choses, l'accord et l'harmonie entre les objets, un calme entier, parfait, profond et permanent. Calmer n'annonce souvent qu'un calme léger et gradué, des adoucissements, des modérations, des diminutions excessives; enfin il exprime le calme, le repos, ce qui paraît repos après le grand trouble, un calme qui n'est quelquefois qu'apparent, ou qui, quoique réel, peut être bientôt suivi de trouble et d'orage.`` (Guizot 1864). PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [apεze] ou [apeze], j'apaise [ʒapε:z]. Passy 1914 et Barbeau-Rodhe 1930 notent la 2esyllabe de ce mot ainsi que des mots de la famille avec [ε
ˑ] mi-long : apε
ˑze, apε
ˑzmɑ
̃. Pt Rob. transcrit la 2esyllabe avec [e] fermé; cf. aussi Warn. 1968 qui donne la possibilité d'une prononc. avec [ε] ouvert dans le lang. soutenu et avec [e] fermé dans le lang. cour. Enq. : /apez/ (il) apaise. 2. Forme graph. − Littré fait la rem. suiv. : ,,L'Académie écrit apaiser par un seul p et appauvrir par deux. Il faudrait établir la conséquence, et mettre partout ou un seul p pour simplifier l'orthographe, ou deux p, pour témoignage de l'étymologie.`` Ac. 1694 et 1718 écrivent ce mot avec 2 p; les éd. de 1740 et suiv. ne notent plus qu'un seul p. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1160-1174 « faire la paix » (Wace, Rou, éd. H. Andresen, 3797 ds H.-E. Keller, Vocab. de Wace, 1953 p. 259b : Ne funt mie de paiz ne d'apaisier semblant) − 1532 (Rabelais, Pantagruel, 38 ds Hug.); 1167 « faire cesser par la paix (l'obj. étant inanimé) » (G. d'Arras, Ille et Galeron, éd. W. Föerster, 1402 ds T.-L. : Li a ... apaisie mainte guerre); ca 1240 « calquer qqn (ici par image) » (G. de Coincy, Mir. Vierge, éd. Poquet, 255, 687, ibid. : moult a tost confessions ... Apaisié dieu et acordé); 2. 1165-70 pronom. « devenir calme » (B. de Ste Maure, Troie, éd. L. Constans, 26 392, ibid. : la mer ne s'apaisereit).
Dér. de paix*; préf. a-1*, dés. -er. STAT. − Fréq. abs. littér. : 566. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 063, b) 2 198; xxes. : a) 2 480, b) 2 229. BBG. − Bonnaire 1835. − Esn. 1966. − Eyraud (D.). Vive la lang. Vie Lang. 1969, no205, p. 198. − France 1907. − Gottsch. Redens. 1930, p. 401. − Gramm. t. 1 1789. − Laf. 1878. − La Rue 1954. − Noter-Léc. 1912. |