| ALTÉRER1, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. Rendre autre, changer, modifier. a) MUSIQUE ♦ Altérer un accord. ,,Modifier sa composition spécifique.`` (Lar. encyclop.). ♦ Altérer un intervalle. ,,Abaisser ou élever, au moyen de dièses ou de bémols, une des deux notes dont il se compose.`` (Lar. encyclop.). : 1. Dans les Contrepoints autres que ceux à l'8ve, il est quelquefois nécessaire d'altérer les intervalles en les renversant.
T. Dubois, Traité de contrepoint et de fugue,1901, p. 89. ♦ Altérer une note. ,,La diéser ou la bémoliser.`` (Lar. encyclop.). b) Usuel. Changer les traits, la voix sous l'effet d'une émotion vive : 2. Et l'on crut qu'Éloa le maudirait; mais non,
L'effroi n'altéra point son paisible visage,
Et ce fut pour le ciel un alarmant présage.
A. de Vigny, Poèmes antiques et modernes,Éloa, 1837, p. 30. 3. Je le regardai avec effroi.
... Ce n'est plus auprès de moi, Charles, que vous pourriez désormais trouver ces ressources nouvelles ... Il faudra nous quitter. Ici M. Prévère, dont ces derniers mots avaient altéré la voix, s'arrêta quelques instants, pendant que, livré à mille combats intérieurs, je restai immobile.
R. Tœpffer, Nouvelles genevoises,1839, pp. 36-37. 2. Modifier en mal, détériorer, dénaturer, dégrader. a) [La dégradation est spontanée] − [Le suj. et l'obj. sont des êtres matériels] :
4. Mon chirurgien, qui partageait avec M. de Clonard le soin de tous ces détails, me proposa aussi de mêler au grog du déjeûner, une légère infusion de quinquina, qui, sans altérer sensiblement le goût de cette boisson, pouvait produire des effets très-salutaires.
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 2, 1797, p. 132. 5. Si les taches qu'ils ont aperçues à sa circonférence étaient des écumes, elles n'apparaîtraient pas sombres sur un globe vingt mille fois plus ardent qu'un boulet rouge : ce n'est que l'action de l'air qui noircit et altère la surface des corps brûlants...
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 345. 6. ... [des] actions chimiques locales (...) altèrent la nature des dépôts [électrolytiques]...
H. Fontaine, Électrolyse,1885, p. 16. 7. ... [on reproche au siccatif Courtray] (...) d'enlever à l'huile sa souplesse, d'altérer certaines couleurs...
Moreau-Vauthier, La Peinture, les divers procédés, les maladies des couleurs, les faux tableaux,préf. d'É. Dinet, 1933, p. 161. − [Le suj. et l'obj. sont des entités abstr.] :
8. Il ne me cachait pas (ce dont j'étais bien convaincu d'avance) que cette manière d'être, à laquelle il devait sa fortune, avait singulièrement altéré sa réputation, et il venait me consulter pour que je lui indiquasse le moyen de se réhabiliter dans le monde.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, pp. 372-373. 9. Aucune hypocrisie ne venait altérer la pureté de cette âme naïve, égarée par une passion qu'elle n'avait jamais éprouvée. Elle était trompée, mais à son insu, et cependant un instinct de vertu était effrayé. Tels étaient les combats qui l'agitaient quand Julien parut au jardin.
Stendhal, Le Rouge et le noir,1830, p. 66. 10. En pervertissant l'involontaire et le volontaire, la faute altère notre rapport fondamental aux valeurs et ouvre le véritable drame de la morale qui est le drame de l'homme divisé. Un dualisme éthique déchire l'homme par delà tout dualisme d'entendement et d'existence. « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. »
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 24. − [Le suj. désigne une pers., l'obj. un aspect de l'être humain] :
11. Lettre XXII.
Venise, le ...
Non, Ernest, non, jamais je ne m'habituerai au monde; le peu que j'en ai vu ici m'inspire déjà le même éloignement, le même dégoût qui me poursuit toujours dès que je suis obligé de vivre dans la grande société. Tu as beau vouloir que je cherche par ce moyen à oublier Valérie ou à m'en occuper plus faiblement; y parviendrai-je jamais? Et faut-il encore altérer mon caractère, l'aigrir?
B.-J. de Krüdener, Valérie,1803, p. 88. 12. − Douze ans! répondit Cyrus Smith. Ah! douze ans d'isolement, après une existence maudite peut-être, peuvent bien altérer la raison d'un homme!
− Je suis porté à croire, dit alors Pencroff, que cet homme n'est point arrivé à l'île Tabor par naufrage, mais qu'à la suite de quelque crime, il y aura été abandonné.
J. Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 367. b) [La modification est voulue] Changer la vraie nature d'une chose, falsifier : 13. ... l'admission de quelques centaines de spectateurs, encaissés dans un local étroit et incommode, offre-t-elle une publicité proportionnée à l'immensité de la nation? Sur-tout, lorsqu'une foule d'ouvriers mercenaires effraient le corps législatif, pour intercepter ou pour altérer la vérité, par les récits infidèles qu'ils répandent dans toute la république.
M. de Robespierre, Discours,Sur la constitution, t. 9, 1793, p. 503. 14. Altérer essentiellement les faits [historiques] en les transportant sur la scène, c'est toujours produire une impression désagréable; on s'attend à la vérité, et l'on est péniblement surpris quand l'auteur y substitue la fiction quelconque qu'il lui a plu de choisir...
G. de Staël, De l'Allemagne,t. 2, 1810, p. 284. 15. On se tromperait, si l'on supposait que, dans l'exécution, ces nombreuses variations dans la quantité de métal fin contenue dans les monnaies, fussent aussi simples, aussi claires que je les présente ici pour la commodité du lecteur. Quelquefois l'altération n'était pas avouée, et on la cachait le plus long-temps qu'on pouvait; de là le jargon barbare adopté dans ce genre de manufacture. D'autres fois on altérait une espèce de monnaie et l'on ne changeait rien aux autres; à la même époque, la livre représentée par certaines pièces de monnaie contenait plus d'argent fin que la livre représentée par d'autres pièces.
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 265. 16. Chaque député ministériel élève sa prétention et présente sa requête. Ce sont des plaintes sans fin, des assauts continuels. L'orateur le plus obscur se croit en droit d'exiger l'insertion littérale et intégrale de ses élucubrations de tribune. Encore, est-il rarement satisfait! On a omis, à l'en croire, des passages essentiels, altéré la ponctuation, dénaturé le sens d'une phrase. L'assaisonnement n'est jamais ce qu'il devrait être.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, pp. 125-126. 17. On trouvera, dans la thèse de Bœttcher, une étude consciencieuse de la manière dont Beethoven en use, sans gêne et sans égards, avec les textes qu'il emploie. − Il commence par y faire son choix, prenant d'un poème telle ou telle strophe et supprimant le reste, − combinant même deux poésies ensemble. Il altère les textes, ajoute, coupe, ou change des mots. Il y introduit son Moi envahissant, par des « ja! » énergiques, qui se soucient peu de la métrique.
R. Rolland, Beethoven,t. 1, 1928, pp. 162-163. B.− Emploi pronom. [En parlant d'une chose physique ou morale] Se modifier en mal, se gâter (cf. supra A 2) : 18. La santé de Philomène s'était altérée depuis quelque temps.
E. et J. de Goncourt, Sœur Philomène,1861, p. 57. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [alteʀe], j'altère [ʒaltε:ʀ]. Passy 1914 transcrit : ε
ˑ
ʀe et eˑ
ʀe (= [ε] et [e] mi-longs). Enq. : /alte2
ʀ/. Conjug. parler. 2. Forme graph. − J'altère, nous altérons; j'altérais; j'altérai; j'altérerai; j'altérerais. Cf. abréger. Étymol. ET HIST. − 1. a) 1370 trans. « changer de bien en mal » (Oresme, Eth., 25 ds Gdf. Compl. : Et ainsi sa felicitee n'est en riens alteree ne muee); b) 1680 pronom. (Rich. t. 1 : S'altérer. Se corrompre, se changer, diminuer [sa santé s'altére ...]); c) 1690 spéc. chim. « corrompre, modifier la nature de qqc. » (Fur. : Le feu altere toutes choses, même les metaux. Il faut qu'un corps s'altere devant qu'il s'en engendre un autre); 2. p. ext. 1remoitié xves. part. passé adjectivé altéré « (de l'esprit d'une personne) dérangé, troublé, devenu stupide » (Juv. des Urs., Hist. de Charles VI, an 1388 ds Gdf. Compl. : On trouva qu'il estoit alteré d'entendement); 1578 trans. altérer « émouvoir, affecter » (Belleau, Reconn., II, 4, ibid. : Ce n'est rien qu'une jalousie Qui luy altere le cerveau).
Empr. au b. lat. alterare (de alter « autre ») « changer (ordinairement de bien en mal) », ves., cont. méd. (C. Aurelianus, Chron., 2, 8, 115 ds TLL s.v., 1758, 14 : ne ... alterent aegrotantes potius tussiculam quam mitigent). BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Caput 1969. − Darm. Vie 1932, p. 103. − Dup. 1961. − Éd. 1913. − Eyraud (D.). Vive la langue. Vie Lang. 1969, no205, p. 198. − Kold. 1902. − Laf. Suppl. 1878. − Nysten 1814-20. − Rougnon 1935. |