| ALLÉCHER, verbe trans. Exercer un attrait presque irrésistible. A.− [L'attrait est de nature physique] 1. [Le suj. ou l'agent désignent une chose appétissante] Attirer en flattant le goût, l'odorat... : 1. À dîner, Delzeuze; le soir, Chéruel et sa femme, Percot. Delzeuze a perdu d'abord l'abbé Lassave, puis son chien, alléché par la cuisine des voisins.
J. Michelet, Journal,juin 1842, p. 408. 2. ... un nombre infini de volailles périssent sacrifiées à l'intérêt public, et, comme l'estomac est la route du cœur, des bouteilles vénérables, tirées de leurs toiles d'araignée, viennent allécher chaque samedi une foule inusitée de convives.
H. Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, p. 164. 2. [Le suj. désigne une pers.] Attirer par une chose appétissante : 3. Enfin la contre-maître (...) dit à la mère (...) qu'on aurait bien soin de l'enfant, qu'elle pourrait l'amener tous les matins, et venir la chercher tous les soirs. La pauvre femme murmura : Pauline, dis merci aux dames; − mais Pauline avait pris peur et se cachait la tête dans les jupes de sa mère. − Alors, pendant qu'une ouvrière l'alléchait avec un morceau de sucre, la femme s'en fut doucement, la tête baissée, bégayant des mercis, avalant ses larmes.
J.-K. Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, pp. 169-170. B.− Au fig. Attirer et séduire quelqu'un : 4. Amolli par la crainte, alléché par l'espoir, encouragé d'ailleurs par l'apparente bonhomie sous laquelle le vieux serpent cachait ses perfides desseins, le marquis se laissa aller à des épanchements exagérés.
J. Sandeau, Mademoiselle de la Seiglière,1848, p. 205. 5. À trois kilomètres de Saint-Pierre, dans l'intérieur des terres, il avait une sorte de manoir où il donnait une fois dans la saison une réception peu coûteuse mais originale, car il y mêlait les propriétaires anciens dans le pays à ceux qui étaient plus récents, ce qui effarait et alléchait tout le monde.
P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 34. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [aleʃe] ou [all-], j'allèche [ʒal(l)ε
ʃ]. Warn. 1968 transcrit [ll], l double. Harrap's 1963 et Pt Rob. donnent seulement la possibilité d'une prononc. avec [ll]. Dub. et Pt Lar. 1968 notent [l] simple. Pour les mots commençant par all-, Fouché Prononc. 1959, p. 306 écrit : ,,on prononce [ll] dans les mots français suivants : allécher, allège, alléger, allégir, allégorie, allègre, alléguer, allitération, allocation, allocution, allodial, allopathe (et autres composés de allo-), allotir, allotissement, alluchon, allusif, allusion, alluvial, alluvien, alluvion``. Passy 1914 donne la possibilité de prononcer la 2esyllabe du mot avec [ε] ouvert : [-lε-]. Enq. : /ale2
ʃ/. Conjug. parler. 2. Dér. : alléchant, allèchement. Cf. lécher. 3. Forme graph. − Pour l'alternance [e]/[ε] de la voyelle finale du rad. et pour la répartition des graph. é/è, cf. abréger. 4. Hist. − Les dict. de la fin du xviiies. et du xixes. transcrivent le mot avec [l] simple. Fér. Crit. t. 1 1787 précise : ,,on ne prononce qu'une l : on ne devrait en écrire qu'une``. Seul Fél. 1851 transcrit l' c.-à-d. [l] long ou [ll] double. Étymol. ET HIST. − Ca 1175 trans. « attirer qqn par qqc. d'appétissant ou de séduisant » (Ren., 6577-78, éd. M. Roques : [...] nos i avons grant pechié qui tant l'i avons alechié); 1495 part. prés. adj. alléchant (J. de Vignay, Mir. hist., 30, 141, éd. 1531 ds Quem. t. 1 1959 : Or soyent donc ostees ces choses alechantes des sens corporelz); xives. pronom. « se délecter » (Vers de Job, Ars. 3142, fo171c ds Gdf. : Et aussi se puet alechier li povres en povre viande). − xvies., Ronsard ds Littré.
Prob. du lat. pop. *allĕcticāre (Horning ds Z. rom. Philol., t. 9, 1885, pp. 140-141; G. Paris ds Romania, t. 15, p. 628), dér. du lat. class. allectare (attesté dep. Cicéron, Cato, 57 ds TLL, 1661, 57 au sens de « attirer, engager » : ad quem [agrum] fruendum non modo non retardat, verum etiam invitat atque adlectat senectus) fréquentatif de allĭcere « attirer ». − L'étymon *allicicare (autre dér. allĭcere) auquel FEW t. 1, s.v. *allecticare rattache le sarde allicare, demeure possible, bien que le type *allecticare soit appuyé par l'ital. alletare, issu du fréquentatif lat. allectare (REW3, s.v. allectare). À remarquer que l'esp. alechigar « adoucir » xiiies. que FEW rattache à *allecticare est d'apr. Cor., s.v. lecto, un dér. de lecho « lit », lechiga. − L'hyp. d'un croisement entre adlectare et − soit gallo rom. *leccare « lécher » (EWFS2) − soit l'a. fr. lechier < lĭgĭcāre « id. » (REW) n'est pas satisfaisante sur le plan sém. et constitue un détour inutile, l'étymon *allĕcticare rendant bien compte du sens de l'a. fr. Le rapprochement avec lécher constitue seulement une étymol. seconde. L'étymon ad *ligicare, fréquentatif de lingere « lécher » (Regula ds Z. rom. Philol., t. 43, 2-3) est moins satisfaisant du point de vue sém. STAT. − Fréq. abs. litt. : 94. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Caput 1969. − Dup. 1961. − Regula (M.). Etymologica. In : [Mélanges Gamillscheg (E.)]. München, 1968, p. 484. |