| AISANCE, subst. fém. A.− Emplois vx, vieillis ou figés. 1. DR. Charge imposée à un fonds au profit du titulaire d'un fonds voisin. Aisance de puits (Quillet 1965); droits d'aisance (Quillet 1965); aisance de voirie (Cap. 1936). 2. Au plur. a) Vx. Dépendances d'une maison; ,,dégagements, escaliers dérobés.`` (Lar. 19e-Lar. 20e). b) Vx ou région. Agréments, commodités, confort : 1. Un père et une mère ne vouloient pas sacrifier les aisances de la vie à l'éducation d'une nombreuse famille, et l'on couvroit cet amour de soi, des apparences de la philosophie.
F.-R. de Chateaubriand, Essai sur les Révolutions, t. 2, 1797, p. 71. 2. En effet, l'État a-t-il besoin de ma maison, de mon jardin, de mon champ, il s'en empare. Eh! puis-je jamais être indemnisé de mes habitudes, des aisances de mon domicile, des bizarreries mêmes de sa distribution? puis-je jamais être indemnisé de l'appropriement de mon jardin à mes goûts, à mon caractère, à ma fortune?
J. Jaurès, Études socialistes,1901, p. 230. c) Vieilli, parfois aussi au sing. Cabinet d'aisances, fosses d'aisances, lieu d'aisances (Ac. 1798-1932). Vx. Aisances d'une maison (Ac. 1835-1878). Lieu aménagé pour la satisfaction des besoins naturels : 3. 674. Celui qui fait creuser un puits ou une fosse d'aisance près d'un mur mitoyen ou non (...) est obligé à laisser la distance prescrite par les réglemens et usages particuliers sur ces objets, ou à faire les ouvrages prescrits par les mêmes réglemens et usages, pour éviter de nuire au voisin.
Code civil,1804, p. 123. 4. ... elle avait le cœur soulevé d'un tel dégoût, qu'il recula. Sans dire une parole, il sortit, s'arrêta dans l'antichambre, hésita une seconde; puis, comme une porte se trouvait devant lui, la porte des lieux d'aisances, il la poussa; ...
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 356. 5. Ce serait le chef-d'œuvre du fascisme de redonner l'équivalent de ce caractère aux grandes villes d'Italie. En attendant, il annonce de sévères punitions contre les cracheurs et les gens qui salissent les pissotières et les cabinets d'aisance, et en effet, cela était nécessaire.
V. Larbaud, Journal,févr. 1932, p. 268. B.− Situation matérielle considérée par rapport au bien-être qu'elle procure, et représentant un niveau de vie relativement élevé. Avoir une certaine aisance; vivre dans l'aisance : 6. Un homme qui a un grand état dans le monde a une prison plus grande et plus ornée; celui qui n'y a qu'un petit état est dans un cachot; l'homme sans état est le seul homme libre, pourvu qu'il soit dans l'aisance, ou du moins qu'il n'ait aucun besoin des hommes.
L'homme le plus modeste, en vivant dans le monde, doit, s'il est pauvre, avoir un maintien très assuré et une certaine aisance, qui empêchent qu'on ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut, dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 49. 7. Je suis plus affectée que vous de la diminution de fortune de votre mari; non que je croie que la fortune soit nécessaire pour être heureux; mais le passage d'une aisance considérable à une situation étroite et gênée, dispose souvent à l'aigreur, et nécessite une attention soutenue sur les plus petits détails domestiques.
G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1569. 8. De là il arrive, que quand on veut s'élever à l'idée la plus générale de la liberté, chacun la compose principalement de l'espèce de liberté à laquelle il attache le plus de prix (...). Les uns la font consister dans la vertu, ou dans l'indifférence, ou dans une sorte d'impassibilité, comme les stoïciens qui prétendaient que leur sage était libre dans les fers; d'autres la placent dans la pauvreté; d'autres au contraire dans une honnête aisance, ou bien dans l'état d'isolement et d'indépendance absolue de tout lien social.
A.-L.-C. Destutt de Tracy, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu,1807, pp. 140-141. 9. La possibilité de faire fortune avec Fouqué donnait une certaine facilité aux raisonnements de Julien; ils n'étaient plus aussi souvent gâtés par l'irritation, et le sentiment vif de sa pauvreté et de sa bassesse aux yeux du monde. Placé comme sur un promontoire élevé, il pouvait juger, et dominait pour ainsi dire l'extrême pauvreté et l'aisance qu'il appelait encore richesse.
Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 76. 10. Trois mille livres de rente et une petite maison délabrée et nue à la campagne, pour lui, sa femme et les nombreux enfants qui commençaient à s'asseoir à la table de famille, c'était quelque chose de bien indécis entre l'aisance frugale et l'indigence souffreteuse.
A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 47. 11. ... tout le monde était en habits d'été de couleurs claires; des abat-jour transparents adoucissaient la lumière des lampes. Sur une table on avait placé des fruits et des sirops glacés. Le sentiment des joies du bien-être et de l'aisance large vous saisissait au milieu de cette pièce fraîche, sentant bon, contenant des fleurs et abritant huit ou dix personnes souriantes.
L.-É.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 183. 12. Il me semble que les circonstances sont plutôt faciles autour de moi et que je puis faire envie plutôt que pitié. Mes petites misères sont éclipsées par mes bonnes chances, et je jouis, à tout prendre, des trois conditions grecques du bonheur : santé, aisance, intelligence.
H.-F. Amiel, Journal intime,12 nov. 1866, pp. 500-501. 13. « Je vous ai proposé pour l'avancement, comme les années précédentes. Mais le directeur a écarté votre nom en se basant sur ce que votre mariage vous assure un bel avenir, plus qu'une aisance, une fortune que n'atteindront jamais vos modestes collègues. N'est-il pas équitable, en somme, de faire un peu la part de la condition de chacun? Vous deviendrez riche, très riche. Trois cents francs de plus par an ne seront rien pour vous, tandis que cette petite augmentation comptera beaucoup dans la poche des autres. Voilà, mon ami, la raison qui vous a fait rester en arrière cette année. »
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, L'Héritage, 1884, p. 483. 14. Et pour elle, la solitude, cet horrible état qu'elle découvrait, prenait un goût de pauvreté, car elle s'imaginait encore que dans le luxe, dans l'aisance même, il n'y a point de pareille découverte.
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 306. Rem. 1. Aisance est associé à des termes indiquant la situation financière : fortune, richesse, misère, prospérité et opposé à pauvreté, indigence. Aisance étant considéré par rapp. aux biens qu'offre une certaine richesse, on le trouve de préférence en relation avec liberté, bonheur, santé, bien-être, repos, indépendance, loisir, luxe, avenir, puissance (ordre décroissant de la docum.). 2. Dans les syntagmes, les adj. qualifient les degrés de l'aisance : grande aisance; − honnête; − frugale; − large; petite −; modeste −; riche −. C.− [Emploi abs. ou suivi d'un compl. prép. de] Manière d'être, faite de facilité et de bon ton. Avoir de l'aisance; l'aisance des manières. Anton. gêne. 1. [Dans le comportement gén.] :
15. ... dans les moindres mouvements et jusque dans l'accent de l'amour, quel qu'en soit l'objet, et quand ce serait même l'amour de Dieu, on sent aussitôt comme une vie déliée et délivrée, enfin une allégresse, une aisance et une grâce.
Alain, Propos,1927, p. 700. 16. Elles étaient parisiennes parce qu'elles considéraient que la vie devait être exclusivement consacrée au plaisir, à la frivolité, au snobisme, à l'ivresse et au tapage. Dans l'exercice de ces jeux, elles montraient une facilité, une aisance, un charme et un entrain qui constituent les bases mêmes de l'attitude.
L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 181. 2. En partic. [Dans la vie de société] :
17. Cette petite ville de Mâcon (...) était cependant à cette époque le séjour d'un peuple doux, aimable, gracieux, spirituel, et d'une société d'élite véritablement digne de rivaliser avec les salons les plus aristocratiques et les plus lettrés que j'aie abordés plus tard dans toute l'Europe. C'était un Weymar français, une Florence gauloise, un centre de bon goût, de bon ton, de loisir, d'aisance, d'arts, de littérature, de science, et surtout de société et de conversation.
A. de Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, pp. 75-76. a) [En parlant de l'expr. corporelle (gestes, manières)] :
18. Je découvris, dès le premier matin, que Solange Villier était à ces jeux d'une adresse divine. Philippe, moins entraîné qu'elle, avait de la souplesse, de l'aisance; dès le premier jour je les vis patiner ensemble, joyeux, tandis que je me traînais péniblement, soutenue par un professeur.
A. Maurois, Climats,1928, pp. 204-205. 19. Sa faculté motrice globale [du pycnique] est supérieure à celle des deux autres types. Ses mouvements ont du naturel, de l'aisance, de l'adresse; ils sont, chez l'enfant, déjà harmonieux, adaptés et précis.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 202. − Except. [En parlant d'un animal] :
20. Ces jolis mais timides animaux, [des écureuils] se croyant seuls dans le bois, y jouaient avec cette libre aisance et cette grâce de mouvements que tue la crainte, et, se poursuivant d'arbre en arbre, ils me surprenaient par l'agilité de leurs sauts et par l'élégante gentillesse de leurs manœuvres.
R. Tœpffer, Nouvelles genevoises,1839, p. 372. 21. On y apprend le roulement, le rapport, les mutations des bêtes. On y est mis au courant de leur caractère et de leur tempérament, de leur aptitude au travail et à la reproduction, de leur condition. Même on relève leur aspect, l'aisance de leur allure et la beauté de leur ligne, signes d'équilibre musculaire.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 1, 1925, p. VIII. b) [En parlant de l'expr. verbale, artistique, etc.] Parler avec aisance : 22. Je n'ai point senti le besoin d'être seule, et de tout le jour je n'ai pas quitté M. d'Albe; j'ai soutenu la conversation avec une aisance, une vivacité, une volubilité qui ne m'est pas ordinaire; je parlois de Frédéric comme d'un autre, je crois même que j'ai plaisanté; j'ai joué avec mes enfans, et tout cela, Élise, se faisoit sans effort; ...
MmeCottin, Claire d'Albe,1799, pp. 180-181. 23. Le Loreur paraissait à Yves beau et infiniment séduisant : n'avait-il pas une barbe dorée, d'un or légèrement rouge? cela lui paraissait un attribut prodigieusement précieux. De plus, Le Loreur avait une aisance, une souplesse d'attitude et de parole qui confondaient l'enfant, au point qu'il se retournait vers son père et esquissait à tâtons une comparaison.
P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 113. 24. Le monsieur parle français avec aisance. Il a un accent qui n'est pas du tout désagréable, un accent net et narquois, qui ne ressemble pas à celui qu'on raille chez les Anglais.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 60. − Domaine de la mus., de la peint. : 25. ... le tableau des Offices [adoration des Mages] possède une unité et une aisance parfaites.
G. de La Tourette, Léonard de Vinci,1932, p. 55. 26. L'art musical français au xviiiesiècle fut plein d'aisance et de naturel, à une époque où l'on demandait à la musique des impressions faites de grâce, de charme et de sensibilité.
Rougnon1935, p. 356. Rem. 1. Aisance est associé à des termes précisant sa compréhension; par ordre de fréq. décroissante de la docum. le mot est associé à grâce, liberté, naturel dans ses 2 aspects. En outre, pour l'aisance du corps, à promptitude, souplesse, élégance, rapidité, sûreté, allure, adresse; pour l'aisance de l'esprit, à loisir, gaîté, vivacité, charme, esprit, goût, instruction, désinvolture, noblesse, entrain, allégresse. 2. Les syntagmes avec adj. ou compl. de n. sont moins fréq. aisance naturelle; libre −; parfaite −; mondaine −; − de l'allure, des mouvements, des manières. 3. Le plur. except. empl. signifie « gestes de quelqu'un qui est à son aise » (cf. supra A 2 b) :
27. Elle entre comme une bombe dans la salle à manger, aperçoit sur la table, au milieu des papiers de notre roman, un pot de confitures d'épicier en faïence et un trognon de pain, prend le trognon, plonge la cuiller dans le pot entamé et goûte bravement.
Voilà de ces aisances, chez elle naturelles, rondes, familières et charmantes. « Ah! lui dis-je, si la duchesse d'Angoulême vous voyait! ».
E. et J. de Goncourt, Journal, nov. 1868, p. 466. Prononc. : [εzɑ
̃:s]. − Rem. Gattel 1841 transcrit la 1resyllabe avec [e] fermé. Étymol. ET HIST. − 1. 1284 « dépendance d'une maison » (Cart. de S. Maur, A.N. LL 114, fo48 vods Gdf. Compl. : Lor molins qui touz perissoient par ce qu'il n'avoient point d'yaue a l'aisance des mesons et de lor molins si comme elle soloit); 1557 sing. « latrines » (A. Meuse, B 558, fo172, ibid. : La toicture qui est au dessus du privet et aysance de la conciergerie); 1606 plur. « id. » (Nicot : Et en pluriel Aisances se prend aussi pour un privé, d'autant qu'on y va aiser et descharger le ventre, Latrinae); 2. xiiies. aiesance « commodité résultant de la libre disposition de quelque chose » (Guill. de Tyr, XX, 27 ds Gdf. Compl. : Li rois ne savoit pas bien la certeineté si li Turc estoit la ou non, mis sanz faille ilec s'estoient il logié por avoir l'aiesance de l'eau); ca 1459 aysance « situation de fortune qui assure le bien-être » (J. Meschinot, Lunettes des princes, fo9 vo, ibid. : Aysance nuist aux dissolus mondains); 1606 aisance « facilité naturelle qui ne donne aucune impression d'effort » (Nicot : Aisance de langage, Facultas orationis).
Du lat. adjacentia « environs », attesté dep. le Iers. (Pline, Naturalis historia, 37, 137 ds TLL, 664, 37 : adiacentia inlustrare); part. prés. neutre plur. substantivé d'adjacere, qui devint également subst. fém. au ves. et prit le sens de « bonne disposition » (St Augustin, De natura et gratia, 51, ibid., 663, 55 : ubi ... est inseparabilis possibilitas, ei accidere non potest voluntatis infirmitas, vel potius voluntatis adiacentia et perfectionis indigentia). STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 166. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 868, b) 1 333; xxes. : a) 1 611, b) 1 680. BBG. − Bailly-Roche 1967. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Cap. 1936. − Chabat t. 1 1875. − Daire 1759. − Dup. 1961. − Dupin-Lab. 1846. − Éd. 1967. − Fér. 1768. − Jossier 1881. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Lew. 1960, p. 63, 119, 122, 132. − Noter-Léc. 1912. − Thomas 1956. |