| AIGRIR, verbe. Devenir, rendre aigre. I.− Emploi trans. ou intrans. A.− Au propre 1. [En parlant d'une substance : boisson, aliment, etc.] Prendre ou faire prendre un goût, un relent piquant : 1. Il fausse la boussole! Il met des cafards dans la farine! Il met des vers dans le bœuf salé! Il boit l'eau! Il aigrit le vin!
P. Claudel, Le Livre de Christophe Colomb,1929, p. 1162. 2. L'odeur de la tinette se mêle aux exhalaisons d'un reste de soupe qui aigrit dans l'écuelle.
R. Martin du Gard, Vieille France,1933, p. 1096. Rem. Synon. acidifier, altérer, corrompre, fermenter, gâter, surir, tourner. Anton. sucrer. 2. P. anal. [En parlant des conditions atmosphériques] Devenir, rendre plus âpre, plus violent : 3. Le village était tout en silence. Une avancée de froid aigrissait le fond de l'air.
J. Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 191. 3. MÉTALL. [En parlant d'un métal] Devenir, rendre peu ductile, cassant : 4. Quant à toi, Méthousaël (dit Soliman) (...), tu as aigri la fonte en y jetant des laves sulfurantes, recueillies aux rives du lac de Gomorrhe.
G. de Nerval, Voyage en Orient,t. 3, 1851, p. 207. B.− Au fig. 1. [En parlant d'une pers., de son caractère, humeur, manière d'être, etc.] Altérer l'état d'esprit, devenir ou rendre irritable, méchant, violent : 5. ... une telle cérémonie faisait à la république beaucoup plus d'ennemis que d'amis, aigrissait au lieu d'adoucir, ébranlait au lieu de raffermir, était indigne enfin du gouvernement d'une grande nation.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 723. 6. Je suis sûr, aussi, que cette persécution qui a assombri toute mon adolescence, n'a eu pour résultat que d'attrister mon caractère sans le mûrir, et de l'aigrir un peu, ...
V. Larbaud, Journal,févr. 1935, p. 360. Rem. Synon. assombrir, attrister, exaspérer, excéder, fâcher, horripiler, irriter, indisposer, piquer, ulcérer, vexer. Anton. adoucir, apaiser, attendrir, consoler, radoucir, rasséréner. 2. [En parlant d'un sentiment, d'une situation] Devenir, rendre plus vif, plus cuisant, plus pénible : 7. La voix de Chantal le cloua [La Pérouse] au seuil, stupéfait.
... Ce qui l'avait mis en un instant hors de lui-même, c'était la tristesse comme augurale de cette voix, tristesse comparable à nulle autre, parce que l'observateur le plus subtil n'y eût rien décelé qui ressemblât au dépit, à la contrariété de l'amour déçu qui aigrit toute tristesse humaine.
G. Bernanos, La Joie,1929, p. 658. 8. − ... Bondine aime le peuple, mais il l'aime d'un amour profond, et non de cet amour emporté produit par l'effervescence de la jeunesse, aigri plus tard par les déceptions de l'âge mûr, qui finit par s'imprégner de fiel, dégénère en ambition...
J. Giono, Bonheur fou,1957, p. 279. Rem. Synon. aggraver, attiser, aviver, envenimer, exacerber, exciter. Anton. calmer. II.− Emploi pronom. A.− Au propre 1. [En parlant d'une substance] Prendre un goût piquant : 9. J'ai conservé ainsi un peu de cette sagesse paysanne sans quoi le blé pousse de travers et le meilleur raisin de vendange s'aigrit dans les tonneaux.
H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 27. Rem. Synon. s'acidifier, s'altérer, se corrompre, se gâter. 2. MÉTALL. [En parlant d'un métal] Devenir cassant : 10. [Les chaînes] sont sujettes à rompre brusquement. Le métal s'aigrit et cristallise. Il est bon de recuire les chaînes tous les six mois.
J.-N. Haton de La Goupillière, Cours d'exploitation des mines,1905, p. 1025. B.− Au fig. 1. [En parlant d'une pers., de son caractère, de son humeur, mode d'être, etc.] Devenir irritable, amer : 11. Ces deux femmes étaient jalouses l'une de l'autre, et elles ne pouvaient se trouver ensemble sans s'aigrir.
A. France, Le Génie latin,1909, p. 282. 12. Dans la solitude, sa mauvaise humeur « fermentait », son cœur s'aigrissait.
J. Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 174. Rem. Synon. s'exaspérer, se fâcher, s'irriter, se piquer, s'ulcérer, se vexer. Anton. s'adoucir, s'apaiser, s'attendrir, se consoler, se radoucir. 2. [En parlant d'un sentiment, d'une situation, etc.] Devenir plus violent, plus poignant, plus douloureux : 13. Le mécontentement s'aigrit de minute en minute : ...
H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 25. 14. Le Comité de sûreté générale jalousait le Comité de salut public et, après la loi de prairial, le conflit s'aigrit. La tendance à la centralisation menaçait aussi Cambon, seul maître au Comité des finances et à la Trésorerie. Ce fut encore une fois sur Robespierre que l'animosité se concentra.
G. Lefebvre, La Révolution française,1963, p. 430. Rem. Synon. s'aggraver, s'aviver, s'envenimer, s'exacerber, s'exciter. Anton. se calmer. Prononc. : [εgʀi:ʀ] ou [e-]. Passy 1914 transcrit le mot avec [ε] ouvert, Pt Rob. et Pt Lar. 1968 avec [e] fermé. D'apr. Warn. 1968, la prononc. avec [ε] relève du lang. soutenu, celle avec [e] du lang. cour. − Rem. Gattel 1841 et Fél. 1851 transcrivent le mot avec [e] fermé, le reste des dict. de prononc. du xixes. avec [ε] ouvert. Enq. : /egʀi, egʀis/. Conjug. agir. Étymol. ET HIST. − 1. xiies. aigri « (en parlant du soleil) devenu ardent, piquant » part. passé adj. (Roman d'Alexandre, éd. Michelant, 112, 26 ds T.-L. : Et la calors mult grans, et li solaus aigris), emploi isolé; 2. 1ertiers xiiies. intrans. « devenir aigre, tourner » métaph. (Gautier de Coincy, Miracles de la Vierge, éd. Poquet, 296, 194, ibid. : D'egrir nous gart et de torner Si qu'au siecle ne retornons); xves. « (d'inanimés) devenir aigre, pénible » fig. (G. Chastellain, Chron., éd. Kervyn, IV, 7, Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 1, p. 494 : Plus alloient avant et croissoient leurs ans, plus se fellissoient et aigrissoient les matières entre eux et se disposoient à ruyne); 3. 2etiers xiiies. « devenir aigre » au propre ([Alart de Cambrai,] Moralité des philosophes, ms. Chartres 620, fo11 c ds Gdf. Compl. : Se li veissiaus n'est fres et nez, quant que l'en metra dedenz aigrira).
Dér. de aigre* au sens propre et fig., adj.; dés. -ir. STAT. − Fréq. abs. litt. : 242. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 462, b) 539; xxes. : a) 275, b) 178. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Caput 1969. − Laf. Suppl. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Nysten 1814-20. |