| AIGLON, ONNE, subst. I.− Sens gén. A.− Petit de l'aigle : 1. ... on voit l'instinct social et celui de famille céder, dans le père et la mère du jeune aiglon, au besoin personnel de subsistance : ils n'hésitent pas à le chasser, faible encore de leur aire, et à le bannir à jamais du territoire sur lequel ils se sont arrogé un empire exclusif.
P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme,t. 2, 1808, pp. 331-332. 2. Un gland tombe de l'arbre et roule sur la terre,
L'aigle à la serre vide, en quittant les vallons,
S'en saisit en jouant et l'emporte à son aire
Pour aiguiser le bec de ses jeunes aiglons; ...
A. de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, Le Chêne, 1830, p. 367. 3. L'aigle noir aux yeux d'or, prince du ciel mongol,
Ouvre, dès le premier rayon de l'aube claire,
Ses ailes comme un large et sombre parasol.
Un instant immobile, il plane, épie et flaire.
Là-bas, au flanc du roc crevassé, ses aiglons
Érigent, affamés, leurs cous au bord de l'aire.
Par la steppe sans fin, coteau, plaine et vallons,
L'œil luisant à travers l'épais crin qui l'obstrue,
Pâturent, çà et là, des hardes d'étalons.
Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes tragiques,La Chasse de l'aigle, 1886, p. 53. B.− Au fig. 1. [P. allus. aux traits physiques de l'aigle] − P. anal. [Appliqué à une pers.] Cri(s) d'aiglon(ne). Cris aigus : 4. Au jour tombant, allé chez la maîtresse de Gau, MmeA. Toujours au lit, geignant, plaignant, et sacrant aussi quelque peu. Lui ai demandé Gau, mais il paraît qu'elle ne l'avait pas vu de la journée, ce qui lui faisait pousser des cris d'aiglonne abandonnée. L'ai plantée là.
J. Barbey d'Aurevilly, Deuxième Memorandum,1838, p. 232. ♦ Nez d'aiglon(ne). Nez busqué : 5. Les empereurs [des Marseillais] fuient des épouses aux nez d'aiglonnes, bijoutées de soucoupes à toutes les phalanges, les oreilles, les cous, les poitrines, les bracelets et les peignes; acariâtres, charbonnées, gourmandes et heureusement infidèles à la perfection ...
J. Giono, Triomphe de la vie,1941, p. 10. ♦ Yeux d'aiglon(ne). Yeux très perçants : 6. On aperçoit pourtant par intervalles, dans un magma de vieilles chairs, quelque beauté fulgurante. De vraies gazelles aux joues de cire parfumée, des filles de Shéhérazade, des sultanes aux yeux d'aiglonne et qui font rêver le passant.
L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 102. 2. [P. allus. à la noblesse de l'aigle] a) Celui, celle qui porte en soi des promesses de génie, d'un sort élevé : 7. Dites bien, Monsieur, à votre jeune aiglon, à votre Victor, qu'il est un autre Victor qui lui envierait bien, si l'envie se mêlait à l'affection, son beau chant sur David, le Juif, la Mer et le Lac, composition ingénieuse et inspirée, et surtout sa ravissante élégie de l'Enfant. Dites-lui, à lui, qu'il ne cache pas sa tête sous son aile; son aile est faite pour planer dans le ciel et sa tête pour contempler le soleil.
V. Hugo, Correspondance,1827, pp. 438-439. 8. Et j'ai prié, et j'ai aimé, et j'ai chanté, poète pauvre et souffrant! Et c'est en vain que mon cœur déborde de foi, d'amour et de génie!
C'est que je naquis aiglon avorté! L'œuf de mes destinées, que n'ont point couvé les chaudes ailes de la prospérité, est aussi creux, aussi vide que la noix dorée de l'égyptien.
A. Bertrand, Gaspard de la nuit,1841, pp. 226-227. 9. « (...) Si je plais à mon poëte, s'il me plaît, le brillant édifice de notre amour sera bâti si haut, qu'il sera parfaitement inaccessible au malheur : je suis une aiglonne et vous le verrez à mes yeux. » [Lettre de Modeste]
H. de Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 94. 10. ... le jeune artiste qui se sent le feu intérieur, procède, en quelque sorte par intuition : Il sait qu'il est aiglon, le vent passe; il le suit!
F. le Dantec, Savoir! Considération sur la méthode scientifique, la guerre et la morale,1920, p. 245. − Spéc. Surnom donné au fils de Napoléon Ier, l'Aigle : 11. Oui, l'aigle, un soir, planait aux voûtes éternelles,
Lorsqu'un grand coup de vent lui cassa les deux ailes
(...)
Tous alors sur son nid fondirent pleins de joie;
Chacun selon ses dents se partagea sa proie;
L'Angleterre prit l'aigle, et l'Autriche l'aiglon.
V. Hugo, Les Chants du crépuscule,1835, p. 50. 12. ... le grand Aigle est tombé dans l'océan en passant à Sainte-Hélène; il n'y a vol si haut et si fort qui ne défaille dans l'immensité des cieux. L'Aiglon royal vient de mourir. On nous avait annoncé d'autres aiglons de Juillet 1830; apparemment qu'ils sont descendus de leur aire pour nicher avec les pigeons battus.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 4, 1848, pp. 117-118. 13. le duc (à l'Empereur). − Vous n'empêcherez pas que je ne sois l'Aiglon!
l'empereur. − Mais l'aigle des Habsbourgs a des aiglons sans nombre. Et vous en êtes un, voilà tout!
E. Rostand, L'Aiglon,1900, III, 3, p. 125. − Iron. ,,Celui qui, sans avoir les talents nécessaires, veut s'élever trop haut dans une science, dans un art, etc.`` (Nouv. Lar. ill.). b) Except. Ce qui est encore dans un état primitif : 14. La plus magnifique, la plus triomphante, la plus glorieuse de nos œuvres n'est jamais que l'indigne contrefaçon, que le rayonnement éteint de la moindre de ses œuvres immortelles [du Créateur]. Toute originalité est un aiglon qui ne brise la coquille de son œuf que dans les aires sublimes et foudroyantes du Sinaï.
A. Bertrand, Gaspard de la nuit,1841, p. 59. II.− Emplois spéc. A.− Argot 1. ,,Apprenti voleur (Argot des voleurs).`` (Ch. Virmaître, Dict. d'argot fin-de-siècle, 1894, p. 6). 2. ,,Mauvais camarade; c'est le contraire du pote.`` (Ch.-L. Carabelli, [Langue de la pègre]). 3. ,,Femme laide et sans goût, fille de rien.`` (Ch.-L. Carabelli, [Langue de la pègre]) : 15. Où as-tu dégauchi cet aiglon?
Esn.1966. B.− Emplois techn. 1. COUT. Col aiglon. Col composé d'un pied coupé et d'un tombant, employé dans les uniformes, les livrées et parfois dans les tenues civiles, pour les pardessus ou les vareuses : 16. − J'taillerai deux grandes poches raglan de chaque côté, et j'm'arrangerai un col aiglon... Tu verras si je serai rider.
R. Dorgelès, Les Croix de bois,1919, pp. 65-66. 2. HÉRALD. Aiglette sans bec ni serres (cf. aiglette et aigliau). Synon. alérion : 17. Il porte d'azur à trois aiglons d'or, à trois aiglettes d'or.
Ac.1798. Rem. 1. Attesté également ds Wailly Vocab. 1818, Boiste 1834, Land. 1834, Ac. 1835-1932, Besch. 1845, Littré, Nouv. Lar. ill., DG, Lar. 20e, Rob., Quillet 1965, Lar. Lang. fr. 2. Divers dict. (Nouv. Lar. ill., DG, Lar. 20e, Quillet 1965) signalent en outre un emploi adj. « qui appartient à (la race de) l'aigle »; dans le syntagme la gent aiglonne (La Font., Fables, III, 6, v. 36), il s'agit d'un néol. plais. d'aut. (cf. encore la gent marcassine, La Font., Fables, III, 6, v. 36 et la race escarbote, La Font., Fables, II, 8, v. 53); aucun ex. récent dans la docum. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [εglɔ
̃], fém. [-ɔn] Passy 1914 note [ε
ˑ] ouvert mi-long. 2. Hist. − Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787 et Gattel 1841 transcrivent la 1resyllabe du mot avec [e] fermé. Ac. 1835 et Littré distinguent 2 vedettes aiglon : l'une désigne le petit de l'aigle, l'autre est consacrée au terme de blas. pour lequel ils renvoient à alérion. Les autres dict. du xixes. font ce renvoi uniquement dans le cadre d'une sous-vedette. Nouv. Lar. ill. traite le terme de blas. au plur. et précise : ,,aiglons, on dit aussi aiglats et aiglettes`` (cf. aiglette). − Rem. Les dict. du xxes. renvoient également à alérion pour le terme de blas. Étymol. ET HIST. − 1546 « petit de l'aigle » (J. de Caigny, Sermons de Guerricus, 129 rods Quem. t. 1 1959 : un aiglon abastardy).
Dér. de aigle*; suff. -on*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 90. BBG. − Bél. 1957. − Esn. 1966. |