| AHURIR, verbe trans. Provoquer une réaction très vive (de nature physique et morale) d'étonnement, de trouble, d'abêtissement. I.− Emploi trans. [Souvent à la voix passive] Ahurir qqn (de, par, sous, etc.). Cf. aussi ahuri II A 2. A.− [L'idée de surprise domine] Jeter dans la stupéfaction, frapper d'étonnement : 1. D'ailleurs, madame Josserand continuait, ahurissait son gendre par des déclarations extraordinaires...
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 231. 2. Christophe fit de nouvelles démarches chez des marchands de musique : elles ne servirent à rien. Il trouvait les Français peu accueillants; et leur agitation désordonnée l'ahurissait. Il avait l'impression d'une société anarchique, dirigée par une bureaucratie rogue et despotique.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 669. 3. Je m'étais enfoncée dans une telle solitude que par moments je devenais tout à fait étrangère au monde et il m'ahurissait par son étrangeté; les objets n'avaient plus de sens, ni les visages, ni moi-même : comme je ne reconnaissais rien, il était tentant d'imaginer que j'avais atteint l'inconnu.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 265. Rem. Synon. abasourdir, ébahir, éberluer, étonner, interdire, interloquer, stupéfier, surprendre. B.− [L'idée de trouble, de désordre psychique domine] Faire perdre la tête : 4. Quelques minutes avaient suffi pour poudrer à blanc, sous la toile palpitante de la charrette, Isabelle, Sérafine et Léonarde, quoiqu'elles se fussent réfugiées tout au fond et abritées d'un rempart de paquets. Ahuri par les flagellations de la neige et du vent, le cheval n'avançait plus qu'à grand'peine. Il soufflait, ses flancs battaient, et ses sabots glissaient à chaque pas.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 143. 5. Il [Anatole] madrigalisait avec la femme, l'ahurissait, l'étourdissait...
E. et J. de Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 366. 6. Il y aurait de quoi me conduire à Charenton si je n'avais pas la tête forte. D'ailleurs, c'est mon but (secret) : ahurir tellement le lecteur qu'il en devienne fou. Mais mon but ne sera pas atteint, par la raison que le lecteur ne me lira pas; il se sera endormi dès le commencement.
G. Flaubert, Correspondance,1878, p. 175. 7. Jeté près de Frœschwiller (...) il [le soldat de la ligne] avait vu des lueurs rouges filer dans des bouquets de fumée blanche, et il avait baissé la tête, tremblant, ahuri par la canonnade, effaré par le sifflet des balles.
J.-K. Huysmans, Les Soirées de Médan,Sac au dos, 1880, p. 132. 8. ... attribuer enfin au suspect de Vincennes l'organisation et la mise en train d'une secte qu'il n'aura peut-être néanmoins ni prévue ni voulue d'aucune manière et dont le développement, s'il avait pu prophétiquement le connaître, ne l'aurait peut-être pas moins ahuri que désolé. À ce pauvre cerveau si peu cohérent, on fait couver de vastes desseins, à ces épaules que nous avons vues si chancelantes, on fait porter un long siècle de manœuvres tenaces.
H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 4, 1920, p. 69. Rem. Synon. confondre, déconcerter, décontenancer, démonter, dérouter, désemparer, désorienter, effarer, étourdir, méduser, pétrifier, troubler. Anton. rasséréner, rassurer, tranquilliser. C.− Péj. Rendre stupide, hébéter : 9. L'étonnement de se voir attaché, la vue de tout ce monde qui le regardait, l'ahurissaient, l'abêtissaient davantage. Comme il ne parlait et n'entendait que le patois, il ne put deviner ce que voulait le gendarme. Il levait vers lui sa face épaisse, faisait effort...
É. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 308. II.− Emploi pronom., rare Stylistique − Ahurir (et parfois s'ahurir) est noté comme fam. ds la plupart des dict. (Ac. 1798-1932, Wailly 1808, Boiste 1834, Land. 1834, Besch. 1845, DG, Quillet 1965), comme vx et fam. ds Lar. Lang. fr.; dans les ex. les plus récents, est plutôt littér. que fam., gén. accompagné d'un cont. expr., au milieu duquel il prend une valeur nettement superl. La réaction se diversifie suivant la nature de la cause qui la provoque : elle affecte plus spéc. les traits du visage qui la manifestent.A.− S'étonner, se troubler : 10. Il n'était pas encore bien éveillé. Les paroles de Lisa retentissaient, comme s'il eût déjà entendu les fortes bottes des gendarmes, à la porte de la chambre. Il la regardait, coiffée, serrée dans son corset, sur son pied de toilette habituel, et il s'ahurissait davantage, à la trouver si correcte dans cette circonstance dramatique.
É. Zola, Le Ventre de Paris,1873, p. 756. B.− Perdre contenance, s'affoler : 11. Contre toute attente, le bourreau-des-faubourgs, bien moins endommagé qu'il n'en avait l'air, se porta si brusquement en avant, que le mâle de la Grésigne, étourdi de cette attaque impétueuse, si contraire aux pratiques habituelles de l'escobard, oscilla sur ses orteils, la clavicule à demi-rompue par ce choc à poings fermés plutôt qu'à mains ouvertes, s'ahurit et manqua de choir en arrière, à la grande ire des rustres, qui s'écrièrent d'une voix unanime, en le gourmandant :
− Tu n'as donc plus de sève?
L. Cladel, Ompdrailles,1879, p. 289. C.− S'abrutir, devenir stupide : 12. ... sachant (...) assez d'escrime, quelque peu de calcul et d'histoire − très peu, crainte de s'ahurir − et toutes les danses connues.
G. d'Esparbès, La Grogne,1905, p. 18. Prononc. − 1. Forme phon. : [ayʀi:ʀ]. Passy 1914 indique un [h] facultatif au début de la seconde syllabe. Enq. : /ayʀi, ayʀis/. Conjug. agir. 2. Dér. et composés : ahuri, ahurissant, ahurissement. Étymol. ET HIST. − 1. 1270 part. passé adj. « qui a une chevelure hérissée » (Rob. le Diable, ap. Diez, Etym. Wört., voHure ds Gdf. : La gent barbee et ahurie); vx d'après Quillet 1965; 2. xves. « troubler jusqu'à faire perdre la tête » (Mémor. des grands gest. et faicts en la prov. de Lorhaine ds Gdf. Compl. : Et fust li duc Raoul moult amoureusement aheuris de la dicte dame).
Dér. de hure*; préf. a-1*, dés. -ir. STAT. − Fréq. abs. litt. : 51. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Darm. Vie 1932, p. 98. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 12, 13. − Éd. 1967. − Dup. 1961. − Haust (J.). Étymologies wallonnes et françaises. Liège-Paris, 1923, pp. 147-148 (Bibl. de la Fac. de philos. et lettres de l'Univ. de Liège, 32.). − Le Roux 1752. − Prév. 1755. |