| AGUERRIR, verbe trans. Habituer à la guerre. A.− Emploi trans. [En parlant de pers.] 1. Domaine milit.Aguerrir qqn. L'accoutumer à mener une vie de combattant, avec les fatigues et les dangers qu'elle entraîne : 1. Il fallait remettre l'ordre en Italie. Il fallait substituer peu à peu aux légions indociles qui avaient vaincu à Philippes, une armée qui valut celle d'Antoine; la discipliner, l'aguerrir. Il fallait, sous les yeux de Sextus, maître de la mer, construire des vaisseaux, exercer des matelots.
J. Michelet, Histoire romaine,t. 2, 1831, p. 308. 2. Ce n'est point par la force qu'il convient de résister à la force, car la lutte aguerrit les combattants et le sort des batailles est douteux.
A. France, Le Puits de Sainte-Claire,1895, p. 202. 2. P. ext., au propre et au fig. Habituer à vivre de façon plus combative, plus dure, plus apte à supporter des épreuves : 3. − Prenez garde, monsieur; au luxe accoutumé,
Contre la pauvreté vous êtes désarmé,
Et l'assaut des besoins vous sera bien plus rude
Qu'aux hommes aguerris par la vieille habitude.
F. Ponsard, L'Honneur et l'argent,1853, II, 6, p. 40. 4. J'aurais de la peine à vous expliquer comment une fantaisie aussi hardie pouvait naître dans un esprit que je vous ai montré d'abord si pusillanime; mais bien des épreuves m'avaient aguerri.
E. Fromentin, Dominique,1863, p. 194. 5. La semaine suivante, Charles fut emporté par une fièvre typhoïde. Un soir, sa grand'mère lui avait relu le combat du Vengeur pour l'aguerrir; et le délire l'avait pris dans la nuit.
É. Zola, Le Capitaine Burle,1883, p. 60. 6. − Vous devrez obligatoirement jouer dehors, sauf s'il pleut.
− Mais s'il fait très froid? hasarda mademoiselle.
− Rien de meilleur pour les aguerrir, rétorqua Madame mère. Je suis pour une éducation forte.
H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 47. − [En parlant d'un attribut de la pers.] :
7. ... Courage! voici l'heure
Où l'âme se roidit au fond du corps qui pleure.
Regarde si ton arc, jeune homme, est bien tendu;
Jeune fille, aguerris ton regard éperdu!
L. Dierx, Poèmes et poésies,Souré-Ha, 1864, p. 41. 8. Peuple immonde, habitant de ce corps endurci,
Et nourri de son sang inerte. C'est ainsi
Que, gardant à jamais sa rigide attitude,
Il rêvait comme un dieu fait d'un bloc sec et rude.
Çanta, le sein ému d'une pieuse horreur,
Frémit; mais le jeune homme, aguerrissant son cœur,
Parla, plein de respect...
Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes antiques,Cunacépa, 1874, p. 49. 9. Et le combat durera, entrecoupé de trêves, jusqu'à ce que l'un des deux ait été terrassé. À vous, d'être plus forts et plus heureux que nous!... − En attendant, fais du sport, si tu veux; aguerris tes muscles et ton cœur; et ne sois pas assez fou pour dilapider en niaiseries ta vigueur impatiente : tu es d'un temps (sois tranquille!) qui en trouvera l'emploi.
J. Rolland, Jean-Christophe,La Nouvelle journée, 1912, p. 1540. 10. Mais en même temps, il faut se garder de leur être trop complaisant, aguerrir progressivement cette sensibilité délicate à un air plus vif et à des surprises sans désarroi. Qu'on ne fasse pas appel à « la volonté » de l'émotif, à « son énergie » : ces mots sont pour lui sans résonance, froids et cruels.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 243. − [En parlant d'une pers. ou d'un attribut d'une fonction de la pers.] Aguerrir + prép. ♦ Aguerrir à : 11. Quant au merveilleux romanesque, il faut se souvenir qu'alors on croyait aux enchantements, aux sortilèges, aux revenants, aux esprits, à la puissance des deux magies; on était même loin du temps où l'imagination cesserait d'être obsédée de ces fantômes : il fallait donc l'y accoutumer, l'y aguerrir, lui faire entendre et croire que ces périls surnaturels avaient eux-mêmes leur issue, et qu'aux puissances malfaisantes que pouvait évoquer le crime, le ciel en apposait de secourables pour l'innocence, de favorables à la vertu.
J.-F. Marmontel, Essai sur les romans,1799, pp. 300-301. ♦ Aguerrir contre. Prémunir contre un danger, protéger physiquement ou moralement contre des luttes éventuelles : 12. ... heureusement il vous a aguerris contre les prestiges de son éloquence...
Le Moniteur,t. 2, 1789, p. 358. 13. Il fallait un chef habile pour commander l'expédition : La Pérouse fut choisi. Ses travaux et ses succès constans dans la marine militaire, l'avaient aguerri contre toute espèce de dangers, et le rendaient plus propre que personne à vivre la carrière pénible et périlleuse d'une longue navigation, sur des mers inconnues, et au milieu de contrées habitées par des peuples barbares.
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 1, 1797, p. XXXI. ♦ Plus rare. Aguerrir pour. Cf. aguerri, ex. 15. B.− Emploi pronom. Stylistique − Composé du préf. -a et du subst. guerre, ce parasynthétique verbal appartient en propre au vocab. milit. On le rencontre donc plus spéc. dans des ouvrages hist., mémoires de guerre, journaux, etc.; il paraît avoir une vitalité plus grande au xixes. qu'au xxes. Avec l'idée de lutte qu'il contient, aguerrir glisse facilement du sens propre au sens fig., d'où, en poésie, l'antithèse suiv. :
27. Moi, ce n'est point au col d'un perfide Lycambe
Que j'apprête un lacet vengeur.
Ma foudre n'a jamais tonné pour mes injures.
La patrie allume ma voix;
La paix seule aguerrit mes pieuses morsures;
Et mes fureurs servent les lois.
A. Chénier, Iambes, Hymne, 1794, p. 263.1. [En parlant de pers.] Se plier aux exigences de la vie militaire, en s'habituant peu à peu au combat et au danger. a) Emploi abs. : 14. ... les Français se sont aguerris, l'entrée des troupes étrangères sur leur territoire a exaspéré les esprits, et le Gouvernement a mis à profit ce ressentiment pour trouver des défenseurs.
G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1692. 15. Il parla de la nouvelle armée qui se formait sur la Loire, et dont les débuts, du côté d'Arthenay, n'avaient pas été très heureux : elle allait s'aguerrir, elle marcherait au secours de Paris.
É. Zola, La Débâcle,1892, p. 508. 16. Lucifer, dès qu'il vit son armée au point de ne plus s'accroître ni s'aguerrir davantage, la dirigea précipitamment sur l'ennemi...
A. France, La Révolte des anges,1914, p. 193. b) S'aguerrir + prép.S'aguerrir à : 17. Madame Le Maître aimait plus tendrement qu'aucun autre de ses fils M. de Séricourt, homme bien aimable en effet, doux, délicat, qui s'était aguerri vaillamment au métier des armes, et que ses dangers même rendaient plus précieux au cœur maternel.
Ch. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 1, 1840, p. 405. 2. P. ext., au propre et au fig. S'accoutumer aux périls et aux fatigues de toute nature, s'endurcir à un mal physique ou à une épreuve morale. a) Emploi abs. : 18. Pourtant Plaisir craignait si peu et dominait tellement ceux auxquels il avait affaire, leur arrachant sous le nez les féveroles et autres tubercules sucrés qu'ils trouvent dans nos terres, que je travaillais à m'aguerrir auprès de lui.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, pp. 21-22. 19. Chasse plus émouvante, plus dangereuse que l'autre. Fouetté par les outrages des adversaires, exalté par les dévouements qu'il suscitait chez ses fidèles, le candidat novice s'aguerrit, se mit à aimer cette vie de surmenage physique et mental.
E. de Vogüé, Les Morts qui parlent,1899, p. 101. 20. « − Vous allez prendre froid, lui ai-je dit. Vraiment vous ne voulez-pas que nous rallumions votre feu? ... Allons-y.
− Non... il faut s'aguerrir.
− Quoi! C'est du stoïcisme?
− Un peu. C'est parce que j'avais la gorge délicate que je n'ai jamais voulu porter de foulard. J'ai toujours lutté contre moi-même.
A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1026. − P. ext. S'enhardir; devenir arrogant : 21. Rougon évita de répondre. Il parut plier les épaules. Puis, il revint de nouveau à la charge, contre Delestang seul. Pendant quelques minutes encore, la discussion continua entre eux, par phrases brèves. Le bel homme s'aguerrissait, devenait mordant. Alors, peu à peu, Rougon se souleva. Il entendait pour la première fois son pouvoir craquer sous lui.
É. Zola, Son Excellence Eugène Rougon,1876, p. 287. − [Le suj. est except. un inanimé, désignant un mal] Se consolider; se fortifier : 22. Quand un remède ne produisait pas l'effet attendu, il [le Dr Vivier] passait à un autre, cherchant avant tout à décrocher le mal en une fois, sans lui laisser le temps de s'aguerrir.
L. Daudet, Salons et journaux,1917, p. 220. b) S'aguerrir + prép.S'aguerrir à : 23. Regarder l'injustice avec un œil stoïque,
Se faire aux passe-droits, aux affronts s'aguerrir...
A. Pommier, Océanides et fantaisies,1839, p. 186. 24. ... je ne sais pourquoi la pensée de la mort m'apparaît toujours comme très prochaine. Mais je m'y suis aguerri...
E. Renan, Lettre à M. Cognat,1845, p. 403. 25. « Nous allons donc faire de toi un maître d'étude ... En commençant, on ne te mettra pas dans une grande baraque... Je vais t'envoyer dans un collège communal... Là tu feras ton apprentissage d'homme, tu t'aguerriras au métier... »
A. Daudet, Le Petit Chose,1868, p. 47. Rem. Un ex. de s'aguerrir dans, où la prép. introduit un compl. de moyen : 26. C'est dans l'histoire que peuvent s'aguerrir des trop susceptibles pour se mêler d'abord aux spectacles de la vie. Celle-ci, en devenant la mort, leur semble s'épurer; du moins, elle se dépouille : simplifiée et fixée, elle fait un plus facile objet d'étude.
M. Barrès, L'Appel au soldat,1900, p. 18. Prononc. − 1. Forme phon. : [agε
ʀi:ʀ], j'aguerris [ʒagε
ʀi]. Pt Rob. transcrit la 2esyllabe avec [e] fermé (cf. aussi Gattel 1841 et Nod. 1844). Enq. : /ageʀi, ageʀis/. Conjug. agir. − Rem. Littré précise : ,,a-ghè-rir et non a-ghè-rrir, comme disent quelques-uns``. 2. Dér. et composés : aguerrissement. Cf. guerre. Étymol. ET HIST. − 1535 actif, sens propre « habituer aux périls de la guerre » (G. de Selve, Vies de Plutarque, 104 vo, éd. 1547 ds R. Hist. litt. Fr. t. 1, pp. 493-94 : Bonnes gens et bien aguerriz); d'où 1665 id., fig. « accoutumer aux choses pénibles » (Graindorge ds Fr. mod., 14, 289 : je prends un plaisir indicible à vous voir aguerri aux pauvres chiens); 1694 pronom., au propre et au fig. « s'endurcir, se faire à » (Ac. : ces troupes se sont aguerries. il n'est pas fait au grand monde, il s'aguerrira).
Dér. de guerre*; préf. a1-*, dés. -ir. STAT. − Fréq. abs. litt. : 27. BBG. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Caput 1969. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Prév. 1755. |