| AFFAIRE, subst. fém. I.− Action en projet ou en cours, à laquelle une ou plusieurs personnes (agents) sont directement ou indirectement intéressées. A.− L'action est un projet ou se trouve à son stade initial. 1. Avec une idée d'obligation, de responsabilité : ce que l'on a à faire. [L'agent est exprimé] a) [Par le suj. du verbe] J'ai affaire : 1. ... « Il le faut, monsieur. Je vais rejoindre mon mari à Paris; nos places sont retenues pour mardi prochain. − Je suis mortifié que votre départ soit aussi prompt! J'ai affaire où vous allez; je vous aurais accompagnée. »
N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 111. 2. Aussitôt madame Servigné s'écria : « Mais, ma nièce, nous irons tous! ... »
− Non pas moi, dit Charles avec un embarras visible, car j'ai précisément affaire à cette heure-ci.
H. de Balzac, Annette et le criminel,t. 1, 1824, p. 138. b) [Par un adj. poss.] C'est votre affaire : 3. Toutes les choses qui sont aisées à bien dire ont été parfaitement dites; le reste est notre affaire ou notre tâche : tâche pénible!
J. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 433. 4. ... la politique! C'était son affaire, après tout.
E. Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 194. Rem. On trouve au xixes. dans la lang. fam. c'est affaire à + pron. pers. : 5. Ce Godefroid était un malin compère, il les savait toutes, monsieur. Ah! c'était affaire à lui pour découvrir un voleur.
F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, Chef de la Police de sûreté jusqu'en 1827,t. 4, 1828-1829, p. 17. − [Avec un compl. prép. (de) marquant l'obj. de l'obligation ou de la responsabilité] Je fais mon affaire de qqc. ou qqn : 6. − Votre mari? ... Oh! Lui, j'en fais mon affaire!
G. Feydeau, La Dame de chez Maxim's,1914, I, 10, p. 17. c) [Par un compl.] :
7. L'art n'a point pour objet de vaincre les passions, ce qui est l'affaire de la morale, mais bien de les ordonner, par un besoin profond de notre esprit de conquête qui constitue précisément une passion.
É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 277. 2. Avec une idée de simple (pré)occupation ou d'intérêt : ce à quoi on s'intéresse. [L'agent est exprimé] a) [Par le suj. et un adj. poss.] Il est à son affaire : 8. Aussi le comte avait-il toujours fort ménagé ses sujets. Pour ne les point mécontenter, il ne s'était pas jeté dans les guerres qui l'environnaient; mais il était très-adonné à ses plaisirs, et en faisait sa seule affaire.
P. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 1, 1824, p. 153. − Loc. Être à son affaire : 9. petypon. − Évidemment, parce qu'alors ce ne serait plus un duel; cela reviendrait à une opération chirurgicale : tu serais à ton affaire! ...
G. Feydeau, La Dame de chez Maxim's,1914, III, 6, pp. 60-61. 10. Il semblait n'être pas à son affaire tant qu'il n'avait pas trouvé un prétexte pour rire, et tout lui était prétexte; ...
H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 994. b) [Par le poss. seul] :
11. [beauchêne. −] Les blondes, pourtant, ne sont guère mon affaire. Mais, celle-ci, je suis curieux de la voir au lit.
É. Zola, Fécondité,1899, p. 64. c) [Par le suj. seul] Avoir affaire à qqn/qqc : 12. Il avait avec lui deux hommes et se mit à l'œuvre sans beaucoup de précautions, croyant n'avoir affaire qu'à des femmes. Mais il se trompait. Le frère de Carmen, don Juan, était arrivé le soir.
A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 219. 13. Mais par un scrupule (dont je ne me fais pas gloire) je cherche à ne leur rien demander. Aussi ai-je affaire continuellement à ces petites taquineries de la médiocrité qui sont énervantes. Il faut que nous soyons riches.
J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J. R. à A.-F., nov. 1906, p. 309. 14. Il vaut mieux avoir affaire au bon Dieu qu'à ses saints.
Ch. Péguy, Le Porche du mystère de la 2evertu,1911, p. 202. 15. C'était le capitaine de Hauteclocque. Il arrivait de France, par l'Espagne, la tête bandée sur une blessure qu'il avait reçue en Champagne et passablement fatigué. Il vint se présenter à moi qui, voyant à qui j'avais affaire, réglai sa destination sur-le-champ.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,L'Appel, 1954, p. 93. Rem. Ce dernier tour est facilement péj. 3. Avec l'accent sur le temps nécessaire pour accomplir une action. C'est l'affaire d'une seconde : 16. En considérant monsieur de Lœwenstein, je ne pouvais concevoir qu'il allait acquérir sur moi un empire, en quelque sorte absolu; que ce ne serait plus de mon père, de ma mère, dont la domination est si douce, que je dépendrais; que tout cela serait l'affaire d'une minute, qu'il n'y aurait qu'un mot à prononcer, et que ce mot ferait le destin de ma vie.
G. de Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1563. Rem. Dans cette constr., l'agent peut être exprimé par un compl. prép. (pour). B.− [L'agent est exprimé (adj. poss., suj. de la prop.) ou implicite] L'action est en cours. 1. Lang. commune, légèrement fam. Il a pris l'affaire en main, etc. : 17. Je crois vous avoir guérie pour toujours du désir de vous immiscer dans les affaires de votre mari, n'est-ce pas?
L. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 42. 18. − Mais, reprit Amélie, diplomate ou forçat, l'abbé Carlos te désignera quelqu'un pour te tirer d'affaire.
H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1848, p. 394. 19. − C'est pour cela, dit Rocambole, que vous avez été léger en vous mettant une nouvelle affaire sur les bras.
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 502. 20. Il ne faut pourtant pas croire que c'était facile de venir à bout de mon idée en 89, non! Et ce matin même, vers sept heures, au moment où Marguerite passait devant la forge avec son grand panier, pour aller vendre ses brochures, Valentin me rappela lui-même que ce n'était pas une petite affaire.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 157. 21. − Les sections de l'Institut, voilà leur patrie, leur foyer, leur drapeau. La France ne compte pas, mais ce fut une grande question de savoir si M. Séaille ou Séailles serait ou ne serait pas de l'Académie des sciences morales. Ça c'était une affaire, et une affaire d'État.
Ch. Péguy, L'Argent,1913, p. 1211. 22. Et je la nomme ici une hérésie spirituelle et volontiers je la nommerais simplement une hérésie intellectuelle. Pour ne pas me faire d'affaire. Et pour fuir à mon tour les responsabilités.
Ch. Péguy, L'Argent,1913p. 1289. 23. ... eh monsieur si c'est une affaire que vous me cherchez ayez donc l'obligeance de prendre mon livret militaire dans ma poche gauche.
G. Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias,1918, I, 5, p. 891. 24. J'avais envie d'y dire : « c'est Mathieu Bomier, çui-là, et y connaît son affaire. »
J. Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 102. 25. − Dudule vous dira que quand je prends une affaire en main, on peut être tranquille.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 288. Rem. 1. Des adj. ou d'autres déterminants peuvent mettre en relief l'importance (ou l'insignifiance) d'une affaire : c'est toute une affaire; ce n'est pas une affaire; c'est une grosse, une petite affaire, une affaire d'État. Ou encore sa complexité (ou sa simplicité) : c'est une affaire délicate, compliquée, complexe, embrouillée, très simple, difficile, facile. 2. Avec des expr. comme être tiré + compl. sans art., il apparaît une idée de danger : il est tiré d'affaire (ex. 18). 2. Fréq. au plur. Action ou ensemble d'actions ayant une certaine publicité ou notoriété. (Le sens se particularise suivant le domaine ou le cont.). − COMM. INDUSTR. Toute activité d'achat, d'échange, de vente, ... : 26. Nous avons maintenant un marché par semaine, il s'y conclut des affaires assez considérables en bestiaux et en blé.
H. de Balzac, Le Médecin de campagne,1833, p. 52. 27. Ce lendemain était un dimanche, jour où il n'y avait ni Bourse ni affaire; les deux époux passèrent alors la journée ensemble, se mettant plus avant au cœur l'un de l'autre qu'ils n'y avaient jamais été...
H. de Balzac, Ferragus,1833, p. 77. 28. − Allons, mon cher, on ne refuse pas comme cela... et ce que je t'offre! Je te dis, c'est une grosse affaire : il y a deux cent vrais mille francs derrière... Je te ferai un traité d'un an, si tu veux... une position, songe donc! ...
E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 109. 29. Au point de vue purement industriel, il est logique, dans l'appréciation des bénéfices, de tenir compte de ce que les commerçants appellent le chiffre d'affaires et de traduire en argent l'importance du trafic; ...
Bricka, Cours du chemin de fer,1894, p. 481. 30. ... l'emploi du pigeon comme pigeon-messager tomba en désuétude dans les deux derniers siècles; il ne fut repris qu'au commencement de ce siècle et cela au service des hommes d'affaires.
A. Ledieu, E. Cadiat, Le Nouveau matériel naval,t. 2, 1899, p. 445. 31. Les affaires, étant les affaires, sont traitées fort pratiquement.
Ch. Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 101. 32. − Il est retraité?
− Oui, maintenant il est retiré des affaires.
− Comment, des affaires?
P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 12. 33. Je crois qu'elle nous méprisait un peu, mon père et moi, pour notre parti pris d'amusements, de futilités, comme elle méprisait tout excès. Seuls nous réunissaient des dîners d'affaires − elle s'occupait de couture et mon père de publicité −, le souvenir de ma mère et mes efforts, car, si elle m'intimidait, je l'admirais beaucoup.
F. Sagan, Bonjour tristesse,1956, p. 19. − JUST. Procès. Le juge va instruire l'affaire; l'affaire Dreyfus : 34. Cette pièce fut aussitôt transmise aux amis du dehors, qui la firent imprimer. Les religieuses signèrent de plus une procuration en règle qui fut mise aux mains d'un procureur pour agir en leur nom. Le procès, sur l'appel comme d'abus, fut près de s'entamer au Parlement; mais un arrêt du Conseil, comme on devait s'y attendre, évoqua l'affaire et coupa court aux procédures.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 112. 35. ... l'agression a eu lieu tout près d'un bec de gaz. On interroge le gendarme qui a aidé à instruire l'affaire; on interroge d'autres témoins : l'un place le bec de gaz à cinq mètres; l'autre à vingt-cinq. Un dernier va jusqu'à soutenir qu'il n'y a pas de bec de gaz du tout à cette partie de la rue.
A. Gide, Souvenirs de la Cour d'assises,1913, p. 645. − ART. MILIT., vx. Engagement au front, combat : 36. Entre la Moskowa et Moscou, Murat engagea une affaire devant Mojaïsk. On entra dans la ville : on y trouva dix mille morts et mourants; on jeta les morts par les fenêtres pour loger les vivants.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 2, 1848, p. 433. 37. ... il se fit jour, après avoir laissé défiler la masse de traînards et de blessés au pied de la côte que nous gardions. C'est la dernière affaire du bataillon avant le siège.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 2, 1870, p. 104. − POLITOL. Scandale. L'affaire du collier. Questions du ressort d'un gouvernement, d'un département ministériel, de l'administration publique,... Les affaires étrangères : 38. Que dit M. Cottu de la marche des affaires publiques? Il me semble qu'elles s'embrouillent terriblement.
F.-R. de Lamennais, Lettres inédites... à la baronne Cottu,1827, p. 183. 39. M. le duc de Rauzan, nommé directeur des affaires politiques, pour tenir lieu d'un de ces sous-secrétaires d'État qui devraient exister dans les départements ministériels, seconda mes travaux et montra ce jugement rassis, qualité essentielle du diplomate.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 3, 1848, p. 233. 40. S'il avait tenu un emploi dans une administration privée, on s'en serait tout de suite aperçu; mais il est beaucoup plus difficile de reconnaître la démence ou le délire dans l'administration des affaires de l'État. À ce moment, les employés du Gouvernement formaient des associations et des fédérations, au milieu d'une effervescence dont s'effrayaient le Parlement et l'opinion; ...
A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 370. 41. Quant à nos alliés, à Djibouti comme en Syrie, ils ont, au moins localement, des arrière-pensées et désirent toutes les combinaisons qui les introduiraient dans les affaires françaises.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,L'Appel, 1954, p. 465. 3. [Sans idée de publicité] a) Affaire (d'honneur). Duel : 42. Il [M. de Charlus] n'avait jamais eu d'affaire sans se croire aussitôt valeureux, et identifié à l'illustre connétable de Guermantes, alors que pour tout autre ce même acte d'aller sur le terrain lui paraissait de la dernière insignifiance.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1070. b) Dans le lang. de l'amour.Relations intimes : 43. « Eh quoi! lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en affaire avec M? − Belle raison, dit-il! Ne m'avez-vous pas laissé mes droits quand vous aviez L, S, N, B, T? − Oh! quelle différence! était-ce de l'amour que j'avais pour eux! Rien, pures fantaisies; mais avec M c'est un sentiment : ...
Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 150. c) Arg. (Dans l'arg. des malfaiteurs.)Vol. L'affaire peut être majeure (considérable), exbrouffée (manquée), chouette (bien faite) [J.-J. Clémens, Écrits composés au bagne de Rochefort, t. 2, 1876, p. 441], filée (coup prémédité) [Dict. complet de l'argot, 1844, p. 24], mûre [L. Larchey, Dict. historique d'argot, 1878, p. 4], affaire d'Espagne (vol par correspondance) [Bruant 1901, p. 446], affaire à la manque [Nouguier, Notes manuscrites interfoliées au dict. de Delesalle, 10 janv. 1900, p. 4]. On peut faire ou nourrir une affaire : 44. [Elle] me demanda si j'avais quelque affaire en vue (un projet de vol).
F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, chef de la Police de sûreté jusqu'en 1827,t. 2, 1828-1829, p. 381. 4. Au fig. [En fonction d'attribut du suj., avec ou sans art. indéf., avec un compl. prép. (de) sans art. indiquant une valeur ou une catégorie] Ce qui est dans un rapport de dépendance causale par rapport à cette valeur (a) ou de classification par rapport à cette catégorie (b); ce qui regarde, ce qui relève de, ce qui intéresse. C'est une affaire : a) de goût, d'honneur, d'argent, d'intérêt, de temps; b) d'amour, de galanterie, de courtoisie, de plaisir : 45. ... mais le lecteur intelligent voit d'un seul regard que ma proposition transporterait dans les mariages la précision, la facilité, le bon sens, la bonne logique qui se rencontrent dans les affaires de bourse, et qui, par une bévue inexplicable, n'ont pas encore été introduits dans les affaires de cœur.
H. Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, p. 172. 46. Ce jour-là, malgré l'importance exceptionnelle de la séance, le conseil fut d'ailleurs mené aussi rondement que les autres jours. C'était devenu une affaire d'habitude; ...
É. Zola, L'Argent,1891, p. 266. 47. Mais, alors, pourquoi tous les humains, fils d'Adam, n'ont-ils pas des vers dans les intestins? Est-ce affaire de tempérament, de climat, de régime, de genre de vie? Certaines humeurs, plus que d'autres, sont-elles propres au développement des vers? Enfin, pourquoi le créateur, dans sa bonté infinie, aurait-il délibérément, au départ, infligé ce désagrément à l'espèce humaine?
J. Rostand, La Genèse de la vie,1943, p. 28. Rem. 1. Si le temps est assimilé à une valeur, la constr. c'est une affaire de temps est en oppos. avec c'est l'affaire d'une seconde (cf. supra A 3) : 48. De nos jours, un voyage en Russie, en Allemagne, en Italie, en France, en Angleterre, que dis-je? Autour du globe, n'est qu'une affaire de quelques semaines, de quelques mois, de quelques années calculées à une minute près.
F.-R. de Chateaubriand, Essai sur les Révolutions,t. 2, 1797, p. 55. 49. Son trépas est une affaire d'heures, au pauvre cher homme. Avant mon départ je ne manquerai pas de le lui dire, de façon à ce qu'il se prépare convenablement à faire le grand voyage et qu'il demande pardon au Seigneur d'avoir eu la main un peu lourde avec ces pauvres gens de Presnia...
G. Leroux, Rouletabille chez le tsar,1912, p. 47. Rem. 2. En raison de sa constr. en attribut et de sa valeur gén. classificatrice, affaire de est, dans une certaine mesure, assimilable à une forme d'adj. à laquelle le compl. prép. donne un contenu sém. Rem. 3. Dans une affaire de goût on sent encore l'allégorie sous-jacente : c'est au goût à décider; peut-être cet emploi est-il apparenté à l'emploi judiciaire du mot affaire. II.− Chose abstraite ou concrète à laquelle une ou plusieurs personnes sont intéressées. A.− Chose abstraite 1. [Avec un art. indéf.] Affirmation précédemment exprimée : 50. Un soir, il annonça qu'il voulait me parler d'homme à homme, les femmes se retirèrent, il me prit sur ses genoux et m'entretint gravement. J'écrirais, c'était une affaire entendue; je devais le connaître assez pour ne pas redouter qu'il contrariât mes désirs.
J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 129. 2. [Avec un art. déf.] L'objet dont il est question dans un litige, une discussion, etc. : 51. Je l'ai faite en vingt-deux jours, dans l'intervalle de longs travaux de poésie. On peut n'être pas de l'avis du Misanthrope, qui pense que le temps ne fait rien à l'affaire.
N. Lemercier, Pinto,avertissement, 1800, p. 3. 52. Que j'aie copié, selon ce qu'il dit, tout le supplément sous sa dictée, ou que je lui aie déchiffré et expliqué les endroits qu'il n'avait pu lire, faute d'entendre le sens, comme le prouve cette copie même; tout cela ne fait rien à l'affaire.
P.-L. Courier, Lettre à Monsieur Renouard,1810, p. 258. 3. [Avec un adj. poss. ou l'art. déf. qui en tient lieu] Ce qu'une personne trouve conforme à son intérêt, ce qui répond à son besoin. Son échec fait mon affaire, cela fera l'affaire : 53. C'est égal, deux ou trois douzaines de chemises feraient bien mieux notre affaire.
A. Daudet, Le Petit Chose,1868, p. 182. 54. J'ai là une belle rouelle de veau, ça fait mon affaire.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 3, janv.-août 1904, p. 195. − Arch. Avoir affaire de.Avoir besoin de : 55. ... mais le duc de Bourbon, le duc d'Alençon et les jeunes seigneurs ne voulaient point des gens des communes, et disaient que ceux qui n'étaient point de leur avis avaient peur. « Qu'avons-nous affaire de ces gens de boutique? disaient-ils; nous sommes déjà trois fois plus nombreux que les Anglais. »
P. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 4, 1824, p. 64. Rem. La lang. class. employait dans le même sens c'est son affaire : 56. Quand un gouvernement nous prodigue de grands spectacles, et de l'héroïsme, et des créations, et des destructions sans nombre, on serait tenté de lui répondre : « le moindre grain de mil serait mieux notre affaire », et les plus éclatants prodiges, et leurs pompeuses célébrations, ne sont que des cérémonies funéraires où l'on forme des danses sur des tombeaux. [Citation incomplète, modifiée de La Fontaine, I, 20 : « Mais le moindre grain de mil/ Serait bien mieux mon affaire. »]
B. Constant, De l'Esprit de conquête et de l'usurpation,1813, p. 166. 4. Faire son affaire à quelqu'un, lui régler son affaire. Lui infliger un châtiment : 57. Alors, la bataille faillit s'engager. Des imprécations montaient, une voix cria qu'il fallait faire son affaire à ce cochon de paysan, qui, comme tous les autres, aurait noyé son pain, plutôt que d'en donner une bouchée au soldat.
É. Zola, La Débâcle,1892, p. 158. 58. Il [Ragu] hurlait : − Tu oses me dire ça, bougre de saleté! ... Et le nom de l'homme, dis-moi le nom de l'homme, pour que j'aille lui régler son affaire?
É. Zola, Travail,1901, p. 19. Rem. Arg. Avoir son affaire. Être ivre : 59. Je propose l'absinthe... Après quoi j'avais mon affaire, là, dans le solide. (Monselet.)
Larch.1861. B.− Objet concret 1. COMM. Objet correspondant à un désir. (Le vendeur au client) : j'ai votre affaire. 2. Lang. fam.; gén. au plur. a) Objet d'un usage habituel. Je n'aime pas qu'on fouille dans mes affaires : 60. ... dans le placard on ne voyait plus rien de toutes les affaires de Virginie!
G. Flaubert, Trois contes,Un Cœur simple, 1877, p. 65. b) Objets dont l'identité ou le nom précis n'est pas connu ou n'importe pas : 61. Il [le révolver] a deux crans de sûreté, six coups, une baguette, un tas d'affaires.
Colette, Claudine s'en va,1903, p. 300. Rem. Affaires est dans ce dernier cas un synon. noble de mots comme truc, machin, etc. 3. Par euphémisme. Pour désigner des états passagers que la pudeur empêche de désigner par le mot propre : a) [En parlant d'une femme] Règles : 62. [Margot] : − ... Sabordas m'a examinée sur ma demande, parce que l'époque de mes affaires était dépassée depuis deux mois et demi. Il n'y a plus de doute. Je suis chipée.
L. Daudet, Phryné,1937, p. 21. b) Besoins naturels : 63. ... des processions de bêtes... s'en allaient à leurs affaires.
É. Zola, La Faute de l'abbé Mouret,1875, p. 1469. c) Arg., pop. État de grossesse : 64. Elle [une fille] marchait avec peine, poussant devant elle un ventre énorme de femme enceinte... [m. gourd] − ... on ne s'introduit pas chez les gens, avec une affaire pareille cachée sous la peau.
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 254. 65. ... il fallait que les maîtres lui fissent un enfant [à une bonne]... La voix étranglée, elle répétait, entre deux crises :
− Salauds! ... S'il est permis de vous coller une pareille affaire!
É. Zola, Pot-Bouille,1882p. 369. Prononc. ET ORTH. : [afε:ʀ]. Grev. 1964, § 916-917 fait la rem. suiv. : ,,Dans ces trois expressions [avoir affaire à; - avec; - de] l'usage est d'écrire affaire, en un mot, mais cette orthographe se fonde sur des habitudes prises plutôt que sur des raisons de sens. L'Office de la Langue française (cf. Figaro, 5 févr. 1938) acceptait avoir à faire à aussi bien que avoir affaire à. Pour Littré écrire avoir à faire de « ne peut être considéré comme une faute; car à faire ici convient mieux que affaire ». En fait, pour les trois expressions, il n'est pas rare de rencontrer l'orthographe à faire.`` Enq. : /afe2
ʀ/. Étymol. ET HIST. − 1. Ca 1150 « ce que l'on a à faire » (Wace, Conception de Notre-Dame, éd. Ashford, 61 ds Keller, Voc. Wace, 148 b : Quant il ot bien fait son afaire, O sa gent se mist el repaire); 1160-1174 « ce que l'on fait, la situation » (Id., Rou, éd. Andresen, III, 10608, ibid. : Li reis, qui esteit a Wincestre, Oï del duc l'afaire e l'estre); 1155 « ensemble de choses, de faits concernant qqn, un groupe de personnes » (Id., Brut, éd. Arnold, 4558, ibid. : Lur covenant unt afermé E lur afaire purparlé); 1172-1174 « ensemble de faits, d'éléments liés entre eux » (G. de Pont-Ste-Maxence, Vie de saint Thomas, éd. Walberg, 2312 : Quant sout que cist afaires fu issi atornez, De nuit est a la curt priveement alez); d'où différents emplois spécialisés : a) 1508-09 « ce qui a pour objet les intérêts publics » (Compte de André Meliart, A. Mun. Nevers CC 84 ds Gdf. Compl. : A Gilbert Pinchard, apothicaire, 7 livres tournois pour plusieurs drogues et medicines par lui fournies pour la maladie de Louis Genest, concierge de la ville, a lui advenue sur les ponts de Loire en exerçant son office aux affaires de la ville); b) 1690 « ensemble de faits créant une situation compliquée » (Fur. : Affaire. Se dit aussi des querelles, des combats, des brouilleries d'amitié. Il y a une grande affaire à la Cour); c) 1690 dr. « procès » (Id. : Affaire. Se dit particulierement des proces. Celuy qui n'entend point les affaires, ne doit point se meler de plaider); d) 1690 « entreprise commerciale ou industrielle » (Id. : On appelle Gens d'affaires, les Financiers, les Traittans et Partisans qui prennent les Fermes du Roy, ou le soin du recouvrement des impositions qu'il fait sur les peuples); e) 1694 milit. (Ac. éd. 1695 s.v. faire : Affaire... Il se dit aussi des Occasions de guerre. C'est un homme qui a bien veu des affaires); 2. 1172-1174 avoir afaire de « avoir besoin de (qqc.) » (Ch. de Troyes, Chevalier à la Charrette, éd. Fœrster, 2816 : Et tu avras ancor a feire De m'äie); 3. 1215 « objets, effets personnels » (La Vie de Saint Grégoire le Grand, éd. P. Meyer ds Romania, XII, 1883, 180, 2113 : Livres, reliques, vestimenz Ovec meintes autres afaires Qui a lui furent necessaires).
Dér. de faire*; préf. a-1*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 21 678. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 34 151, b) 34 604; xxes. : a) 31 049, b) 25 836. BBG. − Ac. Can.-Fr. 1968. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Baudhuin 1968. − Baudr. Chasses 1834. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Blanche 1857. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Cap. 1936. − Daire 1759. − Dub. Pol. 1962, p. 88, 91, 121, 135, 187. − Dup. 1961. − Dupin-Lab. 1846. − Esn. 1965. − Esn. Poilu 1919. − Fér. 1768. − Gir. t. 2 Rem. 1834, pp. 3-5. − Gottsch. Redens. 1930, p. 328, 390, 392, 404, 438. − Grand'Combe (F. de). Businessman et homme d'affaires. Fr. mod. 1956, t. 24, p. 14. − Hanse 1949. − Kold. 1902. − Kuhn 1931, p. 127, 224. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Laf. Suppl. 1878. − Larch. 1880. − Lar. comm. 1930. − La Rue 1954. − Lav. Diffic. 1846. − Lecnam. Quelques questions de grammaire. L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux. 1895, t. 32, col. 176. − Lep. 1948. − Le Roux 1752. − Marcel 1938. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 29, 231. − Michel 1856. − Pavot (T.). Quelques questions de grammaire. L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux. 1895, t. 32, col. 218. − Pope 1961, § 777. − Prév. 1755. − Réau-Rond. 1951. − Romeuf t. 1 1956. − Sain. Lang. par. 1920, p. 366. − Sandry-Carr. Courses 1963. − Sardou 1877. − Thomas 1956. − Tilander (G.). Notes d'étymologie française. Romania. 1926, t. 52, p. 468. − Vinc. 1910. |