| AFFAIRÉ, ÉE, adj. et subst. I.− Adjectif A.− [Non suivi de prép.] 1. [En parlant d'une pers. ou d'un ensemble de pers.] Qui est ou laisse paraître qu'il est très absorbé ou très agité par le grand nombre de ses occupations : 1. La vie d'un homme affairé dans ce monde exclut entièrement la vie de l'esprit et l'absorbe. Dans cet état l'homme tout au dehors s'offre à tout ce qui vient l'irriter sans aucune retraite en soi, sans moyen de défense ou de consolation.
Maine de Biran, Journal,1823, p. 417. 2. De l'argent! de l'argent! criait le parfumeur par les rues en se parlant à lui-même, comme font tous les gens affairés de ce turbulent et bouillonnant Paris, qu'un poète moderne nomme une cuve.
H. de Balzac, César Birotteau,1837, p. 253. 3. Les femmes du pays allaient affairées de porte en porte, ...
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Maison Tellier, 1881, pp. 1191-1192. 4. Dans le monde qu'il imaginait, qu'il voyait, qu'il sentait venir, la tentation de la mort ne tourmenterait plus aucun homme, puisque cette humanité besogneuse et affairée, aurait l'aspect de la vie, mais serait déjà morte.
F. Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 276. − P. ext. [En parlant de la physionomie, du ton de parole, du comportement] Qui est le propre de personnes affairées : 5. M., intendant de province, homme fort ridicule, avait plusieurs personnes dans son salon, tandis qu'il était dans son cabinet, dont la porte était ouverte. Il prend un air affairé, et, tenant des papiers à la main, il dicte gravement à son secrétaire : ...
Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 94. 6. J'accoutumais les capitaines à une attitude calme et forte, toute contraire à l'agitation affairée, à l'importance fanfaronne qui était le ton accoutumé de la milice citoyenne.
A. de Vigny, Mémoires inédits,1863, pp. 96-97. 7. Quand le prince se vit de nouveau seul avec son confident, il ne revint pas sur ce qui venait de se passer, mais prenant le ton le plus affairé, il lui parla du conseiller de commerce Martélius et chargea Lanze de se rendre immédiatement chez l'indispensable personnage; ...
J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 114. 8. C'est bon, cette vie active, affairée, où l'on n'a pas une minute à soi : il n'y a pas de place pour l'ennui ou le noir de la pensée.
E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1888, p. 870. Rem. 1. Considéré comme fam. par Ac. 1740-1878. Rem. 2. Le superl. abs. de affairé pose un problème. Ac. 1718-1798 donne dans un ex. : ,,il est si fort affairé que...``, qui devient en 1835 : ,,il est si affairé``, maintenu en 1932. Ce qui laisse supposer que dans l'emploi non intensif il y a passage de fort affairé (cf. infra ex. 12) à très affairé. Cette dernière tournure a été critiquée par des puristes : 9. Il est très-affairé. Quoique cette expression soit généralement répandue, elle n'en est pas moins vicieuse; dites, il est très-occupé.
E. Molard, Le Mauvais langage corrigé,1810, p. 8. Mais les écrivains suivent l'usage commun : 10. Maintenant, elle marchait par les étroits sentiers d'herbe, entre les pièces, donnait un coup d'œil à chacune; tandis que lui la suivait, très affairé, l'air préoccupé énormément de la perte possible d'un tablier ou d'un torchon.
É. Zola, Le Rêve,1888, p. 77. Pour le superl. rel. cf. supra ex. 5. Rem. 3. On peut se demander si sous la condamnation de très affairé ne se manifeste pas le sentiment que affairé est un part. passé, et s'il n'y aurait pas là une preuve indirecte de l'existence du verbe s'affairer, attesté seulement au dernier quart du xixes. (cf. ce verbe sous étymol. et hist.); mais la condamnation peut aussi avoir son origine dans le sentiment que affairé a de soi une valeur superl. 2. [En parlant d'un animal] :
11. Quand j'observe les Parisiens, sur le boulevard, à la Bourse, au café, au théâtre, il me semble toujours voir un pêle-mêle de fourmis affairées et enragées, sur lesquelles on a versé du poivre.
H. Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, p. 152. B.− [Suivi d'une prép.] 1. Affairé + à + subst. ou inf.Très occupé à : 12. Le surlendemain, à quatre heures du matin, Leuwen fut réveillé par l'ordre de monter à cheval. Il trouva tout en émoi à la caserne. Un sous-officier d'artillerie était fort affairé à distribuer des cartouches aux lanciers. Les ouvriers d'une ville à huit ou dix lieues de là venaient, dit-on, de s'organiser et de se confédérer.
Stendhal, Lucien Leuwen,t. 2, 1836, p. 83. 13. Lorsque son maître éphémère, embarrassé d'un aussi beau don, m'appela par le téléphone, je la trouvai assise sur une table ancienne, le derrière sur des documents diplomatiques, et affairée à sa toilette intime.
Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 225. 2. Affairé + de + subst.Très occupé par, très préoccupé de : 14. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l'avenir, affairée de songeries.
G. de Maupassant, Une Vie,1883, p. 86. 15. ... tante Lison inquiète, affairée de l'événement prochain, lui [Jeanne] tenait la main...
G. de Maupassant, Une Vie,1883p. 132. II.− Pris substantivement A.− Subst. masc. Un (homme) affairé : 16. Immobiles, elles [les personnes qui vivent toujours enfermées] s'incarnent dans la vie de la rue, et tous ces affairés qui leur apparaissent, quelquefois tous les jours aux mêmes heures, ne se doutent pas qu'ils servent de régulateurs à d'autres existences...
A. Daudet, Froment jeune et Risler aîné,1874, p. 169. Rem. Le fém. est mal attesté; dans l'ex. suiv. c'est plutôt folles qui est substantivé : 17. Quant aux ... folles affairées qui ... s'agitent jour et nuit dans le néant ... il faut avouer qu'il est impossible de rien imaginer de plus méprisable.
O. Feuillet, Monsieur de Camors,1867, p. 227. B.− Subst. fém., région. : 18. Grande quantité. Se dit surtout par antiphrase. − En v'la ti pas eune belle affairée; c'est-à-dire : Il y en a si peu que ça ne vaut pas la peine d'en parler.
P. Martellière, Glossaire du Vendômois,1893, p. 7. Rem. Il semble que le sens exact soit « quantité »; cf. FEW t. 3 s.v. facere, affaizée (Yonne) ,,quantité d'herbe, de menus bois ou autres objets contenus dans le tablier qu'on porte relevé devant soi``. Prononc. − Enq. : /afeʀe1/. Étymol. ET HIST. − 1. Av. 1573 « qui a besoin d'argent » (L'Hospital, Reform. de la Justice, IV (IV, 308) ds Hug. : Ce prince ne se veit jamais à son aise, ains feut perpétuellement affairé; et [...] il laissa son empire pauvre, engagé et en debte de toutes parts). − 1752 (Trév. : Affairé signifie aussi, un homme accablé de dettes, dont les affaires sont embarassées...); 2. 1584 « très occupé » (Guevarre, Épistres dorées, IV, trad. J. de Barraud, 21 b ds Vaganay ds Rom. Forsch., 32, 6 : Il faut avoir quelque valet de chambre, qui n'ait autre soing et encores assez affairé et embesoigné); semble s'être dit d'abord de domestiques, d'intendants, etc.
Dér. de affaire*; suff. -é*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 325. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 284, b) 579; xxes. : a) 713, b) 399. |