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ADRESSER1, verbe trans.
I.− Emploi trans. (cf. art. à)[Gén. suivi d'un obj. second. précédé de la prép. à. Le suj. est toujours une pers.] Faire parvenir à destination.
A.− Envoyer quelque chose vers (ou à) un destinataire ou un lieu de destination. Anton. recevoir.
1. [L'obj. dir. est une chose matérielle (le plus souvent une lettre) envoyée à une pers. précise, par l'intermédiaire d'une autre pers. ou de la poste] Envoyer quelque chose à quelqu'un en un certain lieu, à une certaine adresse (cf. adresse) :
1. ... il tenait une cassette ouverte; il y avait quelques lettres; j'en vis une pour sa sœur, une autre adressée à Valérie;... B.-J. de Krüdener, Valérie,1803, p. 264.
2. Ce 24 juillet 1837. Je n'ai reçu votre lettre que depuis deux jours, mon cher ami, parce que vous me l'aviez envoyée à Baugy, au lieu de me l'adresser chez moi. A. de Tocqueville, Correspondance avec Henry Reeve,1837, p. 39.
Rem. Dans l'ex. 1, l'emploi en synon. de adressé à et de la prép. pour montre que la valeur sém. de adresser est proche de la simple idée d'attrib. ou de destination.
ADMIN. DES POSTES
Adresser qqc. poste restante. Expédier quelque chose en mettant comme lieu de destination : poste restante.
Adresser qqc. franco. L'expédier sans frais pour le destinataire. Anton. en port dû :
3. Asserme devait ses succès à une imagination baroque et fertile. Au temps où il représentait les Alpes-Orientales, il avait un préfet peu maniable. Le cabinet d'alors hésitait à faire sauter cet administrateur. Une idée vint au député. Il alla chez un marchand de couronnes funéraires, il choisit un bel article, jais noir, avec l'inscription : souvenirs et regrets, il fit emballer, adresser franco, sans nom d'expéditeur, à M. le Préfet des Alpes-Orientales. Le lendemain, même envoi d'un autre magasin;... E.-M. de Vogüé, Les Morts qui parlent,1899, p. 17.
Rem. Pour adresser une enveloppe, cf. adresser2.
2. [L'obj. dir. est une pers.] Envoyer une personne auprès d'une autre (avec des recommandations, des références, un mot d'introduction) :
4. Ma tante Marie (...) avait approché MmeSwetchine, Montalembert, les frères Lamennais, Lacordaire, le banquier Rothschild. C'est par elle qu'en 1901 je fus recommandé au P. de Valépée. C'est par elle qu'en février 1894, je fus adressé à l'abbé Leriche. A. Billy, Introïbo,1939, p. 28.
Vieilli. Être bien adressé :
5. J'ai (...) trouvé fort de mon goût MmeMansell, à Tours, et Miss Mélina, sa sœur, deux jolies et gracieuses Anglaises, aux manières distinguées, chez qui nous avons reçu l'hospitalité la plus aimable (...) amies de Lady Bentinck, la femme du gouverneur général des Indes. Nous étions, vous voyez, bien adressées. E. de Guérin, Lettres,1839, pp. 282-283.
Rem. Pour la constr., cf. être bien ou mal reçu.
B.− [L'obj. désigne une parole ou un geste ayant une signif. précise pour son destinataire] Exprimer quelque chose à l'intention de quelqu'un.
1. [Une parole agréable ou désagréable] Adresser la parole à qqn. Lui parler avec une intention précise :
6. Le rieur, (...), se crut obligé de lui adresser des excuses qui furent faites et reçues de fort bonne grâce. J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg,t. 2, 1821, p. 273.
7. Le duché d'Aumale a été longtemps dans notre famille avant d'entrer dans la maison de France, expliquait M. de Charlus à M. de Cambremer, devant Morel ébahi et auquel, à vrai dire, toute cette dissertation était sinon adressée du moins destinée. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 951.
Rem. Autres syntagmes : adresser un reproche à qqn : faire un reproche à qqn; - une question à qqn : poser une question à qqn, l'interroger; - une prière à qqn : invoquer qqn; - des compliments, des vœux; - des excuses à qqn : faire des excuses à qqn; - une injure à qqn : insulter qqn.
2. [Un geste, gén. de courtoisie] Adresser un salut. Faire un geste en direction de quelqu'un :
8. Il ralentit encore le pas. Dans la rue de la banne, à mesure qu'il avançait vers le marché, les boutiquiers accouraient sur les portes, le suivaient curieusement des yeux. Il fit un petit signe de tête au boucher, qui resta ahuri, sans lui rendre son salut. La boulangère, à laquelle il adressa un coup de chapeau, parut si effrayée qu'elle se rejeta en arrière. La fruitière, l'épicier, le pâtissier se le montraient du doigt d'un trottoir à l'autre. É. Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 1116.
Rem. Autres syntagmes : adresser un sourire à qqn : faire un sourire; - un regard à qqn : lancer, jeter un regard.
C.− LITTÉR. [L'obj. dir. désigne une œuvre, un doc., une lettre, etc.] Adresser un ouvrage à qqn. Avoir en vue un destinataire privilégié en écrivant ou en dédicaçant cet ouvrage :
9. Est-ce le temps de nous diviser. Battus de tous les vents, pour nous deux est-ce le temps de nous séparer. Vais-je gratter sur ma copie votre nom, faire un faux en somme, puisqu'elle était faite pour vous, puisqu'elle était inscrite pour vous, puisqu'elle vous était adressée, puisqu'elle vous était envoyée. Vais-je mettre à la place, à votre place un faux-nom, en somme, un nom feint, un pseudonyme. Ch. Péguy, Victor-Marie, comte Hugo,1910, p. 808.
Rem. Inscrite est un latinisme (cf. Cic., Off. 2, 21 : Liber qui inscribitur Laelius « livre ayant pour titre : Laelius »; ici portant sur la page de titre : pour vous, Daniel Halévy).
10. ... quoi qu'il advienne j'achèverai le livre, dût-il ne point paraître ni maintenant ni même après notre mort à tous deux, et je remettrai à Gide la fin du livre puisque la lettre-envoi est essentiellement à lui, adressée à lui seul, en dehors de toute question de publication. Ch. Du Bos, Journal,mai 1928, p. 114.
11. Maurras y exposait la doctrine devant Bainville, Dimier, Montesquiou, Vaugeois, et même Souday, qui n'était pas ennemi de ces conversations, qui les écoutait comme on essaye un jour un pernod, et à qui Maurras adressait ses livres avec des dédicaces chaudement tournées,... L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 159.
D.− Emplois vieillis ou littér.
1. Arch. littér. Adresser ses pas (vers un lieu ou vers une pers.). Diriger ses pas, se diriger :
12. Depuis trois ans j'étais retiré à Aulnay : sur mon coteau de pins, en 1811, j'avais suivi des yeux la comète qui pendant la nuit courait à l'horizon des bois; elle était belle et triste, et, comme une reine, elle traînait sur ses pas son long voile. Qui l'étrangère égarée dans notre univers cherchait-elle? À qui adressait-elle ses pas dans le désert du ciel? F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 468.
Rem. Dans cet ex. l'emploi de la prép. à pour vers (cf. art. à) est également un arch.
2. Adresser (une balle, etc. dans qqc.). Tirer, lancer.
Emploi abs. Bien adresser. Être bon tireur.
Au fig. Adresser un trait, une flèche à qqn :
13. Dans le précédent poème de Guiraldes le « et plutôt qu'à juger autrui, à me laver de mes propres impuretés », m'atteignait comme une flèche à moi adressée, en songeant à mon futur entretien avec Mauriac. Ch. Du Bos, Journal,nov. 1938, p. 220.
3. Adresser un mot à qqn. L'appliquer à quelqu'un :
14. Les hommes vraiment coupables sont ceux qui, après s'être approchés de Louis XVIII, après en avoir obtenu des grâces et lui avoir fait des promesses, ont pu se réunir à Bonaparte; le mot, l'horrible mot de trahison est fait pour ceux-là; mais il est cruellement injuste de l'adresser à l'armée française. G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 259.
Rem. Ce dernier emploi est proche de l'emploi B 1.
II.− Emploi pronom.
A.− S'adresser qqc. (emploi pronom. réciproque).S'adresser des lettres d'amour, d'injures... (cf. supra I A); s'adresser la parole; s'adresser des sourires, des signes... (cf. supra I B).
B.− S'adresser à.[Gén. suivi d'un obj. second. précédé de la prép. à] Aller dans une direction déterminée afin d'atteindre un destinataire (ou une certaine destination).
1. [Le suj. est une pers. (ou un être assimilé à une pers.)]
a) [L'obj. second. est une pers.]
Se tourner vers une personne déterminée pour lui parler :
15. − Vous, poursuivit Baccarat, s'adressant à Léon Rolland, il n'a fallu rien moins que mon apparition subite et la vue de l'homme qui a été votre ami, pour dissiper les fumées de cette ivresse sanguinaire allumée dans vos veines. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 203.
16. Il reprit sa marche, puis s'assit au fond du salon. Comme s'il s'adressait à un témoin de cette scène, il se tourna vers une chaise, et dit, avec des gestes passionnés : − On pardonne une sottise à un ami. Mais on ne pardonne rien à sa femme. On veut qu'elle soit un monde, votre monde! On veut qu'elle partage même vos idées! J. Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 264.
Rem. 1. S'adresser s'emploie fréquemment au part. prés.; il introduit presque toujours le discours dir. ou bien est empl. en incise dans le corps du discours; empl. conjointement avec des verbes tels que parler et dire, il est destiné à les compléter, c.-à-d. à indiquer la pers. visée, ou, si elle est déjà nommée (ex. 15) à la préciser. 2. (En parlant d'un orateur, d'un écrivain) s'adresser à qqn, parler en public, écrire pour qqn :
17. ... Passavant plaît aux jeunes. Peu lui chaut l'avenir. C'est à la génération d'aujourd'hui qu'il s'adresse (ce qui vaut certes mieux que de s'adresser à celle d'hier) − mais comme il ne s'adresse qu'à elle, ce qu'il écrit risque de passer avec elle. A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 990.
En partic. Aller, se tourner vers quelqu'un, pour lui parler et obtenir de lui un renseignement, un service, la satisfaction d'un désir :
18. Hier, dimanche, réunion chez moi le matin. On raconte une anecdote que je ne garantis pas comme vraie, mais dont l'invention, même si elle est faite à plaisir, peut donner une idée des mœurs du temps. On prétend que le maréchal Molitor, voulant obtenir une place de sous-préfet pour un de ses parents, a été s'adresser à M. de Corbière, Ministre de l'Intérieur. Celui-ci l'a fort bien reçu, mais lui a dit qu'il serait bon, avant d'aller plus loin dans les démarches, de voir M. de Lavaux (Jésuite), préfet de police. Celui-ci, employant toujours les formes les plus douces, lui conseilla d'en parler à M. Franchet (Jésuite), chef de division à la police. E.-J. Delécluze, Journal,1825, p. 185.
19. Il y a bien longtemps que j'ai de prêt Les Paysans, qui serviront près d'un mois le feuilleton de La Presse, il ne faut pas quinze jours pour les mettre en état de paraître; mais il faut savoir à qui s'adresser, où aller pour les faire composer. H. de Balzac, Correspondance,1840, p. 121.
20. Maison fermée. Un mur. Personne, sauf un chien sur le mur. Pour louer, s'adresser au chien. Il vous recevra. J. Renard, Journal,1906, p. 1077.
Rem. 1. L'ex. 19 offre l'étroite synon. entre s'adresser à qqn et aller dans un certain lieu, synon. qui ne fait que confirmer l'idée de direction contenue dans le verbe.
Rem. 2. Au lieu d'être suivi d'un obj. second. de pers., s'adresser peut s'employer avec un adv. de lieu, qui renvoie à une pers. implicite :
21. Artistes ou partisans, ceux qui désirent des ordres d'assaut ou des chansons de marches, ceux qui attendent des appels de pied et des sonneries de clairon se trompent en se tournant vers moi. Ils commettent une erreur de personne. Qu'ils veuillent bien m'excuser, je ne peux rien pour eux. Il faut qu'ils s'adressent ailleurs. J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, pp. 29-30.
Rem. 3. L'obj. second. de pers. peut être tout à fait implicite. S'adresser se construit alors absol. avec une détermination adv. qualitative. Peut être rapproché de l'expr. frapper à la bonne, à la mauvaise porte :
22. Lorsque le général Bonaparte fut nommé consul, ce qu'on attendait de lui, c'était la paix. La nation était fatiguée de sa longue lutte; et, sûre alors d'obtenir son indépendance, avec la barrière du Rhin et des Alpes, elle ne souhaitait que la tranquillité, certes elle s'adressait mal pour l'obtenir. G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 32.
Il se rencontre except. au part. passé pris substantivement, un mal adressé (pers. qui s'est adressée à qqn par méprise) :
23. Le laquais sort. Resté seul, don César se rassied, s'accoude sur la table, et paraît plongé dans de profondes réflexions. C'est le devoir du chrétien et du sage, quand il a de l'argent, d'en faire un bon usage. (...) Mais je n'ose m'y fier, car on va me reprendre la chose. C'est méprise sans doute, et ce mal-adressé aura mal entendu,... V. Hugo, Ruy Blas,1838, IV, 3, p. 426.
b) Au fig. [L'obj. second. est une chose abstr.] Se tourner vers quelque chose afin d'en obtenir ce qu'on désire, ce dont on a besoin; recourir à :
24. Un échotier de Clartés signe l'existentialiste et au fond le mot a pris aujourd'hui une telle largeur et une telle extension qu'il ne signifie plus rien du tout. Il semble que, faute de doctrine d'avant-garde analogue au surréalisme, les gens avides de scandale et de mouvement s'adressent à cette philosophie, qui ne peut d'ailleurs rien leur apporter dans ce domaine; ... J.-P. Sartre, L'Existentialisme est un humanisme,1946, p. 16.
2. [Le suj. est une chose traduisant l'activité, la parole, les gestes, etc. d'une pers.]
a) [L'obj. second. est une pers.] Aller vers, être destiné à :
25. Son petit volume − qu'on trouve chez l'éditeur Victor Lecoffre − offre cette originalité que, sous une forme très pure et très distinguée, il s'adresse à tous, au grand public. C'est au peuple directement qu'est destinée cette histoire de son grand ami. F. Coppée, La Bonne souffrance,1898, p. 134.
26. Nos relations étaient fondées sur un malentendu qui ne pouvait manquer de se manifester dès que mes hommages, au lieu de s'adresser à la femme relativement supérieure qu'elle croyait être, iraient vers quelque autre femme aussi médiocre et exhalant le même charme involontaire. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Côté de Guermantes 2, 1921, p. 503.
27. − Mais enfin, puis-je savoir si ce rire ou ce ricanement s'adresse à votre serviteur? − Mais à qui donc voulez-vous que je le dédie? P. Valéry, Variété 4,1938, p. 187.
28. ... mais le regard est une intention. Faute de cette intention, la vision n'est qu'un phénomène abstrait et indifférent. Surtout une paire d'yeux ne fait pour moi un regard que si elle est dirigée sur moi, orientée vers moi, que si elle s'adresse à moi dans l'imploration, l'invocation ou l'interpellation. V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 91.
Rem. Parfois l'idée de direction l'emporte sur celle d'attrib. et de destination, ou vice-versa.
b) P. méton. [L'obj. second. désigne une partie du corps traduisant la pensée, le sentiment, etc. d'une pers.] :
29. Quand Madame de Mortsauf me quittait pour un moment, elle semblait laisser à l'air le soin de me parler d'elle; les plis de sa robe, quand elle s'en allait, s'adressaient à mes yeux comme leur bruit onduleux arrivait joyeusement à mon oreille quand elle revenait;... H. de Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 283.