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ADORABLE, adj.
Digne d'être adoré.
A.− RELIG. [En parlant de Dieu ou d'un de ses attributs] Qui doit être adoré :
1. jupiter. − Je ne te demande rien, mon enfant. électre. − Rien? t'ai-je bien entendu, Dieu bon, Dieu adorable? jupiter. − Ou presque rien. Ce que tu peux me donner le plus aisément : un peu de repentir. J.-P. Sartre, Les Mouches,1943, III, 2, p. 95.
2. Lorsqu'on les considère de ce jardin de Gethsémani où fut divinisée, en le Cœur Adorable du Seigneur, toute l'angoisse humaine, la distinction entre la peur et le courage ne me paraît pas loin d'être superflue et ils nous apparaissent l'un et l'autre comme des colifichets de luxe. G. Bernanos, Dialogues des Carmélites,1948, 4etabl., 1, p. 1652.
3. Le message que je vous délivre en ce jour de deuil, qui est aussi le jour du Seigneur, consiste en ces simples trois mots : « ne désespérez pas! ... » car le désespoir n'est pas seulement péché contre l'adorable bonté divine : les incroyants mêmes conviendront avec moi que c'est un attentat de l'homme contre lui-même et, si je puis dire, un suicide moral. J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 237.
P. ext. [En parlant d'autres réalités religieuses] Qui appelle une attitude d'adoration :
4. ... ils écartent ceux qui pourraient les incommoder dans leur passage, ils marchent devant, d'une contenance fière et orgueilleuse. Ils les servent pour se rendre plus agréables, pendant qu'on célèbre les saints et adorables mystères. A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1837, p. 1067.
5. Prendre au sérieux, presque au tragique, le drame qui se joue dans les intelligences et dans les cœurs de sa génération, n'est-ce pas affirmer que l'on croit à l'importance infinie des problèmes de la vie morale? N'est-ce pas faire un acte de foi dans cette réalité obscure et douloureuse, adorable et inexplicable, qui est l'âme humaine? P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,préf., 1885, p. VII.
B.− Lang. commune, par hyperbole. [Pour des raisons gén. suggérées par le cont. mais attestant toujours une certaine supériorité chez l'être ou l'objet aimé et une certaine spontanéité chez l'être aimant ébloui] Qu'on aime ou admire (ou les deux ensemble) extrêmement.
1. [En parlant de pers.] :
6. Adieu, Hénarès. Elle a retrouvé ses larmes en me voyant reparaître; et sa morne douleur s'est ainsi soulagée. Douce et adorable Inès, fille tendre, amante fidèle, dévouée, l'avenir te doit quelque bonheur, et le mien sera de te voir heureuse. H. Latouche, L.-F. L'Héritier, Dernières lettres de deux amans de Barcelone,1821, p. 110.
7. À Madame Delannoy (Paris, fin octobre 1839.) : Ma bonne et adorable Madame Delannoi [sic], j'ai vu M. Thiers, j'ai été parfaitement reçu par lui, j'ai mille nouvelles obligations à vous et aux vôtres, j'irai au premier moment chez M. Martin le remercier, et puis quand vous serez assise j'irai vous voir. H. de Balzac, Correspondance,1839, p. 747.
8. Les dames du pays qui avaient peur d'être éclipsées furent enchantées de l'attention de ma femme. À l'envi, on la proclama adorable, charmante, pleine de goût et de grâce : cette soirée me rallia définitivement quatre voix de la ville qui s'étaient tenues jusque-là sur la réserve. L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 328.
9. Mais, pour en revenir à nos adorables chanteurs, vous devriez nous faire un plaisir, Monsieur Danglars : sans la prévenir qu'il y a là un étranger, vous devriez prier MlleDanglars et M. Cavalcanti de commencer un autre morceau. A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 243.
10. Donc, je te prie de ne compter mie sur moi, dimanche : j'en pleurerais si j'avais des larmes! tu m'excuseras de ton mieux, n'est-ce pas? et puis je te remercie, adorable, de ton offre fraternelle. Deux raisons m'empêchent d'accepter : la première, c'est qu'il me faudrait de trente à quarante francs, la seconde c'est que, les eusses-tu, je ne pourrais te les rendre. S. Mallarmé, Correspondance,1862, p. 30.
11. Pourquoi cette sévérité? Est-ce un crime de vous aimer? Vous êtes adorable et vous voulez qu'on vous trouve détestable, car il faudrait vous trouver détestable pour ne pas vous aimer − vous qui êtes un regard divin et un sourire céleste! S. Mallarmé, Correspondance,1862p. 37.
12. Cet animal, d'un aspect assez repoussant, long d'un pied et demi, tomba sous les coups de Paganel, qui, par amour-propre de chasseur, le trouva charmant. « Une adorable bête, » disait-il. J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 2, 1868, p. 192.
13. Un homme jeune, très riche, d'âme noble et exaltée, de cœur généreux, devient amoureux d'une jeune fille absolument belle, plus que belle, adorable, aussi gracieuse, aussi charmante, aussi bonne, aussi tendre que jolie, et il l'épouse. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Un cas de divorce, 1886, p. 1066.
14. mère ubu. − (...). Monsieur Ubu, votre femme est adorable et délicieuse, elle n'a pas un seul défaut. père ubu. − Vous vous trompez, il n'y a pas un défaut qu'elle ne possède. A. Jarry, Ubu Roi,1895, V, 1, p. 84.
15. Ils se croyaient seuls au monde. Dans son exaltation, Évariste leva les yeux vers le firmament étincelant de lumière et d'azur : − Voyez : le ciel nous regarde! il est adorable et bienveillant comme vous, ma bien-aimée; il a votre éclat, votre douceur, votre sourire. A. France, Les Dieux ont soif,1912, p. 53.
16. ... « Comme elle est gentille, quel être adorable! » dans une exaltation moins féconde que celle due à l'ivresse, à peine plus profonde que celle de l'amitié, mais très supérieure à celle de la vie mondaine. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1021.
Rem. 1. Adorable s'emploie le plus souvent en parlant d'une femme; il est rare pour désigner les hommes (ex. 9) ou des animaux (ex. 12). 2. Il est associé à des adj. décrivant soit l'aspect extérieur : jolie, belle, très fréquemment charmante (ex. 13), soit les qualités morales : bonne (ex. 7, 13), tendre (ex. 13), douce (ex. 6), délicieuse (ex. 14), gentille (ex. 16), bienveillant (ex. 15). Adorable est opposé à détestable dans l'ex. 11. 3. L'ex. 11 montre le va et vient toujours possible entre le sens relig. et le sens profane : l'adorable est ce qui transporte dans un monde différent du monde ordinaire. L'ex. 16 montre ce que l'emploi fort de l'adj. peut supposer d'exalté (cf. aussi infra ex. 22); ailleurs c'est la délicatesse ou la gentillesse (féminine ou enfantine) qui l'emporte (cf. les épithètes réunies dans la rem. 2). L'adj. oscille ainsi entre le très grand et le petit ou le faible (cf. aussi infra B 3, rem. 1). Il semble que le 2easpect l'emporte à l'époque présente. 4. Adorable est utilisé avec un subst. en apostrophe (ex. 7); il peut fonctionner lui-même en apostrophe (ex. 10).
2. [En parlant d'attributs ou de qualités des pers. ou de la vie humaine] :
17. Ainsi ces deux jeunes gens se voyaient chaque jour, en toute liberté comme en toute innocence, s'efforçant de se faire oublier l'un à l'autre leur position respective, Hélène redoublant de grâce, Bernard d'humilité, et ne comprenant pas l'un et l'autre que, sous ces adorables délicatesses, l'amour s'était déjà glissé. J. Sandeau, Mademoiselle de la Seiglière,1848, p. 193.
18. Les trois amies de Madame Davarande, enfoncées dans les bergères, avec les poses molles que donnent les meubles moelleux, apparaissaient toutes mignonnes, à demi enveloppées de l'ampleur de leur robe et de leur immense jupe remontée jusque sous leurs bras. Une mise délicieuse, de petits chapeaux adorables, des gants à ganter des mains de poupée, un corsage coupé par un artiste,... E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 176.
19. Autant elle aimait la souffrance des jeunes gens, autant elle exécrait celle-ci. Alors un geste montait d'elle, une caresse ébauchée, et sa main retombait sur n'importe quoi où elle restait comme sur de la chair, sur le col d'une bouteille où elle restait, comme sur un cou de chair. Ah, l'admirable, l'adorable premier contact avec la vie! H. de Montherlant, Le Songe,1922, p. 69.
20. Nous étions ces jeunes hommes dont parlait le « petit Franck », assis dans la même chambre, autour d'un Dieu invisible, mais présent, à qui nous sentions toutes nos forces dévouées. Et la vie, notre vie nous semblait magnifique et adorable. La société des amis est toujours une société idéale. Elle est un échange continu. J. Guéhenno, Journal d'un homme de quarante ans,1934, p. 133.
En partic. [En parlant du langage] :
21. Revenant à sa fille, elle précisa davantage les conseils de prudence et de vie bien ordonnée, lui signalant surtout comme danger ce tour altier de caractère, mais avec mille tendres louanges sur le reste et d'adorables encouragements. Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, pp. 253-254.
22. Quand je songe qu'elle est là, devant moi, celle qui est tout, celle qui est la beauté, la grâce, le courage, l'esprit souverain et charmant, le savoir éclatant, la poésie intense, et qu'elle me dit : Venez! et qu'elle me le dit en termes émus et adorables! Oh! ne pas obéir, ne pas venir, ne pas accourir, ne pas fouler aux pieds la frontière, fût-elle de feu, et le serment, fût-il d'airain, savez-vous que c'est là, Madame, un effort surhumain, et que j'en suis comme anéanti? V. Hugo, Correspondance,1869, p. 154.
23. Marthe devait tout entendre, car Mmede Condamin avait une voix de flûte; elle bavardait ses péchés, elle animait le confessionnal d'un commérage adorable. É. Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 1064.
3. [En parlant d'inanimés] Qui flatte de manière délicate ou exquise les sens (provoquant une sorte d'éblouissement admiratif).
a) Domaine de la vue :
24. C'[le sud du lac Majeur] était un spectacle nouveau, sublime, adorable; nous nous étions trop hâtés! nous n'avions pas eu confiance dans cette nature enchanteresse, magicienne rusée, habile à cacher sa richesse pour en mieux étaler les trésors, pour en faire miroiter les pompes à l'heure voulue, si belle, mais si grande artiste, par-dessus tout! Nous fûmes éblouis et ivres d'enchantement, de joie, de bonheur... J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 15.
25. Ils passèrent dessous lentement, et, quand ils furent de l'autre côté, ils aperçurent devant eux un bout de rivière adorable, ombragé par de grands arbres, qui formaient au-dessus une sorte de voûte. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880, p. 324.
26. Les yoles, les barques de toutes sortes continuent d'aller et de venir. Cela ne fait pas de bruit; cela glisse mollement, voluptueusement. Sous les ombrelles, à travers les tcharchafs diaphanes, je vois de gracieuses figures, d'adorables yeux... C. Farrère, L'Homme qui assassina,1907, p. 80.
27. Nos voitures emportent toute une installation démontable qui permet de construire presque instantanément de jolies petites boutiques, charmantes, adorables, de vrais bijoux. Notez que nous vendons à des prix spéciaux, publicitaires. G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 990.
b) Domaine du goût et de l'odorat :
28. Et Mathieu nous raconta, avec raillerie mêlée de crédulités inattendues, d'invraisemblables histoires de miracles. Nous avions bu beaucoup de cidre adorable, piquant et sucré, frais et grisant, qu'il préférait à tous les liquides; et nous fumions nos pipes, à cheval sur nos chaises, quand deux bonnes femmes se présentèrent. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Normand, 1882, p. 73.
29. J'avalai coup sur coup des cuillérées de soupe épaisse, brûlante, remplie d'adorables légumes... L. Daudet, Les Morticoles,1894, p. 23.
30. Je détruirai l'équilibre du budget de toute ma semaine pour m'offrir une tasse de café turc, parce que, en passant devant l'établissement du même nom, je n'aurai pas su résister à l'odeur adorable du moka. Et ainsi de suite pour les cigares, les femmes, les repas, qui ont mené ma santé où tu la vois, mais que je ne regrette point d'avoir goûtés, dans leur saison... F. de Miomandre, Écrit sur de l'eau,1908, pp. 197-198.
Rem. 1. Les assoc. paradigmatiques sont semblables à celles qui ont été signalées sous B 1, mais d'un degré plus élevé dans l'admiration ou l'exaltation. En effet on trouve non seulement charmant (ex. 27), délicieux (ex. 18), gracieux (ex. 26), tendre (ex. 21), mais aussi admirable (ex. 19), grisant (ex. 28), magnifique (ex. 20), sublime (ex. 24).
Rem. 2. Compte tenu de la charge affective du mot, il n'est pas étonnant qu'on le rencontre dans des constr. exclam. du type : C'est adorable! Adorable! :
31. Il y eut une hésitation. On se réveillait. Était-ce fini? Puis, les compliments éclatèrent. Adorable! Un talent supérieur! − Mademoiselle est vraiment une artiste de premier ordre, dit Octave, dérangé dans ses observations. Jamais personne ne m'a fait un pareil plaisir. É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 51.
32. irène. − (...) Colette, tu ne veux pas boire? colette. − Si, mon petit chou... du frais, du très frais. (Pendant qu'Irène prépare une boisson). Quel numéro encore que ta marquise de Saint-Puy! irène. − Elle est du meilleur faubourg. Fais-la causer, c'est adorable. Vous ne connaissiez pas mon amie Colette, Monsieur Soubrian?... H. Bataille, Maman Colibri,1904, I, 7, p. 7.
Avec une nuance d'iron. :
33. − Jérôme, veux-tu que je me fâche? − Un peu de patience, tu vas voir le trait; c'est adorable; ça n'a jamais été dit... « Ces folliculaires qui... » − Voilà que ça me part; prends garde à toi, Jérôme. L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 355.
Rem. 3. Comme dans tous les mots à contenu fortement affectif, celui-ci peut s'affaiblir dans l'usage parlé notamment, jusqu'aux limites du convenu et de la banalité mondaine (cf. ex. 31, 32) et :
34. marcelle. −Pourquoi parlez-vous déjà du temps où vous ne serez plus là? Août est à peine commencé, et il y a encore tout septembre. Ici, c'est la saison adorable... et vous vous attarderez bien quelques jours en octobre pour chasser la palombe? F. Mauriac, Asmodée,1938, III, 10, p. 124.
Prononc. : [adɔ ʀabl̥]. Enq. : /adoʀabl/.
Étymol. ET HIST. − 1. 1291-1328 « porteur d'adoration » (Ovide moralisé, VIII, 1956, éd. C. de Boer, Amsterdam, 1915-1938 ds Mél. Roques, t. 2, p. 74 : encens adorables), attest. isolée. Cf. pour les sens du suff. -able en anc. fr., J. Engels ds Mél. Roques, t. 2, pp. 53-80; 2. 1611 « digne d'adoration » (Cotgr. : Adorable. Adorable; worthie, or fit to be adored). Empr. au lat. adorabilis (dér. de adorare) « digne d'adoration », attesté dep. 125-180 (Apulée, Met., 11, 8 ds TLL, 812, 31 : in patria deae providentis [Isidis] adorabile beneficium... narraverat). Cf. lat. chrét., post. 540, Cassiodore, Expositio in psalmum, 17, 12 ds TLL, 812, 36 : fecit eam [carnem Christi] creaturis omnibus adorabilem).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 212. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 345, b) 3 072; xxes. : a) 2 169, b) 1 055.
BBG. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Dup. 1961. − Engels (J.). Les Adjectifs en -able dans l'Ovide moralisé. In : [Mélanges Roques (M.)]. Paris, 1953, t. 2, pp. 61-63. − Fér. 1768. − Lav. Diffic. 1846. − Marcel 1938.