| ADMIRATION, subst. fém. Sentiment complexe d'étonnement, le plus souvent mêlé de plaisir exalté et d'approbation devant ce qui est estimé supérieurement beau, bon ou grand. A.− Emploi abs. (et analyse conceptuelle) : 1. D'ailleurs, l'admiration est-elle une passion comme l'amour? Y a-t-il en nous un penchant habituel à admirer comme à aimer? L'admiration n'est, ce me semble, qu'un étonnement accidentel de notre intelligence à l'occasion d'une surprise agréable.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 266. 2. − On n'est jamais très sensible au beau sans être vivement blessé par les impressions que fait le laid. Je suis en cela fort différent d'opinion avec les gens du monde qui se plaisent en général dans une atmosphère de médiocrité qui étouffe les sentiments d'admiration ou de haine.
E.-J. Delécluze, Journal,1825, p. 268. 3. Nous sommes très loin ici de cette admiration presque objective, de cet amour délibéré, quasi conscient, que nous signalâmes en étudiant l'amour de la nature en un Ruskin par exemple, − Et c'est pourquoi, sans doute, chez Hardy, la nature est génératrice, besoin.
Ch. Du Bos, Journal,nov. 1925, p. 395. 4. Respect, estime, admiration, vénération, voilà une série de mots qui détermine souverainement une certaine région de l'âme et qui règne même sur l'observation de soi. Remarquez qu'à cette série le mot adoration veut être joint; il faut même qu'on lui trouve une certaine place d'après les affinités; et les affinités se reconnaissent aux manières de dire, selon qu'elles sonnent humainement.
Alain, Propos,1929, p. 892. 5. Découvrir le tout comme chiffre de la transcendance n'est plus choisir, ce n'est plus agir, ce n'est même pas consentir. C'est admirer, c'est contempler. La contemplation, l'admiration sont le détour du consentement.
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 444. B.− [L'obj. de l'admiration reste implicite, mais est suggéré par le cont.] 1. [Il désigne des pers. ou une manifestation de personnalité] :
6. As-tu donc oublié cet inconcevable sentiment qui m'attachoit à toi? Est-il un nom qui puisse l'exprimer? L'amour le plus passionné n'en formoit qu'une partie; l'indéfinissable sympathie, la pure et sainte amitié, l'admiration portée jusqu'à l'enthousiasme, voilà tous les liens qui m'enchaînoient.
Mmede Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 2, 1795, p. 106. 7. Quand je vois ce qu'il pouvoit faire et ce qu'il a fait, ses inimitables talens ne m'inspirent plus qu'une espèce de rage sainte qui n'a pas de nom. Suspendu entre l'admiration et l'horreur, quelquefois je voudrois lui faire élever une statue... par la main du bourreau.
J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg,t. 1, 1821, p. 276. 8. Le travail par lequel une émotion s'élabore en nous et finit par se résoudre dans une idée reste si obscur que cette idée est parfois précisément le contraire de ce que le raisonnement simple aurait prévu! n'eût-il pas été naturel, par exemple, que l'antipathie admirative soulevée en moi par la rencontre du comte André aboutît soit à une répulsion déclarée, soit à une admiration définitive?
P. Bourget, Le Disciple,1889, pp. 119-120. 9. Je sais bien que nous avons « laïcisé » tout cela, et que de tels actes, bons pour un saint, provoqueront plus d'étonnement que d'admiration même chez les meilleurs d'entre nous, dont la pitié est tiède et passagère et dont la modestie est rarement de bon aloi.
F. Coppée, La Bonne souffrance,1898, p. 140. 10. Je suis d'une autre génération : mais l'estime, vous savez, l'affection, l'admiration même, rien n'a changé! rien! Ils se regardèrent encore, silencieusement. Les mains se séparèrent.
R. Bazin, Le Blé qui lève,1907, p. 138. 2. [Il désigne des choses (monuments, œuvres d'art, spectacle de la nature, etc.)] 11. Le séjour des montagnes a pour moi un charme qu'il m'est impossible d'analyser; jamais je ne m'égare dans ces vénérables retraites, sans être involontairement ému, saisi de respect et d'admiration; ma gaîté ordinaire est remplacée par un genre de mélancolie douce et rêveuse, que je n'éprouve point dans les champs cultivés; ...
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 2, 1801, p. 264. 12. En passant devant le Rockefeller building qui brille de toutes ses fenêtres comme un immense bloc de mica, nous n'avons pu retenir un cri de surprise et d'admiration, un cri de provinciaux.
J. Green, Journal,1933, p. 167. − Loc. prép. ♦ Avec admiration. Regarder, parler, etc. : 13. Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l'appartement des visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s'étalait sous leurs yeux.
A. Dumas Fils, La Dame aux camélias,1848, p. 2. 14. Il me parle avec admiration (ou en tout cas avec un étonnement plein de considération) du docteur de Martel, qui vient de sauver sa femme; de l'énorme quantité de travail que celui-ci parvient à fournir chaque jour, et de la sorte de plaisir, d'ivresse même que peut lui donner une opération bien faite et même le seul fait d'opérer.
A. Gide, Journal,1929, p. 949. ♦ Jusqu'à l'admiration. Aimer, etc. : 15. M. Godeau aimait jusqu'à l'admiration, admirait jusqu'à l'adoration son état d'âme le plus actuel, quel qu'il fût : Dieu y avait sa place et M. Godeau la sienne.
M. Jouhandeau, Monsieur Godeau intime,1926, p. 181. ♦ Être dans l'admiration, en admiration (Ac. 1798-1932). C.− [L'obj. de l'admiration est exprimé par un compl. prép.] 1. [L'obj. exprimé est une pers. ou une des manifestations de sa personnalité] Admiration pour : 16. Talma avait comme acteur une réputation chez toutes les nations de l'Europe. Les Anglais en particulier ont une grande admiration pour son talent. En France, cette admiration allait jusqu'à l'engouement.
E.-J. Delécluze, Journal,1826, p. 348. 17. Hautot César, presque aussi haut que son père, mais plus maigre, était un bon garçon de fils, docile, content de tout, plein d'admiration, de respect et de déférence pour les volontés et les opinions de Hautot père.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Hautot père et fils, 1889, p. 257. 18. Ah! n'être pas lâche, se satisfaire enfin, enfoncer le couteau! lui que l'envie en torturait depuis dix ans! il y avait, dans sa fièvre, un mépris de lui-même et de l'admiration pour l'autre, et surtout le besoin de voir ça, la soif inextinguible de se rassasier les yeux de cette loque humaine, du pantin cassé, de la chiffe molle, qu'un coup de couteau faisait d'une créature.
É. Zola, La Bête humaine,1890, p. 49. 19. Ça me fait bien de la peine quand même! ah! tu peux croire, ça me touche beaucoup!... J'avais pour lui de l'admiration... et même une sincère amitié!... c'était un cerveau unique! ... ah! je me rends bien compte! une véritable valeur! ...
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 690. 2. [L'obj. de l'admiration est une chose] Admiration pour, de, devant : 20. Et il s'en alla pour verbaliser, il remmena ses quatre gendarmes, sous les ricanements de Zacharie et de Mouquet, qui, pris d'admiration devant la bonne blague des camarades, se fichaient de la force armée.
É. Zola, Germinal,1885, p. 1350. 21. Provoqué par elles (sœurs de ma grand'mère) à donner son avis, à exprimer son admiration pour un tableau, il gardait un silence presque désobligeant, et se rattrappait en revanche s'il pouvait fournir sur le musée où il se trouvait, sur la date où il avait été peint, un renseignement matériel.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 17. 22. Sous la fenêtre de ma chambre, un immense platane, qui est bien l'un des plus beaux arbres que j'aie vus. Je reste longtemps dans l'admiration de son tronc énorme, de sa ramification puissante et de cet équilibre où le maintient le poids de ses plus importantes branches.
A. Gide, Journal,1940, p. 32. D.− Emploi concret, le plus souvent au plur. 1. Rare [En parlant d'une pers. ou d'une chose] Objet d'admiration : 23. On tient à ses vieilles admirations.
Ac.1835-1932. 24. 9 avril. En ce moment, deux admirations chez Gavarni. Les gravures de Pittori d'après Piazzetta, − Et des photographies publiées à Genève d'après un nommé Van Muyden, composition italienne étonnante de vérité, de réalisme élégant, gracieux ou simple : un capucin, entre autres, raccommodant un froc.
E. et J. de Goncourt, Journal,avr. 1859, p. 590. 2. Manifestation, occasion d'admiration : 25. Elle participait à toutes mes amitiés, à mes admirations, à mes engouements. Jacques pieusement mis à part, je ne tenais à personne autant qu'à elle; elle m'était trop proche pour m'aider à vivre, mais sans elle, pensais-je, ma vie aurait perdu son goût.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 296. Rem. 1. Au sens d'étonnement, admiration est considéré comme vieilli et appartenant à la lang. class. Déjà à cette époque, mais surtout à l'époque mod. s'ajoute à cette not. d'étonnement celle de plaisir devant ce qu'on juge beau, bon ou grand. 2. Pour les assoc. paradigm., particulièrement riches, voir les mots en italique dans les ex. 3. Syntagmes fréq. L'importance et parfois l'excès du sentiment sont indiqués par des adj. ou des subst. verbaux ou des verbes caractérisant le subst. L'admiration est grande, profonde, respectueuse, vive ou immodérée, fanatique, béate, sans borne. Verbes ou loc. verbales rencontrés le plus couramment avec admiration : être en admiration, tomber en -, béer d'-, se pâmer d'-, être soulevé d'-, être saisi d'-, être plein d'-, sacrifier à l'-, avoir de l'-, provoquer l'-, inspirer de l'-. Subst. caractérisant l'intensité de l'admiration : cris d'admiration. 4. Le sujet-agent qui éprouve l'admiration est toujours une pers., qui reste gén. implicite dans le cont. (ex. 6, 10), ou encore il s'exprime par le sujet du syntagme verbal (ex. 16, 19) ou un adj. poss. (ex. 25); plus rarement par un compl. prép. (ex. 8, 9) la prép. pouvant être de quand il n'y a pas risque d'ambiguïté : s'attirer l'admiration de tout le monde (Ac. 1798-1932); l'admiration de qqn pour qqc. Prononc. : [admiʀasjɔ
̃]. Enq. : / admiʀasiõ /. Étymol. ET HIST. − 1. Dans trad., mil. xiies. « sentiment de ravissement suscité par les hautes qualités d'une pers. » (Dialogue Grégoire lo pape, éd. Förster, 16-17 : Li saintismes hom Equices par nom, es parties de la contreie Valeire, par lo merite de sa uie ahier tres toz ilokes astoit euz de grand ammiration. [... pro vitae suae merito apud omnes illic magnae admirationis habebatur]); 2. a) 1209 « sentiment de stupeur, d'effroi » (Renclus de Moiliens, Miserere, éd. van Hamel, 60, 4 ds T.-L. : Tout son cuer li a esmëu De pëur, d'amiration, Quant est en recordation Ke il a si grant faim ëu Dou bel fruit ke il a vëu); b) 1319-40 « action de s'étonner » (Watriquet de Couvin, Dits, éd. Scheler, 258, 862, ibid. : Ce fu droite amiracion De resgarder celle merveille).
Empr. au lat. admiratio, attesté dep. le ies. : au sens 1 dep. Cicéron (Tusc., 4, 3 ds TLL s.v., 737, 79 : propter pythagoreorum admirationem); au sens 2 a dep. Tite-Live (3, 47, 6, ibid., 739, 28 : stupor omnes admiratione rei tam atrocis defixit) fréquemment attesté en lat. chrét. (cf. Itala, Act., 3, 10, ibid., 740, 1 : repleti sunt pavore et admiratione); 2 b Cic., Orat., 135, ibid., 739, 5 : si est aliqua exclamatio vel admirationis vel questionis. STAT. − Fréq. abs. litt. : 4 099. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 6 772, b) 5 525; xxes. : a) 6 043, b) 5 058. BBG. − Bailly (R.) 1969. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Daire 1759. − Foulq.-St-Jean 1962. − Lacr. 1963. − Lal. 1968. − Lasnet 1970. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Miq. 1967. |