| ACCROC, subst. masc. I.− Déchirure dans un tissu : 1. Mais sa vieille robe de laine l'inquiétait surtout; elle n'en avait pas d'autres, elle était forcée de la remettre chaque soir, quand elle quittait la soie d'uniforme, ce qui l'usait terriblement; une tache lui donnait la fièvre, le moindre accroc devenait une catastrophe.
É. Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 507. 2. Je lui ai cherché au « Zélé » [un aérostat] tous ses accrocs, ses moindres lacunes, je le réparais en « fonds de culotte » « surjeté » « rebordé », « plissé », ça dépendait des fissures... il foirait d'un peu partout, je le ravaudais des heures entières, ça finissait par me passionner...
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 421. Rem. Syntagmes rencontrés : faire un accroc à sa blouse (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913, p. 8); raccommoder un petit − dans un pantalon (G. Roy, Bonheur d'occasion, 1945, p. 445). II.− Au fig. A.− Métaphore : 3. Une compagnie venait de sortir des tranchées, sur notre gauche, et en tirailleurs, sans sacs, à la baïonnette, les soldats couraient dans les champs nus. Le régiment voisin tentait un coup de main et c'était eux que cherchait la maxim au tap-tap régulier de machine à coudre. Le tir s'étant fixé parut faire dans la ligne d'hommes un large accroc.
R. Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 48. − Spéc. Blessure (cf. Esn. Poilu 1919, p. 34). B.− Incident imprévu et passager qui cause un préjudice en arrêtant ou en faussant le déroulement d'une action. Léger, petit accroc : 4. Et monsieur s'obstinait :
− Bon... bon... tu verras... tu verras... pourvu, mon Dieu! que tout se passe à peu près bien, sans trop d'accidents... sans trop d'accrocs... je ne savais pas que d'être des gens du monde, cela fût une chose si difficile, si fatigante et si compliquée...
O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 198. 5. Il est professeur titulaire de la faculté, membre de l'académie des sciences, président de plusieurs sociétés savantes, et couvert de décorations. N'empêche ques s'il lui arrive un petit accroc, une légère mésaventure, une perte d'argent ou même un manque à gagner, il se croit déshérité, trahi, abandonné de tous.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Les Maîtres, 1937, p. 156. 6. Les données une fois posées, l'action [dans « the Tempest » de Shakespeare] se déroule sans peine, sans divagation ni accroc. Tout va de soi, dans cette parade exemplaire, où chacun, pénétré de son rôle, s'y tient et s'y maintient, sage comme une image d'Épinal.
A. Gide, Journal,1943, p. 242. 7. Nos convois circulaient dans un ordre exemplaire, nos parcs et nos ateliers ravitaillaient les unités sans accrocs et sans retards.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,L'Unité, 1956, p. 271. − MUS., DACTYL. [En parlant de la frappe des doigts] :
8. « Chez le pianiste éminent, dit le DrIngegnieros, le centre de coordination doit être particulièrement parfait ». Rubinstein n'était pas du tout dans ce cas; son jeu n'était pas exempt « d'accrocs ».
J. Combarieu, La Musique,1910, p. 259. 9. Tandis que je lui dictais la lettre au fournisseur incorrect, ses mains tremblaient. Les accrocs et les reprises dans le tapotage de la machine à écrire attestaient comme les faux-pas de ses doigts, manquant les touches.
P. Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 49. Rem. Syntagmes fréq. : accroc sérieux (A. Gide, Voyage au Congo, 1927, p. 754); s'achever sans - (Id., La Symphonie pastorale, 1919, p. 920); marcher sans - (Gyp, Souvenirs d'une petite fille, t. 2, 1928, p. 345); se dérouler sans -; des accrocs de santé (E. et J. de Goncourt, Journal, 1863, p. 595). C.− Infraction à une norme. Accroc au règlement : 10. Cette dernière, − la véritable femme de service −, s'honore de rapports exclusifs avec les enfants; dix fois, vingt fois par jour, on la requiert dans chaque classe pour un office où personne ne peut la remplacer. Je sais même que, par un léger accroc au règlement, on lui confie la surveillance aux heures extrêmes où les enfants sont peu nombreux dans le préau...
L. Frapié, La Maternelle,1904, p. 34. 11. Bien que je cède sur une question de principe, que j'ouvre peut-être la porte à des difficultés futures, vous ne m'aurez pas fait appel en vain. Je vous paierai la moitié des frais de battage, à vous et aux autres; concession n'est point accroc. Je vous l'accorde en mémoire de nos anciens, de tous ceux dont nous venons.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 69. Rem. 1. Syntagmes rencontrés : accroc à la vérité (J.-K. Huysmans, L'Art moderne, 1883, p. 135); donner un - au rite (Id., L'Oblat, t. 2, 1903, p. 248). 2. Dans son emploi fig., le mot a rarement un caractère de gravité. Dans cet ex., si nous rencontrons la formule horrible accroc c'est par jeu entre le sens propre et le sens fig., un accroc de plus à la toile du vieil aérostat lui serait funeste : 12. Tel un vieux jupon sur la corde, il était calamiteux... même les plus bouzeux campagnols ils s'apercevaient bien de la chose... tout le monde se marrait de le [l'aérostat] voir partir tituber dans les toits... moi je rigolais beaucoup moins!... je le prévoyais l'horrible accroc, le décisif! le funeste! la carambouille terminale!
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 459. Prononc. − 1. Forme phon. : [akʀo]. Fouché Prononc. 1959, p. 376 note que : ,,Le c final est muet dans estomac, tabac, accroc, croc, escroc, raccroc, caoutchouc, etc. ...`` En ce qui concerne le timbre de o, Passy 1914 donne la possibilité d'une prononc. avec [o] fermé ou [ɔ] ouvert (cf. aussi Mart. Comment prononce 1913, p. 100). Enq. : /akʀo1/. 2. Hist. − Pour Fér. Crit. t. 1 1787, ,,le c final se prononce``. Étymol. ET HIST. − 1. a) 1530 « croc, crochet » (Grans décades de Titus-Livius, t. II, 59 vods R. Hist. litt. Fr., 1, 488 : Et aussi feist-il faire sur les murs maintz merveilleux acroqs de fer tenans a chaynes); b) au fig., fin xvies. « ce qui accroche » (Du Vair, Méditat. sur sept ps. de la Consol. de David, Ps. 13 ds Hug. : Celuy qui veut monter à la montagne, il faut qu'il soit despouillé de toute Vanité et Menterie : car tels haillons trouvent trop d'accrocs qui les arrestent); 2. 1680 « déchirure faite par ce qui accroche » (Rich. t. 1, s.v. : c'est un accroc que je me suis fait); au fig. (p. ext. à l'honneur) « tache, souillure » dep. 1763 d'apr. FEW; 3. 1960 « ce qui retarde une affaire » (Fur. s.v. : La mort d'une des parties est un accroc qui empêche l'instruction de ce procès).
Dér. régr. de accrocher*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 115. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Chesn. 1857. − Lacr. 1963. − Thomas 1956. |