| ACCOUCHER, verbe trans. I.− Au propre A.− Emploi trans. indir. [Le suj. désigne une femme] Accoucher de. Donner naissance à (un enfant) : 1. ... toutes les fois que, dans les naissances annuelles, le nombre des filles est notablement plus grand que celui des garçons, la surabondance des femelles est toujours due à des circonstances débilitantes; ce qui pourrait bien nous indiquer aussi l'origine des plaisanteries qu'on a faites de tout temps au mari dont la femme accouche d'une fille.
J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825, p. 73. 2. La sœur de Marcel, après une grossesse des plus inquiétantes, nous a tous alarmés l'an passé en accouchant avant terme (et presque sans souffrances) d'un enfant presque sans vie... à présent, la mère et l'enfant vont très bien.
A. Gide, P. Valéry, Correspondance,lettre de A. G. à P. V., juill. 1903, p. 399. − Populaire : 3. Et fut bien contente, la bounne mère, d'avoir fait n'un beau fiston si dégourdi! Ah, ah, ah!... N'était point coumme ec'te femme ed' Maillé-la-Croix, qui accouchit d'un garçon et fut si dépitée d'à cause qu'ell' pensait mett' bas un' fille, qu'ell' s'a mis à pleurnichailler, criant : − « N'en veux point, ma mère : Ar'mettez-le vite! ar'mettez-le! » Ah, ah, ah!...
R. Martin du Gard, La Gonfle,1928, III, 1, p. 1223. − Emploi abs. : 4. Comment se conduisent-elles pendant leur grossesse? Accouchent-elles aisément ou difficilement? Ont-elles besoin de secours pour cette opération? Lient-elles le cordon ombilical? Cette opération se fait-elle avant ou après la sortie du placenta? Emmaillottent-elles leurs enfans...
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 1, 1797, p. 183. 5. La princesse avait cru, d'abord, son ignorance simulée. Mais, par des adresses de femme, la tâtant de questions délicates, imprévues, elle avait été étonnée de ses réponses naïves. Elle ne croyait pas, comme Agnès, qu'on accouchât par l'oreille, mais par le déchirement d'une partie qui lui semblait propre à cela, le nombril. Le princesse en rit beaucoup.
J. Michelet, Journal,append., 1849-1860, p. 578. 6. On écrit comme on accouche; on ne peut pas s'empêcher de faire l'effort suprême.
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 121. Rem. 1. La lang. mod. forme habituellement le passé avec l'auxil. avoir : ,,Il y a maintenant trois mois que j'ai accouché de mon dernier enfant...`` (G. de Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, L'Inutile beauté, 1890, p. 1147). Au xixes., l'auxil. être est plus fréq.; en 1810 l'emploi de avoir était considéré comme fautif par les puristes :
exe7. Accoucher. Mettre un enfant au monde : Cette femme a accouché dites, cette femme est accouchée. Le chirurgien accouche, la femme est accouchée. Dans le premier cas, le verbe est actif; dans le second, il est neutre, c'est-à-dire, sans régime.
E. Molard, Le Mauvais langage corrigé, 1810, p. 7.
L'auxil. être se rencontre au xxes., mais est considéré comme littér. : ,,Mon cher Jean, Cécile est accouchée hier d'une fille...`` (R. Martin du Gard, Jean Barois, 1913, p. 306). On peut penser en outre qu'entre avoir et être il y a une nuance d'aspect, le premier exprimant plutôt l'événement comme tel, le second ajoutant une nuance d'achèvement et d'état résultant de l'événement achevé. Rem. 2. Syntagmes fréq. : a) accoucher d'un garçon, d'une fille (ex. 1); - de son premier enfant (R. Rolland, Beethoven, Les Grandes époques créatrices, t. 2, 1903, p. 570); - d'un enfant mort (H. Queffelec, Le Recteur de l'île de Sein, 1944, p. 38); - de trois jumeaux (G. Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, 1918, II, 7, p. 909); b) - difficilement; - facilement; - à terme; - avant terme; - sans douleurs (J.-K. Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 264); nouvellement accouchée; heureusement accouchée; c) - au forceps. L'expr. plais. accoucher par l'oreille (ex. 5) est une allus. à une réplique d'Arnolphe dans l'École des femmes (Molière, [1662], Paris, Hachette, 1910, I, 1, p. 170). B.− Emploi trans. dir. [Le suj. désigne un médecin ou un vétér.; l'obj. désigne une femme ou une femelle] Aider (une femme) à mettre un enfant au monde; aider (un animal) à mettre bas : 8. Malgré leurs croyances opposées, ils s'entendaient parfois sur l'infirmité humaine. Tous deux étaient dans les mêmes secrets : si le prêtre recevait la confession de ces dames, le docteur, depuis trente ans, accouchait les mères et soignait les filles.
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 362. 9. Mais ceci n'est qu'une des faces de ce brave homme. Une autre c'est l'amour de ses bêtes. Quand une truie va mettre bas, il sollicite la permission de passer la nuit auprès d'elle, il l'accouche, la soigne comme son enfant, pleure lorsqu'on vend les gorets ou qu'on expédie ses cochons à l'abattoir. Aussi ce que tous ces animaux l'adorent!
J.-K. Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 155. 10. Pendant ce temps, le vétérinaire a accouché la Nioule.
R. Martin du Gard, La Gonfle,1928, II, 2, p. 1229. II.− Au fig. Produire. Stylistique − Au sens propre, accoucher appartient à la lang. méd. et à la lang. cour.; il ne s'applique qu'aux femmes au sens trans. indir. (I A) comme son synon. mettre au monde; le verbe en usage pour les animaux est mettre bas. L'expr. accoucher un animal se rencontre à propos d'une opération effectuée sur les animaux domestiques par un vétér. (cf. ex. 9). Dans l'ex. 3, accoucher est repris par mettre bas, la locutrice étant une paysanne très proche de la nature.A.− Emploi trans. indir. 1. Emplois métaphys. plais. [Le suj. désigne une chose] :
11. ... la berline accoucha 1) d'un milord gros, court, enluminé et ventru; 2) de deux miss, longues, pâles et rousses; 3) d'une milady paraissant entre le premier et le second degré de la consomption.
J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825, p. 363. 12. Avant d'entrer, ils examinèrent l'habitation. Une grande construction carrée et neuve, très haute, semblait avoir accouché, comme la montagne de la fable, d'une toute petite maison blanche blottie à son pied.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880, p. 45. 13. ... plusieurs centaines d'habitants se mettaient à grimper sur les hauteurs pour apercevoir de loin le désert et l'explosion qui devait avoir lieu le 16 à quatre heures du matin. À cinq heures, rien ne s'étant produit, découragés, persuadés que la montagne avait accouché d'une souris, les habitants de Y redescendaient vers la ville. Quelques minutes plus tard, le ciel s'embrasait. Ils avaient manqué le spectacle...
B. Goldschmidt, L'Aventure atomique,1962, p. 45. Rem. Dans les ex. 12, 13, la montagne qui accouche d'une souris est une allus. littér. à une fable de La Fontaine (La Montagne qui accouche, 1. V, [1668], Paris, Hachette, 1883, p. 397) ou à un vers de Boileau (Art poétique, chant III, [1674], Paris, Gallimard, 1966, p. 175) d'apr. l'Art poétique d'Horace (Ad Pis., 139). 2. [Le suj. désigne une pers., l'obj. une production de l'esprit considérée par rapp. au travail pénible nécessaire à son élaboration] Créer : 14. Penser, rêver, concevoir de belles œuvres est une occupation délicieuse. (...). Celui qui peut dessiner son plan par la parole passe déjà pour un homme extraordinaire. Cette faculté, tous les artistes et les écrivains la possèdent. Mais produire! Mais accoucher! Mais élever laborieusement l'enfant, le coucher gorgé de lait tous les soirs, l'embrasser tous les matins avec le cœur inépuisé de la mère, le lécher sale, le vêtir cent fois des plus belles jaquettes qu'il déchire incessamment.
H. de Balzac, La Cousine Bette,1847, p. 196. 17. Un mot de Mmede Beaulaincourt à Mllede Montijo, poussée dans ses derniers retranchements par l'empereur, quelque temps avant de devenir impératrice, et venant la consulter sur ce qu'elle devait faire. La femme sans préjugés, après avoir réfléchi quelque temps, accouchait de cet axiome : « Mieux vaut un remords qu'un regret ».
E. et J. de Goncourt, Journal,janv. 1891, p. 15. Rem. Ex. de syntagmes : accoucher d'un livre (A. Gide, Les Caves du Vatican, 1914, p. 679); - du modeste petit traité de « vie naturelle » (H. de Monterlant, Pitié pour les femmes, 1936, p. 1084). B.− Emploi trans. dir. [Le suj. désigne une pers. ou une collectivité hum., l'obj. désigne l'esprit ou une collectivité hum.] :
16. C'est ainsi que les bons maîtres, imitant la sage nature, nous conduisent, par degrés, de l'ombre à la lumière, et accoutument insensiblement nos faibles yeux à fixer la vérité. C'est ainsi que Socrate, accouchant les esprits, crut à la préexistence de ce germe intellectuel que la puissance de son art faisait éclore.
Maine de Biran, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser,1803, p. 184. 17. Versailles avait le devoir d'accoucher elle aussi les nations dont l'Europe était maintenant enceinte et qui se développaient sans profit en son centre.
J. Giraudoux, Bella,1926, p. 8. 18. La Russie est, à cette époque, une nation adolescente accouchée au forceps, depuis un siècle à peine, par un tsar encore assez naïf pour couper lui-même les têtes des révoltés.
A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 187. Rem. L'expr. accoucher les esprits est un souvenir littér. (c'est la méthode d'enseign. de Socrate, La Maïeutique, cf. Platon, Théètète, 161e); elle est répétée de nombreuses fois avec la var. accoucher les âmes (J.-P. Sartre, La Nausée, 1938, p. 115). − Absol., fam. [Le suj. désigne une pers.] Parler (en faisant effort pour vaincre les obstacles qui s'opposaient à l'expression spontanée) : 19. Parle, parle, tu as la parole, à la fin tu accoucheras.
F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté, jusqu'en 1827,t. 4, 1828-1829, p. 249. 20. − Eh! bien, quoi donc? Ça ne te va pas? demanda Sandoz qui le guettait.
− Si, si, oh! très bien peint... Seulement...
− Allons, accouche. Qu'est-ce qui te chiffonne?
− Seulement, c'est ce monsieur, tout habillé, là, au milieu de ces femmes nues... On n'a jamais vu ça.
É. Zola, L'Œuvre,1886, p. 48. 21. − Allons, petite frappe! Accouche. Dis-moi ce qui ne va pas. (...).
Il répéta sans conviction :
− Tout va bien. − Je vois, dit-elle. Tu as quelque chose à me dire mais tu veux que je te fasse accoucher.
Il sourit et mit sa tête dans le creux de l'aisselle de Lola. Il respira et dit :
− Tu sens bon.
Elle haussa les épaules :
− Alors? Tu causes ou tu ne causes pas?
J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 177. Rem. Cet emploi est fréq. notamment à l'impér. pour inciter un interlocuteur à dire ce qu'il voudrait cacher. Prononc. − 1. Forme phon. : [akuʃe], j'accouche [ʒakuʃ]. Enq. : /akuʃ/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : accouchant subst. masc. et fém., accouchée subst. fém., accouchement, accoucheur (-euse). Cf. coucher. Étymol. ET HIST. − 1. 1160-xvies. « se coucher, s'aliter » (Wace, Roman de Rou, III, 9123 ds Keller, Étude descriptive sur le vocab. de Wace, p. 49b : A Roem vint si acocha) [xiiies. loc. accoucher malade (Villehardouin, 89 ds Littré : Mahius de Montmorency accoucha malades, et tant fu agrevés qu'il mourut)]. − (St Gelais, 197 ds Littré : Ci dessous git estendue et couchée Une qu'amour si bien vaincue avoit, Que plusieurs fois elle en fust accouchée; Mais c'estoit mal dont elle relevoit); 1842, Ac. Compl. : vieux lang. Accoucher. Se mettre au lit pour cause de maladie; 2. a) 1165 « s'aliter pour mettre un enfant au monde » (Chrét. de Troyes, Guillaume d'Angleterre, 66, éd. Wilmotte : Mais quant li rois vit aprochier Le terme que dut acouchier, Crient que ne li deüst grever, Se ne l'i laissa plus aler); réfl. s'accoucher de « enfanter » (Id., op. cit., 613, ibid. : De deus enfans, ce saciés bien, S'est anuit me feme acoucie); sens fig. 1674 « créer (une œuvre) » (Molière, Femmes savantes, III, 1 ds Littré : Le sort de ce sonnet a droit de vous toucher; car c'est dans votre cour que j'en viens accoucher); b) 1671 trans. « aider (une femme) à mettre un enfant au monde » (Pomey, Dict. royal : Accoucher une femme : parienti feminae adesse... Je ne t'accoucherai pas si facilement qu'une sage-femme); 3. 1170 1200 acolchier la lance « baisser la lance » (Athis, Ars. 3312, fo84a ds Gdf. : Atys respont, ains est navrez Ou destre flanc, moult a saignié; Mes nous l'avons bien estainchié Et sa plaie moult bien lavee : A nul damage n'est tornee. En accochant le prist la lance, N'i a de mort nulle doutance); 1545 emploi fig. « s'abattre » (Germain Colin à Jehan Bouchet ds les Épitres Familières du Traverseur, 64 ds Hug. : La mer par fois souffle si fort et boult Qu'il n'y a sens qui tout ne s'en farousche Ne si bon cueur qui de peur ne s'acouche); attest. isolées.
Dér. de coucher*; préf. a-* (< ad); accoucher au sens de « mettre un enfant au monde », s'est substitué à l'a. fr. gesir d'(un enfant), xiies. (xies. gésir « être couché », puis gésir de [causal]) et à l'a. fr. agesir, xiiies. STAT. − Fréq. abs. litt. : 562. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 797, b) 944; xxes. : a) 1052, b) 569. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Guiraud (P.). Mélanges d'étymologies argotiques et populaires. Cah. Lexicol. 1967, t. 10, no1, p. 8. − Hanse 1949. − Nysten 1814-20. − Thomas 1956. |