| ACARIÂTRE, adj. Péj. [En parlant d'une pers. gén. âgée et le plus souvent d'une femme, aigrie par l'âge, la solitude ou la jalousie] Qui manifeste son constant mécontentement par une humeur hargneuse et déplaisante : 1. Il faut savoir vaincre sa mauvaise humeur. Il est assez simple que vous ayez ici des différends, des querelles; mais il faut une explication et non pas une bouderie (...). Il ajoutait qu'il fallait savoir pardonner et ne pas demeurer dans une hostile et acariâtre attitude, qui blesse le voisin et empêche de jouir soi-même; qu'il fallait reconnaître les faiblesses humaines et se plier à elles plutôt que de les combattre.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 482. 2. L'une était une fille du peuple, assez dévote, nommée Élisabeth, comme elle-même, mais rude et grossière à l'excès, et si horriblement laide, qu'elle servait d'épouvantail aux enfants. L'autre était une veuve, âgée, sourde, d'un caractère acariâtre et revêche, toujours mécontente et en colère.
Ch. de Montalembert, Hist. de Sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 242. 3. Il se parlait de Madame de Chasteller comme un connaisseur se parle d'une belle statue qu'il veut vendre. « Après tout, il faut qu'elle soit dévote au fond : avoir déterré cette exécrable demoiselle de compagnie le prouve de reste. En ce cas, je l'aurais bientôt vue blâmante, méchante, acariâtre... Et à propos, et les lieutenants-colonels?... » Leuwen resta longtemps sur cette pensée. « Je l'aimerais mieux, se dit-il enfin avec distraction, un peu trop avenante pour MM. les lieutenants-colonels que dévote; ...
Stendhal, Lucien Leuwen,t. 2, 1836, p. 60. 4. De là, à Sainte-Menehould (hôtel des Princes) où nous trouvons la cuisine dont parle Victor Hugo, et le petit oiseau dans la cage, et la jeune fille. Mais de plus, une belle-mère, vulgaire, criarde, acariâtre...
J. Michelet, Journal,juin 1842, p. 413. 5. ... il rentre chaque soir à neuf heures chez sa vieille femme, devenue acariâtre avec l'âge...
A. France, La Rôtisserie de la Reine Pédauque,1893, p. 129. 6. Le chauffeur, Victor, salue Madame et Mademoiselle, leur ouvre la porte. On lui dit bonjour très amicalement. On lui sourit. Victor est un homme de rapports très agréables. Il aime sa voiture, la soigne bien, la conduit bien. Il est le mari de la cuisinière, et vaut mieux qu'elle qui est susceptible et acariâtre. Jamais il ne montre de mauvaise humeur. Il est sensible aux bons procédés. Aussi ne se prive-t-on pas d'en avoir avec lui.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 56. − P. anal. [Plus rarement en parlant d'un homme âgé] Même sens, avec insistance sur le côté tyrannique de l'humeur : 7. ... il reste encore des préjugés d'inégalité très-difficiles, sinon impossibles à extirper. Voilà pourquoi ce qu'on appelle les bons serviteurs, les vieux fidèles amis de la famille, ceux qui ont conservé les traditions et les formules du passé, sont, la plupart du temps, acariâtres, tyranniques, impossibles à supporter pour qui se sent l'égal d'un homme et non son esclave sous prétexte d'être son maître.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 2, 1855, p. 439. 8. « Le comte était un homme dur, violent, acariâtre, qui avait dû tourmenter sa femme et être son bourreau, car la pauvre comtesse était pâle, maladive et courbée sur elle-même comme une octogénaire, bien qu'elle eût cinquante ans à peine... ».
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 38. 9. ... M. de Beaupréau reprit sa place au foyer de la famille, et se trouva pour ainsi dire métamorphosé. L'homme acariâtre, bilieux, avare, qui tourmenta sa femme pendant quarante années, avait, comme par enchantement, fait place à un vieillard doux, affectueux, au sourire mélancolique.
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 113. Rem. Ac. 1798, 1835, 1878 signalent comme syntagmes usuels : humeur, esprit, femme, enfant acariâtre. Ac. t. 1 1932 les reprend sauf le dernier, ce qui tend à prouver que acariâtre suppose l'âge, sans qu'il s'agisse toujours de l'état de vieillesse. − P. ext., rare. [En parlant d'une attitude de l'esprit humain] Même sens que dans les deux emplois précédents : Stylistique − 1. Acariâtre fait preuve d'une grande stab. quant à son sens actuel, attesté dès le xvies. (cf. hist.). Cependant, il a perdu auj. de sa vitalité et se situe à un niveau de lang. relativement élevé. De plus, il semble être spécifique du caractère fém. (cf. sém.). Mais il est intéressant de noter chez Ponson du Terrail (Rocambole, 1859) la constante inverse, c.-à-d. que acariâtre apparaît comme un trait spécifique du caractère masc. À noter que la coloration dépréc. du mot est accentuée par la valeur impressive des sons rudes qui le composent ainsi que par la présence d'un suff. -âtre*, nettement péj. 2. Qq. emplois semblent s'écarter de l'usage :
− l'application, par assoc. d'idées, du caractère « acariâtre » à un obj. inanimé :
11. Comme fait sur la pierre sèche
La scie acariâtre et rèche
...
... leurs dents convulsives grincent
...
A. Pommier, L'Enfer, 1853, p. 132.
− la substantivation exceptionnelle de l'adj. :
12. L'acariâtre, ayant haussé les épaules, tourna les talons, (...). Il avait alors les yeux moins méchants que tristes, ...
L. Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 47.10. Ces hernhutes ont, en cet endroit, une sorte de couvent de femmes, schwesternhaus, et il y vient des curieux en assez grand nombre. Nous savions que, pour être bienvenu dans cette maison, il faut acheter quelque chose à la boutique annexée, espèce de bazar sulpicien du protestantisme le plus acariâtre, le plus répugnant, le plus morose.
L. Bloy, Journal,1899, p. 341. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [akaʀjɑ:tʀ
̥]. Enq. : /akaʀiatʀ, D/. 2. Dér. et composés : acariâtreté. 3. Hist. − Le mot apparaît sous sa forme actuelle avec un accent circonflexe ds Rich. 1680 (ex. de Scarron), qui emploie comme vedette la forme acariatre sans accent (cf. aussi Fur. 1701). La forme mod. est empl. régulièrement comme vedette de dict. à partir d'Ac. 1740. Le mot entre dans la lang. au xves. sous la forme aquariastre (cf. étymol.). Pour les échanges entre les graph. c et qu du xiiieau xves., cf. Beaul. t. 1 1927, p. 178. La forme acariastre est empl. comme vedette de dict. de Nicot 1606 à Ac. 1718. (Trév. 1704 sous la vedette acariastre donne des ex. de la forme mod.). Pour la suppression de l's et l'introd. de l'accent circonflexe, cf. abîme. − Rem. Cf. au xvies. la forme accariastre avec redoublement de c (ex. ds Hug.). Étymol. ET HIST. − 1. a) 1493 mal aquariastre « mal qui rend fou » (J. Meschinot, Lunettes des princes, 119, 1890 réimpr. de 1493 ds R. Hist. litt. Fr., I, 183 : Pour tel mal aquariastre, Fault l'emplastre), attest. unique; b) fin xves. « privé de raison, fou (d'un homme) » (Farce du médecin, Rec. de pièces rares, av. 1872, p. 7 ds Fr. mod. IV, 334 : Martin Baudet, si je vous happe, je vous donnerai tant de coups que vous ferai aller tout doux; vous faictes de l'acariâtre); 1690 (Fur. : ... il a aussi autrefois signifié fol); 2. 1524 par affaiblissement « d'humeur aigre, hargneuse (d'un homme) » (Le Pionier de Seurdre ds Quem. t. 1 1959 : Et puis il est acariastre Et hargneux tant que c'est pitié).
Peut-être dér. de Acaire (saint qui passait pour guérir la folie) identifié par G. Paris (Romania, X, 302) avec Acaire, évêque de Noyon et de Tournai (622-637, Gams, Séries épiscop.) identifié par G. Deghilage ds Vie Lang., XLVI, 270 avec Acaire (Aycadrus) 2eabbé de Jumièges, dont le corps a été transporté à Haspres au ixes. (cf. A. de La Halle, Feuillée, éd. Langlois, 322 sqq. : Seigneur, un sires sains Acaires Vous est chi venus visiter... Souvent voi des plus ediotes A Haspre no moustier venir Ki sont haitiés au departir). Dér. prob. due au rapprochement avec acer par étymol. pop. Suff. cf. art. -âtre. Aux sens 1 b et 2 fréq. en relation avec opiniâtre, de même suff. − Hyp. dér. de α
́
κ
α
ρ
ι
ς « sans grâce, désagréable » (Tobler ds Z. rom. Philol., IV, 376) ou du gr. κ
α
́
ρ
α « visage » (Diez 5) incompatible avec le sens des 1resattest. fr. STAT. − Fréq. abs. litt. : 53. BBG. − Bloch (O.). Notes lexicales. Fr. mod. 1936, t. 4, p. 334. − Deghilage (G.). Le Mot acariâtre. Vie Lang. 1956, no51, pp. 270-271. − Tobler (A.). Etymologien. Z. rom. Philol. 1880, t. 4, pp. 373-377 [Cr. Paris (G.). Romania. 1881, t. 10, p. 302]. |