| ABSENT, ENTE, adj. et subst. I.− Sens propre A.− Emploi adjectif 1. Constr. absolue a) [En parlant d'une pers.] Qui n'est pas présent dans un lieu : 1. Pourquoi, avec nos dix doigts, n'en pouvons-nous pas faire autant? Comment ces lignes, mortes comme celles que nos enfants tracent sur le sable du rivage, peuvent-elles redire les paroles vivantes d'un homme absent ou parti dans l'Ouest?
S.-J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,1801, p. 107. 2. Ainsi un nouveau peuple succède au peuple romain absent ou détruit. Les esclaves prennent la place des maîtres, occupent fièrement le forum, et dans ces bizarres saturnales, gouvernent par leurs décrets les Latins, les Italiens qui remplissent les légions.
J. Michelet, Histoire romaine,t. 2, 1831, p. 112. 3. O chers êtres absents, on ne vous verra plus
Marcher au vert penchant des côteaux chevelus,
Disant tout bas de douces choses!
V. Hugo, Les Contemplations,t. 2, 1856, p. 424. Rem. Ds cet ex., absent est appliqué par euphémisme aux morts (cf. absent subst.). 4. L'architecte étant absent, il voulut absolument faire visiter au jeune homme les travaux du calvaire, pour lesquels il se passionnait.
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 174. 5. Ce fut le moment que choisit le châtelain, absent depuis une quinzaine, pour revenir de Paris et quérir les bons avis du notaire de X...
Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 135. − DR. CIVIL. (cf. inf. I B, emploi subst.) : 6. Si le mari est interdit ou absent, le juge peut, en connaissance de cause, autoriser la femme, soit pour ester en jugement, soit pour contracter.
Code civil des Français,1804, p. 42. 7. Les exécuteurs testamentaires feront apposer les scellés, s'il y a des héritiers mineurs, interdits ou absens.
Code civil des Français,1804p. 187. b) [En parlant d'une chose] Qui est non présent, manquant ou presque inexistant : 8. De combien de modifications, de degrés de force et de persistance, ne sont-elles donc pas susceptibles, ces habitudes de l'imagination et du sentiment, selon que l'objet est réel ou chimérique, nu ou enveloppé de nuages mystérieux, simple ou varié, absent ou présent, libre de tout obstacle ou environné de résistances!...
Maine de Biran, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser,1803, p. 106. 9. Il n'a pas assez lu de classiques en sa langue. Pas de rapidité ni de netteté, et il lui manque la faculté de faire voir; le relief est absent, la couleur même a une sorte de teinte grise.
G. Flaubert, Correspondance,1853, p. 158. 10. La composition [de ce tableau] est nulle, le dessin rare, la couleur absente.
Castagnary, Salons,t. 2, 1877, p. 288. 11. L'amour lui-même, qui selon la parole de Fénelon n'est pas fait pour « aimer », mais pour l'« aimé », l'amour peut être dans certains cas la vague anticipation divinatoire d'un objet absent ou inexistant...
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 241. 2. Constr. prép. Absent de a) [En parlant d'une pers.] − [Le compl. est un inanimé] Non présent dans un lieu, dans une situation : 12. Bonaparte avait besoin d'être absent des affaires. Il se cacha dans la gloire comme un ange dans le soleil.
A. de Vigny, Le Journal d'un poète.1829, p. 898. 13. − Il convenait que je fusse absent de votre mariage. Je me suis fait absent le plus que j'ai pu. J'ai supposé cette blessure pour ne point faire un faux, pour ne pas introduire de nullité dans les actes du mariage, pour être dispensé de signer.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 659. 14. En revanche, Pascal, absent de l'autre livre, apparaissait dans celui-ci, à titre de curiosité...
R. Rolland, Jean-Christophe,La Révolte, 1907, p. 523. − [Le compl. est une pers.] Vieilli. Qui est éloigné, n'est plus mêlé à l'existence de qqn : 15. C'est encore une amitié qui me quitte. Il est marié et, partant, absent de moi, quoi qu'il en dise.
G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 413. 16. Je regrette d'être absent de vous, car j'aurais joui de votre orgueil si beau. Vous savez que j'aime ce qui est rare, concentré, précieux, cristallin et total et vous pouvez computer ce que je perds à votre éloignement.
A. Gide, P. Valéry, Correspondance,Lettre de P. V. à A. G., juin 1891, p. 94. ♦ P. anal. : 17. ... il n'est pas d'écrivain mieux occupé des mots que celui qui se propose à tout instant de les pourchasser, d'être absent d'eux ou bien de les réinventer. Ce serait peu encore : d'établir qu'il les a réinventés, d'apporter les preuves de son innocence.
J. Paulhan, Les Fleurs de Tarbes,1941, p. 145. − [Avec, dans la même constr., un compl. de lieu et de pers.] :
18. Inattentive (...) elle [Mmede Burne] devait songer à quelque chose (...) qui l'intéressait encore davantage, ce soir-là, que ses amis. Elle fit des frais cependant mais (...) elle les faisait par devoir (...) visiblement absente d'elle-même et de sa demeure.
G. de Maupassant, Notre cœur,1890, p. 314. 19. Elle m'aime pour ce qui me manque. Absent comme je le suis de tout et même de moi, je lui change tout ce qui la tient prisonnière en fumée.
J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 103. Rem. 1. L'absence traduit soit une non-présence qui est gén. phys. mais qui peut être aussi fictive (ex. 14); l'absent étant celui qui n'est pas mentionné; soit une non-participation (ex. 12). 2. Absent de + subst. animé est proche du sens fig. 1. b) [En parlant d'une chose] Non présent dans, avec une idée de non-existence : 20. [le noir] est complètement absent des
œuvres de Monet qui sont très souvent des effets de clair sur clair,...
C. Mauclair, Les Maîtres de l'impressionnisme,1904, p. 29. B.− Emploi subst. masc. ou fém. Personne absente : 21. Tous les deux crurent que ce qu'ils avoient tant aimé, ne pouvoit être insensible à leur souvenir; ils ne purent concevoir que ces absents si regrettés, toujours vivants dans leurs pensées, eussent entièrement cessé d'être; qu'ils ne se réuniroient jamais à cette autre moitié d'eux-mêmes.
F.-R. de Chateaubriand, Essai historique, politique et moral sur les Révolutions,t. 2, 1797, p. 289. 22. L'oubli! Comment ce mot est-il si doux!
Il faut compenser l'absence par le souvenir.
La mémoire est le miroir où nous regardons les absents.
J. Joubert, Pensées, essais, maximes et correspondance, t. 1, 1824, p. 188. 23. Combien de fois, revenant, le soir, des quartiers bruyants avec l'aimable ami, confident trop complice de mes détestables progrès, sur ce Pont-des-arts, alors tout nouveau, où nous nous séparions, je m'écriai en lui désignant l'absente : « ah! c'est elle, c'est elle encore que j'aime le mieux, et qui saurait le mieux aimer! »
Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 77. 24. − Le bonheur! C'est le grand absent dont chacun parle comme s'il le connaissait de vue!
E.-M. de Vogüe, Les Morts qui parlent,1899, p. 63. Rem. Par euphémisme on désigne par absents les morts (ex. 21). L'absent peut être un inanimé personnifié (ex. 24). Remarquer la valeur affective du subst. − DR. CIVIL. Juridiquement ,,l'absent est celui qui, éloigné de sa résidence habituelle, a cessé de donner de ses nouvelles depuis un temps assez long pour que son existence soit devenue incertaine. Par opposition à l'absent proprement dit, on qualifie de non-présent celui qui n'est présent ni à son domicile ni à sa résidence, sans que son existence soit incertaine.`` (Dalloz, Nouveau répertoire de droit, 1962, s.v. absence) : 25. 125. La possession provisoire ne sera qu'un dépôt, qui donnera à ceux qui l'obtiendront, l'administration des biens de l'absent, et qui les rendra comptables envers lui, en cas qu'il reparaisse ou qu'on ait de ses nouvelles.
126. Ceux qui auront obtenu l'envoi provisoire, ou l'époux qui aura opté pour la continuation de la communauté, devront faire procéder à l'inventaire du mobilier et des titres de l'absent, en présence du commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance, ou d'un juge de paix requis par ledit commissaire.
Code civil des Français,1804, p. 26. − MILIT. Bon absent ,,jeune homme qui, sans excuse valable, ne s'est pas présenté devant le conseil de révision.`` (Lar. encyclop.). − PROVERBES ♦ Les absents ont (toujours) tort : 26. Les climats ardens consument trop vîte les souvenirs. Les dames y portent dans leurs affections un positif désespérant pour nous autres mélancoliques; c'est là que les absens ont tort, et qu'un chiffonnier sentimental serait bientôt relégué au garde-meuble.
V. de Jouy, L'Hermite de la chaussée d'Antin ou Observations sur les mœurs et les usages français au commencement du XIXes.,t. 1, 1811, p. 174. ♦ Les os sont pour les absents : 27. On dit prov. les os sont pour les absens, pour dire que les personnes qui ne se rendent pas à table à l'heure fixe s'exposent à n'avoir que les restes des autres.
J.-F. Rolland, Dictionnaire du mauvais langage,1813, p. 2. II.− Au fig., emploi adj. [En parlant d'une pers., d'une fonction, d'un organe des sens] Qui ne prête aucune attention à une chose ou à une personne qui devrait normalement attirer l'attention; qui révèle ce manque d'attention. 1. Constr. absolue a) [En parlant d'une pers.] : 28. Le malheureux, complètement bouleversé, laisse sa femme commander le souper et absent, étranger aux choses qui se disent, le front tout pâle, penché sur son assiette, fait tourner machinalement, dans son poing fermé son couteau de table, la lame en l'air.
E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1878, p. 1235. Rem. On peut se demander si dans cet ex. absent n'est pas construit avec la prép. à. 29. Vers cette époque, ses amis remarquèrent un changement dans ses manières. Il était souvent distrait, comme absent. Il n'écoutait pas bien ce qu'on lui disait. Il avait l'air absorbé et souriant. Quand on lui faisait remarquer ses distractions, il s'excusait affectueusement.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Nouvelle journée, 1912, p. 1578. b) [En parlant d'un organe ou d'une fonction révélateurs d'un comportement psychol.] :
30. ... et l'esprit tout absent, quoique les yeux ouverts, semblait suivre du cœur des songes dans les airs; ...
A. de Lamartine, La Chute d'un ange,1838, p. 870. 31. ... impassible, presque hautaine, elle écoutait, sans broncher, les paradoxes les plus monstrueux, souriait, l'air absent, les yeux perdus au loin.
J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 35. 2. Constr. prép. a) Absent de + pron. pers. réfl. : 32. Je me remis machinalement à la fenêtre, fort désappointé, et regardant sans voir, comme lorsqu'on a une idée qui vous rend absent de vous-même.
R. Toepffer, Nouvelles génevoises,1839, p. 143. 33. La visite eut lieu comme il avait dit; mais j'étais absent de moi-même. Je me laissai conduire et ramener, je traversai les cours, je vis les classes d'étude avec une indifférence absolue pour ces sensations nouvelles.
E. Fromentin, Dominique,1863, p. 63. Rem. Cf. en outre sup. les ex. 18, 19, 27. b) Absent dans(synon. de absent de).Vieilli : 34. ... il est séparé de l'ensemble des êtres, il n'y a plus de contact; tout existe en vain devant lui, il vit seul, il est absent dans le monde vivant.
E. de Sénancour, Obermann,t. 1, 1840, p. 92. Rem. Dans l'ex. suiv. absent est en constr. absolue, dans votre présence se rapportant à il y a [dans votre présence « malgré votre présence »] : 35. Mon pauvre ami, il y a quelque chose d'absent dans votre présence qui me la rend plus insupportable que votre absence même. Au moins, le vide sera complet.
V. Hugo, Correspondance,1848, p. 494. c) Absent à.Dans ce cas, ce qui est absent est une notion abstr. : 36. Elle [la grandeur de Rimbaud] éclate à l'instant où, donnant à la révolte le langage le plus étrangement juste qu'elle ait jamais reçu, il dit à la fois son triomphe et son angoisse, la vie absente au monde et le monde inévitable, le cri vers l'impossible et la réalité rugueuse à étreindre, le refus de la morale et la nostalgie irrésistible du devoir.
A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 115. Prononc. : [ab̭sɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Enq. : /apsã/, -t/. Étymol. − Corresp. rom. : a. prov. absens; n. prov. absènt, assènt, aussènt; ital. assente; a. esp. absente; esp. ausente; port. absente, ausente; roum. absent.
1296 « qui n'est pas présent » (ds A. Thierry, Monum. de l'hist. du Tiers-État, 1eS., i., 303 ds Barb. Misc. II, p. 94 : Reverent pere Guillaume, par la grace de Dieu eveske d'Amiens, absent...); 1305 « id. » (cité ds Giry, Hist. de Saint-Omer, 449, Delboulle ds Quem. s.v. : Lambert, Bonenfant et Gilles Brot luiz compaignons absens); [ausent, forme pop. 1. 2emoitié du xiies. « qui n'est pas présent » (ms. du xives.) (Vie de Saint Evroult, 3893-3894, texte norm. ds Barb. Misc., II, p. 94 : Quer dan Noël, qui ert abbé, Ausent fu...); 2. xives. « qui manque de (faire une chose), qui est défaillant (pour faire qqc.) », tour le plus souvent négatif, Brun de la Montagne, Richel. 2170, fo51 rods Gdf. : Je croy c'onques nus hons en chemin ne en sentes Ne vit en son vivant II plus belles jouvantes,... L'escu ont enchargié sans faire plus d'atantes, Au porter tout entour ne furent pas ausentes].
Empr. au lat. absēns, -tis (part. prés. pris adj. du verbe abesse) « qui n'est pas présent » dep. Plaute (Rudens, 742 ds TLL s.v., 213, 63; cf. lat. médiév. « id. » ds Mittellat. W. s.v., 64, 39 sq.). Absent forme sav., ausent forme pop. avec vocal. de -b devant consonne; cf. absence et aucence (1318, Cart. de Troarn [Normandie], B. N. I, 10086, fo89 vods Gdf. Compl.), 2 emploi fig. de 1.
HIST. − Stab. sém. de ce mot qui s'est enrichi au cours des siècles tout en conservant ses sens anc. sauf 2 considérés auj. comme vx. A.− Adj. 1. En parlant d'animés « qui n'est pas présent, qui est éloigné de » a) Au propre « éloigné d'un lieu », 1reattest. 1296 (cf. étymol. 1); dans l'anc. lang., le mot semble avoir un sens assez large; il connaît une restriction au xviieet xviiies. (Fur. 1690 − Ac. 1798) : « Qui est éloigné du lieu de sa résidence ordinaire ». − « Éloigné, séparé de qqn » spéc. dans le vocab. galant (xvieet xviies.); sens disparu : Par le moyen de la nostre amystié Qui veut aussi que la moytié je sente Du deuil qu'aurez d'estre de moy absente. Marot, Élégies, 3 (Hug.). b) Au fig. « distrait, inattentif », emploi toujours vivant : Son esprit est quelquefois absent. Ac. 1798. 2. En parlant d'inanimés « qui manque, inexistant », xviies. mais ne figure pas dans la lexicogr. entre Rich. et Besch. : Dangers absents. Rich. 1680. B.− Subst. (de Nicot 1606 à nos jours) : 1. Lang. jur. : − 1752 « celui que l'on ne trouve point et de qui on fait le procès par contumace » (Trév.); ce sens a évolué (cf. sém.). 2. Lang. milit. (cf. sém.). 3. Expr. proverbiales : a) Les os sont pour les absents, de Fur. 1690 au xixes. (cf. sém.); b) Les absents ont toujours tort, de Ac. 1718 à nos jours. STAT. − Fréq. abs. litt. : 2 263. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 2 920, b) 3 826; xxes. : a) 2 749, b) 3 420. BBG. − Barr. 1967. − Bouillet 1859. − Dupin-Lab. 1846. − Réau-Rond. 1951. |