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ABRUTI, IE, part. passé, adj. et subst.
I.− [En parlant d'une pers.; la cause de l'abrutissement est indiquée par un compl. ou par le cont.; emploi princ. part.] Dont les qualités typiquement humaines (physiques, morales et surtout intellectuelles) ont été gravement diminuées :
1. Ce n'étoit plus ces enfants de Brutus, qui maudissoient le grand Pompée pour avoir fait combattre de paisibles éléphants! C'étoient des hommes abrutis par la servitude, aveuglés par l'idolâtrie, et chez qui toute humanité s'étoit éteinte avec le sentiment de la liberté. F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs ou Le Triomphe de la religion chrétienne,t. 3, 1810, p. 243.
2. ... il se sentait si troublé que, s'il avait essayé de se lever il serait tombé sur place assurément. Il demeurait immobile, abruti d'étonnement et de souffrance, d'une souffrance naïve et profonde. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Petit soldat, 1885, p. 192.
3. ... il [Parent] se sentait étourdi, abruti, fou, comme s'il venait de choir sur la tête. G. de Maupassant, Monsieur Parent,1885, p. 11.
4. Mais elles ... venaient à nous du fond du café maure, lentement, la tête haute, abruties par l'étourdissant et continuel frappement des tambours funèbres ... F. Jammes, Le Roman du lièvre,1903, p. 282.
5. Une aristocratie gâteuse, abrutie par les clubs, prostituée aux Américains et aux Juifs, qui, pour prouver son modernisme, s'amuse du rôle insultant qu'on lui prête dans les romans et les pièces à la mode, et fait fête aux insulteurs. R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 765.
6. Il avale d'un coup le remède sans qu'abrutie de chaleur, Thérèse ait songé à l'avertir qu'il a doublé sa dose habituelle. F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux,1927, p. 238.
7. ... Honoré s'arrêta et l'on fit cercle autour de lui. Il tira la lettre un peu froissée d'être restée trois jours dans sa poche, la déploya sous les yeux du vétérinaire abruti de respect. M. Aymé, La Jument verte,1933, p. 303.
8. Quand dix hommes vous assomment, la chair abrutie ne réagit plus. On n'est plus que matière. M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 93.
9. Tous ces êtres semblaient avoir été pris tellement à l'improviste par les événements, qu'ils se sentaient surtout désaxés, abrutis; effrayés peut-être, sous leur hâblerie; mais résignés, ou bien près de l'être. R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 508.
10. ... cet aspect de bagnards abrutis par la trique et la terreur, qu'ils n'ont pas pu prendre en quelques jours de captivité, qu'ils cachaient sous leurs airs bien cirés. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 417.
Rem. a) Les causes de l'abrutissement peuvent être : le bruit (ex. 4), la chaleur excessive (ex. 6), des sévices corporels (ex. 10); une émot. ou un sent. ressentis trop violemment, y compris le respect (ex. 7) ou l'étonnement (ex. 2). On trouve l'adj. abruti en série avec des synon. tels que aveuglé (ex. 1), désaxé (ex. 9) ou même gâteux (ex. 5) et étourdi ou fou (ex. 3). b) L'emploi du mot matière (ex. 8) pour résumer tous les aspects de l'abrutissement atteste que l'image de la bête brute n'est plus spontanément sentie.
II.− Fam. Superlatif de stupide.
A.− Emploi adj. [En parlant d'une pers. ou de l'aspect notamment du visage d'une pers.] :
11. ... il paraît que le vent tourne à la bêtise générale. Avec ça je deviens aussi de jour en jour plus stupide et plus abruti. G. Flaubert, Correspondance,1842, p. 12.
12. ... vous savez que je suis un grand-père vrai, c'est-à-dire abruti et imbécile d'adoration pour ces chers petits êtres qui commencent quand nous finissons. V. Hugo, Correspondance,1873, p. 344.
13. Moi, j'étais transportée, et quelquefois je lui disais : « Voyons Rimbaud, dites, tout de même, vous ne trouvez pas cela beau; » Mais lui ne me disait rien et il me regardait de son œil abruti. P. Claudel, Partage de midi,version pour la scène, I. 1949, p. 1069.
Rem. Dans l'ex. 12 abruti et imbécile sont hyperboliques et mélioratifs. Le mot est habituellement péj., et s'associe fréquemment à stupide (ex. 11).
B.− Emploi subst. Personne tout à fait stupide :
14. ... discours grossiers, communs, remplis de clichés, mais toujours pleins d'à-propos, de convenance avec l'intelligence des abrutis auxquels il parle, discours du bon enfant de Paul de Koch devenu homme d'État. E. et J. de Goncourt, Journal,août 1864, p. 67.
15. Chaillot (ahuri, abruti de). Celui qu'un rien étonne, sorte d'idiot. L. Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien,L'Argot ancien et moderne, 1878, p. 76.
16. ... − abruti! C'est malin ce que tu as inventé là! de faire endosser ton chèque par un maladroit qui n'a même pas de passeport et que je vais devoir tenir à l'œil. A. Gide, Les Caves du vatican,1914, p. 807.
Rem. En constr. exclam. (ex. 16), abruti est, suiv. le ton ou le cont., plus ou moins fortement injurieux; précédé de espèce de, l'injure devient vulg.
Stylistique − Désignant une altération brutale, ou une dégénérescence plus lente de l'esprit, les termes de la fam. abrutir sont fortement dépréc. Cette nuance est particulièrement sensible dans l'emploi du part. passé substantivé abruti, dont la vitalité est très grande dans la lang. parlée comme terme d'injure, dans des expr. souvent exclam. (cf. abruti ex. 16, ainsi que dans des emplois du type ,,espèce d'abruti!``, ,,en voilà un abruti!`` etc.). Parfois, l'apparition de ce terme est liée à l'évocation douloureuse de l'altération qu'il suggère (cf. abruti ex. 2, 4, 6, 8, 10). D'autres fois il est empl. par exagér. ou de façon plaisante (cf. abruti ex. 12). Abruti est attesté dans des dict. d'arg. (cf. H. France 1907, p. 2, qui explique d'une part l'orig. de l'expr. anc. abruti de Chaillot (cf. ex. 15) et qui signale également que le mot désigne dans l'arg. des écoles « un élève assidu qui s'abrutit dans l'étude »). On ne sera pas étonné que les poètes se permettent des écarts plus ou moins poussés par rapport aux usages cour. : 17. Je travaille presque nuit et jour, je vogue en pleine poésie, je suis abruti par l'azur; de là mon silence, cher poète, mais je vous aime. V. Hugo, Correspondance, 1855, p. 205. 18. ... quelque chose comme un oiseau remue un peu à son ventre serein comme un monceau de tripe! Autour, dort un fouillis de meubles abrutis dans des haillons de crasse et sur de sales ventres; des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis aux coins noirs : des buffets ont des gueules de chantres... A. Rimbaud, Poésies, Accroupissements, 1871, p. 93.
Prononc. : [abʀyti]. Enq. : /abʀyti/.
Étymol. ET HIST. − Part. passé de abrutir, adjectivé et substantivé dep. Besch.; l'emploi subst. est considéré comme fam. (cf. H. France 1907, s.v. : abruti, élève assidu qui s'abrutit dans l'étude; arg. des écoles) ou injurieux.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 424. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 249, b) 698; xxes. : a) 897, b) 676.