| ABOYEUR, EUSE, subst. et adj. I.− [En parlant d'un animal ou d'une pers.] Qui aboie ou pousse des cris semblables à l'aboiement. A.− CYNÉGÉTIQUE. [En parlant du chien de chasse] Qui aboie à la vue du sanglier, sans s'en approcher (cf. Ac. 1835) : Rem. L'Encyclop. t. 1, 1751 définit ainsi aboyeur : ,,c'est ainsi qu'on nomme des chiens qui annoncent la présence ou le départ du sanglier, ou d'une autre bête chassée, qui ne manquent jamais de donner à sa vue et d'avertir le chasseur``. Trév. 1771 distingue parmi les chiens les aboyeurs, les trouveurs, les veneurs, les muets (cf. chacun des voc.). − Emploi adj. Des dogues aboyeurs. ,,Rien n'empêche d'employer aboyeur au fém. : aboyeuse.`` (Littré). Rem. Dogue aboyant (cf. aboyant) est plus fréq. 1. L'aboyeuse Gorgô vole et grince des dents
Par la plaine où le sang exhale ses buées.
Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes barbares,Le Combat homérique, 1878, p. 45. 2. ... les moutons ondulent, pourchassés par des chiens aboyeurs...
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 375. B.− ORNITH. ,,Nom usuel d'un oiseau du genre chevalier, dit aussi « chevalier gris », dont le cri a quelque rapport avec l'aboiement du chien.`` (Besch. 1845). C.− P. ext. [En parlant de pers. gagnant leur vie par des cris] Qui lance des cris semblables à un aboiement, qui fait le boniment : 3. Terme de mépris. Nom que l'on donne aux crieurs des rues, et qui servoit, pendant la Révolution, à désigner les esprits exagérés, que les chefs de parti mettoient en avant pour exciter le peuple à l'insubordination et à la révolte.
J.-F. Rolland, Dict. du mauvais langage,1813, p. 2. 4. ... les remords du connétable de Bourbon n'exciteraient pas moins l'intérêt et l'admiration du peuple, qui ne connaît les noms célèbres de notre histoire que parce que les héritiers des hommes qui les ont illustrés se font appeler quelquefois par les aboyeurs à la porte de nos spectacles.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 5, 1814, p. 269. 5. ... les détenus, dits aboyeurs, qui appellent les autres détenus au parloir, se font payer deux sous par le prisonnier pour crier son nom distinctement. C'est un vol.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 588. 6. Aboyeur : Commissionnaire appelant les voitures au départ du champ de courses. − « Les aboyeurs malins connaissent leur personnel. » (Paffon [lire Laffon], [18]80).
Larch.1872, p. 2. 7. Employé chargé d'avertir et d'appeler les acteurs en scène... Sa façon d'appeler sur un ton généralement aigu et d'une voix monocorde ressemble souvent à un aboiement, d'où le surnom.
A. Génin, Le Langage des planches,1911, p. 9. 8. Aboyeur, m., Sous-officier (Et « tout type qui commande et crie tant soit peu »; 40eart., oct. 1918).
Esn.Poilu1919, p. 229. 9. Il y avait quelqu'un qui, ce soir-là comme les précédents, pensait beaucoup au duc de Châtellerault, sans soupçonner du reste qui il était : c'était l'huissier (qu'on appelait dans ce temps-là « l'aboyeur ») de Mmede Guermantes.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 634. − Syntagmes styl. : ♦ Aboyeuse de guillotine : 10. ... ces furies qu'... on appelait (en 1793) les aboyeuses de guillotine... (payées pour) suivre les charrettes... (et) accabler ces malheureux d'injures et d'imprécations, pour éviter que le peuple s'émût en leur faveur.
Sir P. Robert, Mystères du Palais-Royal,1845, II, p. 6. ♦ Aboyeurs de journaux : 11. Mardi 23 janvier. Je me rends au dîner du Temps, au milieu des vociférations d'aboyeurs de journaux, criant la démission du ministère.
E. et J. de Goncourt, Journal,1883, p. 228. ♦ Aboyeur de trottoir : 12. Aboyeur de trottoir : Les camelots qui aboient les journaux, le cours de la Banque et de la Bourse, cinquante chansons nouvelles pour un sou.
Ch. Virmaitre, Dict. d'argot fin de siècle,suppl. 1899, p. 10. D.− Au fig. Fam. [En parlant de pers.] Qui harcèle de cris, de criailleries importunes : 13. Hier.
− Gavarni nous avait dit qu'il y avait une belle chose à faire : une série contre le prêtre; que cela était difficile, qu'il ne fallait pas avoir l'air d'être de la bande des oppositionnistes et des aboyeurs ...
E. et J. de Goncourt, Journal,1853, p. 107. 14. Ces phénix-là, qu'ils se lèvent! Aucun d'eux, j'en suis sûr, ne décrochera le soleil! on les a vus à l'œuvre, ces aboyeurs, ces dévorants. Si le piqueur qui les a si souvent fouaillés n'est plus là, nous y sommes encore, et por dios! On apprendra que nous avons aussi, nous, tout ce qu'il faut pour tenir un fouet et pousser les chiens au chenil!
L. Cladel, Ompdrailles,1879, p. 85. 15. Elle invita le directeur du journal qui menait la meute des aboyeurs;...
R. Rolland, Jean-Christophe,Les Amies, 1910, p. 1240. Rem. Ac. 1835 donne les ex. suiv. : ,,Ce créancier est un dangereux aboyeur. Ce critique n'est qu'un aboyeur. Un aboyeur fatigant. Il est fam. dans les deux accept.`` E.− Arg. [En parlant d'une arme] Qui par son bruit rappelle l'aboiement du chien : 16. Aboyeur, s. m. pistolet revolver. Faisons bamboche et si les flics nous emmouscaillent, nous sommes parés, ils seront reçus à coups d'aboyeur.
Nouguier, Notes manuscrites au dictionnaire de Delesalle,10-01-1900, p. 3. 17. Le canon de 75, à lui seul, est tour à tour, − d'après son bruit l'aboyeur, le râleur, le roquet, − ...
A. Dauzat, L'Argot de la guerre,1918, p. 74. II.− Vx. Celui qui désire, qui poursuit ardemment une chose. Stylistique − Aboyeur regroupe tous les sens partic. de aboyer, de aboi et de aboiement et se dit, en dehors du domaine de la chasse, de tout être ou de toute chose susceptible d'émettre un son ressemblant à celui du chien. Il peut à la fois, grâce à la valeur du suffixe -eur, caractériser une fonction, le propre des aboyeurs étant de solliciter l'attention par des cris (ex. 3 à 12) et une forme de conduite importune (ex. 13 à 15).− ,,Un aboyeur d'emplois, de bénéfices. Ce sens a vieilli.`` (Ac.1835). − ,,Un aboyeur de places. Un aboyeur de successions. Un aboyeur de fortunes.`` (Besch.1845). Prononc. : [abwajoe:ʀ], fém. [abwaj:øz]. ÉTYMOLOGIE
I.− 1. 1327 « celui qui proteste avec énergie » emploi fig. (Je qui premièrement avoye esté abayeur amer à l'encondre de tes lettres emmielees de miel du ciel. Jehan de Vignay, Mir. hist. XIX, 75 (éd. 1531) ds R. Hist. litt. Fr. I, p. 180); 2. 1387 « celui qui aboie (d'un chien) » (Chiens d'oyseaulx sont rioteurs et grans abayeurs. G. Phebus, La Chasse, 114, éd. Lavallée ds R. Hist. litt. Fr. I, p. 180).
II.− 1250-70 « celui qui désire, qui convoite » (Will. Li Viniers, Rom. et Past., Bartsch, III, 31, 43 ds Gdf. : Fouchier, pour vostre bon pris Avés conquis Ma bone amour entiere; Mais s'avec moi vout set Guis, Tost m'en iert pis, Quar c'est uns abaiere).
I, dér. de aboyer*; II, dér. de l'a. fr. abéer « désirer vivement » (xiiies. ds T.-L.) < lat. batāre « être ouvert », devenu abayer, aboyer, par attraction de aboyer*; suff. -eur*.
HIST. − Apparaît en a. fr. sous les formes masc. abayeur (var. graph. abbayeur) et aboieur (var. graph. abboyeur et aboyeur), fém. abaeresse (fr. mod. aboyeuse). − Rem. 1. La distinction entre l'adj. et le subst. est second., l'emploi subst. l'emporte de beaucoup et dès les orig. mais l'emploi adj. peut toujours resurgir; cf. Littré s.v., 5o(Adjectivement. Des dogues aboyeurs) et sém. ex. 1, 2. 2. La distinction entre le masc. et le fém. tant pour le subst. que pour l'adj. est elle aussi second.; l'emploi masc. l'emporte de beaucoup, mais l'emploi fém. est toujours possible : cf. Littré et, pour l'adj. Renart (ds Littré) et sém. ex. 1, pour le subst., Besch. 1845. A.− Sém. sens II (homon. aboyeur 2, « celui qui désire ardemment qqc. »). 1. xvies., comme pour le verbe, existence réelle et distincte : Cet héritier... divertit les desseins de ces abayeurs de successions. Du Vair, Arrests prononcez en robe rouge, 1 (Hug.). 2. Aux xviieet xviiies. le mot a plus ou moins d'existence et s'est, en tout cas, confondu avec aboyeur 1 dont il est pris pour une simple accept.; cf. les séries Ac. et Trév. où la meilleure présentation est celle de Trév. 1771 : On le dit aussi figurément, dans le même sens qu'aboyer, de ceux qui crient, qui pressent avec importunité et de ceux qui désirent et poursuivent ardemment une chose. Voilà bien des aboyeurs. Il y a des aboyeurs à ses côtés. Ablanc[ourt]. Un aboyeur de bénéfices. 3. Au xixes., non seulement le mot n'a toujours d'existence qu'à l'intérieur de aboyeur 1 (cf. Besch. 1845 s.v. fig. 1 ou Littré s.v. 2) mais encore il vieillit et même disparaît; cf. de ce point de vue la succession : a) Trév. 1771 qui, tout en faisant 2 accept. d'un aboyeur unique, donne les 2 « mots » sur un pied d'égalité; b) Ac. 1835 qui (dans la même présentation) note le vieillissement du 1er; et c) Ac. 1878 qui le supprime purement et simplement : Il s'emploie au figuré, et signifie, Celui qui désire, qui poursuit ardemment une chose. Un aboyeur d'emplois, de bénéfices. Ce sens a vieilli. Il signifie plus ordinairement, Celui qui fatigue par des criailleries importunes, par des injures. Ce créancier est un dangereux aboyeur. Ce critique n'est qu'un aboyeur. Un aboyeur fatigant. Il est familier dans les deux acceptions. (Ac. 1835 pour les 2 paragraphes et Ac. 1878 pour le second seul). 4. Au xxes. le mot a disparu en tant que tel et en tant qu'accept. de aboyeur 1; cf. son absence même ds Rob. B.− Sém. sens I. 1. Au propre (aboyeur en parlant d'un chien). a) Caractère parmi d'autres : le mot est alors surtout adj. (ex. ce chien est aboyeur, comme on dit ce chien est méchant) avec fém. possible (cette chienne est aboyeuse). Vu que l'énoncé n'est pas d'un grand intérêt, les attest. manquent : − 1reattest. dans la docum. disponible : Des dogues aboyeurs. (Littré). − Rem. Fém. plus anciennement attesté : Se l'une estoit maistre abaeresse, Et l'autre maistre lecharesse [gourmande], Moult furent bien les deux d'un cuer. xiiies., Renard (Littré). − L'ex. très anc. d'étymol. 2 (1387, chiens d'oyseaulx sont grans abayeurs) n'est guère éloigné de cet état; de même : Un chien qui est grand aboyeur est fort importun. (Fur. 1690 puis Ac.). b) Caractère essentiel : aboyeur est alors subst. (c'est là l'emploi le plus intéressant et donc le plus attesté). Plus le caractère est donné comme essentiel, plus la substantivation est poussée et c'est ainsi que, − faute de pouvoir désigner une race de chien dans l'espèce canine −, le mot en est cependant arrivé à désigner une sous-catégorie dans la catégorie des chiens de chasse; cf. apr. étymol. 2 : − xvies. : Ils chassent seulement avec la arquebuse ou arbalestre et l'abboyeur. Carloix, IV, 12 (Littré). − xviies. : Là l'on voit la biche légère, Loin du sanguinaire aboyeur. Racine, Poés. div., ode 3 (DG). On appelle abboyeurs une sorte de chiens pour le sanglier qui abboyent devant luy sans l'approcher. Fur. 1690. Cet homme a un bon abboyeur pour le sanglier, pour le loup. Ac. 1694. − xviiies. cf. déf. de Trév. et Ac. reprenant celle de Fur. − xixeet xxes. cf. Ac. 1835 à 1932, Besch. 1845, Littré, Rob. 2. P. ext. au fig. Par ordre d'apparition : a) En parlant d'un homme (interférences avec aboyeur 2, cf. sup. A). − Caractère parmi d'autres : dep. 1327 (cf. étymol. 1), cf. aussi : Abbayant, abbayeur, qui crie contre aucun. Duez (Gdf.). Il se dit figurément des hommes qui crient, qui pressent avec importunité. Voilà bien des Abboyeurs. Ac. 1694. Perman. jusqu'à sém. ex. 13 à 15. − Rem. Au fém. : Aboyeuse se dit au fig. et famil. d'une femme méchante qui a toujours l'injure à la bouche ou qui se donne beaucoup de peine pour solliciter, pour intriguer. Besch. 1845. − Caractère essentiel : progressivement le mot finit par désigner une catégorie d'hommes, en l'occurrence un métier (cf. sup. B 1 b processus identique pour le chien). . D'abord et surtout aboyeur « journaliste » et « crieur de journaux », dep. le xviiies. d'apr. Dauzat 1964 : « journaliste » : Ce critique n'est qu'un aboyeur. Ac. 1762. Une foule d'aboyeurs, doués d'un esprit médiocre et d'une rage incurable, servent le ministère au-delà de ses espérances. 1782, Mercier, Tabl. de Paris, 8, 128, ch. 629 (Quem. t. 1, 1959). Ce journaliste n'est qu'un aboyeur. Lav. 1828. « crieur de journaux » : Les Aboyeurs ou crieurs de journaux (« en 1792 parti de ceux qui « aboient » à la guillotine », d'ap. HLF, 9, 837 n ds Quem. t. 1, 1959). Cf. aussi Besch. 1845. Littré et sém. ex. 3, 4, 11. − Rem. Au fém. : Se dit d'une femme qui vend dans les rues des complaintes et des nouvelles. Besch. 1845. . Puis divers : aboyeuse de guillotine : 1792 (sém. ex. 10); « crieur de voiture » : 1814 (art. sém. ex. 6), et : Se dit d'une espèce de crieur volontaire qui se tient à la porte des théâtres au moment de la sortie pour appeler les voitures et avertir les maîtres de leur arrivée. Besch. 1845; « sorte d'huissier de parloir dans les prisons » : 1862 (sém. ex. 5); « bonimenteur à l'entrée d'une salle de spectacle » : 1900 (DG); « sous-officier » : 1919 (sém. ex. 8); « huissier de justice » : 1922 (sém. ex. 9). b) En parlant d'un animal autre que le chien : aboyeur en ornith., d'apr. le caractère essentiel de l'oiseau (cf. sup. B 1 et B 2 a processus identique pour le chien et l'homme) : 1reattest. Besch. 1845. c) En parlant d'un obj. − Même processus aboutissant à aboyeur, arg., « canon » dep. la Grande Guerre (sém. ex. 17) et à aboyeur, arg., « pistolet, revolver », xxes. (sém. ex. 16). − Rem. Ces ext. (sauf b) sont fam. et certaines arg. Elles sont donc quelque peu éphémères. Pour la plupart on trouve des équivalents actuellements plus vivants. STAT. − Fréq. abs. litt. : 30. BBG. − Bouillet 1859. − Littré-Robin 1865. − Mots rares 1965. − Privat-Foc. 1870. − Tondr.-Vill. 1968. |