| ABORTIF, IVE, adj. MÉD. et BOT. Sert d'adj. au verbe avorter. A.− Emploi factitif (méd., pharmacologie). [En parlant d'une manœuvre, d'un traitement, d'un remède, d'un médicament, d'une drogue] Qui fait avorter. − Au fig. : 1. Voyant sur les boulevards les marronniers qui, plongés dans un air glacial et liquide comme de l'eau, n'en commençaient pas moins, invités exacts, déjà en tenue, et qui ne se sont pas laissé décourager, à arrondir et à ciseler, en leurs blocs congelés, l'irrésistible verdure dont la puissance abortive du froid contrariait, mais ne parvenait pas à refréner la progressive poussée − je pensais que déjà le Ponte Vecchio était jonché à foison de jacinthes et d'anémones...
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 31. − Emploi subst. [avec ell. du subst. médicament ou remède]. Un abortif. B.− Emploi passif. [En parlant d'une maladie] Dont le développement normal a été arrêté : Stylistique − Tous les emplois, à l'exception de l'emploi adj. A sont auj. vieillis (cf. hist.). Dans l'ex. qui suit de Laforgue, l'emploi est à la fois actif et passif, le terme désignant soit un être faisant avorter « les œufs de myriades d'animalcules », soit un « avorton de pape » élu suivant une procédure sommaire :
4. Lune, papa abortif à l'amiable, pape
Des mormons pour l'art, dans la jalouse Paphos
Où l'état tient gratis les fils de la soupape
D'échappement des apoplectiques cosmos!
C'est toi, léger manuel d'instincts, qui circules,
Glaçant après les grandes averses, les œufs
Obtus de ces myriades d'animalcules
Dont les simouns mettraient nos muqueuses en feu!
J. Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame la Lune, La Lune est stérile, 1886, p. 258.2. ... elle (la maladie) tourne court et affecte une marche abortive.
G.-H. Roger ds(G.-H. Roger, P. Teissier, F. Widal, Nouveau traité de médecine,1920-1924, p. 86). − Plus spéc., dans le lang. méd. [En parlant d'un enfant mort-né mis au monde avant terme par avortement naturel ou provoqué] . − BOT. [En parlant d'une étamine, d'un fruit à développement incomplet] . − Par fig. de style. L'emploi bot. peut être utilisé pour désigner un avorton humain : 3. ... une longue procession de jours passés les yeux fermés, mène en silence le deuil autour de votre cercueil. À votre côté reposent votre cœur et vos entrailles arrachés de votre sein et de vos flancs, comme on place auprès d'une mère expirée, le fruit abortif qui lui coûta la vie.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 4, 1848, p. 572. − Emploi subst. Un abortif (avec ell. du mot enfant) : dans cet emploi, auj. sorti de l'usage, le mot a concurrencé avorton. Prononc. − 1. Forme phon. : [abɔ
ʀtif], fém. [-i:v]. 2. Dér. et composés : cf. avorter. Étymol. − Corresp. rom. : ital. abortivo.
I.− 1455 « mis au monde avant terme, avorté (en parlant d'un être humain) » (Fossetier, Cron. Marg., fo222 r ds Gdf. Compl. : Eut ung filz abortifz); 1478 « hâtivement réalisé, qui n'a pu atteindre son développement (en parlant d'une chose) », emploi fig. du précédent (Ord. XVIII, 399 ds Gdf. Compl. : Et pour les cuider distraire de nostre obeissance a fait dresser et tenir a Malines, hors nostre royaume, une assemblee et abortif conventicule de gens, qu'il faisoit appeler Parlement et cour souveraine).
II.− 1752 « qui fait avorter » (Trév. : abortif, adj. se dit quelquefois de ce qui a la vertu de produire l'avortement).
1 empr. au lat. abortivus, adj. « né avant terme », dep. Horace (Sat. 1, 3, 45 ds TLL s.v., 120, 33); emploi fig. en lat. chrét. dep. Tertullien, ibid. 39 sq, mais appliqué à des êtres humains; cf. 1169 Lambertus Waterlos, Annal. Cameracenses, p. 552, 3 ds Mittellat. W.s.v., 38, 15 : abortiva quaeque castra illicite constructa. 2 second empr. au lat. abortivus, adj. « qui fait avorter (en parlant d'une pratique, d'une substance) » dep. Pline, Hist. nat., 7, 42, et 24, 18 ds TLL ibid. 57 et 58. − Rem. 1337 faire abboutif (subst.) « avorter » (Arch. nat. JJ. 70 fol. 110b ds Gdf. : laquelle estoit grosse d'anffant et fist abboutif); empr. au lat. abortivum subst. « avortement » (vies. Ps. Ambroise, ds Serm., 24, 8, ds TLL ibid., 66 : nulla mulier potione abortivum procuret).
HIST. − Si le subst. abboutif « avortement » (cf. étymol.) a tôt disparu, l'adj. a évolué dans plusieurs directions : − Abortif, emploi passif : a) apparaît en 1455 (cf. étymol. 1) en parlant d'êtres humains (filz abortifz); b) si l'on n'a pas d'ex. de l'emploi passif pour parler d'animaux, on le constate en revanche pour parler de fruits; c) enfin un emploi fig. « hâtivement réalisé » est attesté (dès 1748, cf. étymol. I). La valeur passive est vieillie ou vieillissante dans les emplois a et b; elle a disparu dans l'emploi fig. c. De abortif passif est sorti tardivement un subst. abortif 1 « avorton » (cf. sém.). − Abortif à valeur factitive « qui fait avorter », dep. 1752 (cf. étymol. II). C'est ce sens second qui est aujourd'hui et de beaucoup le plus vivant (cf. sém. A). De l'emploi factitif de abortif est sorti tardivement un emploi subst. abortif « remède qui fait avorter » (cf. sém. A.).
I.− Disparitions av. 1789. − A.− Emploi fig. du sens passif, apparu en 1478 (cf. étymol. I), terme de la lang. poétique, n'est plus vivant au xviies. : Cette bibliothèque, laquelle sort abortive de mes mains. Du Verdier, Biblioth., préf. [1585], (Gdf.). Le rossignol ne contraint son ramage; Mes vers aussi ne sont point abortifz. Tahureau, Poésies, sonnet 75, [1554], (Hug.). B.− Subst. abboutif « avortement », apparu en 1337 dans l'expr. faire abboutif (cf. étymol., rem.), ne subsiste pas. Dans l'ex. suiv. (xvies.) : Tel enfantement [hors terme] est appelé abortif ou avortement. (Paré, t. II, 624 ds Littré), abortif reste adj. et forme syntagme avec enfantement; il faut sans doute comprendre : enfantement abortif « avortement ».
II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − A.− Sém. A, 1reattest. 1752 (cf. étymol. II), perman. aux xixeet xxes. (cf. sém. A). − Rem. Le subst. abortif 2 « remède qui fait avorter » n'est attesté qu'à partir de Besch. 1845 et subsiste au xxes. (cf. sém. A). B.− Sém. B. 1. Terme de méd., 1reattest. 1455 (cf. étymol. I); peu usité aux xviieet xviiies., il est vieilli au xixes. : − xvies. : Mais nous pauvres et chetifs, Ici n'avons cognoissance Non plus qu'enfans abortifs Du lieu de nostre naissance. Ronsard, Odes, V, v, p. 380, [1550-1555] (Gdf.). Enfantement avortif (cf. sup. I B). − xviies. : Il ne se dit gueres que des plantes (...). On le dit pourtant d'un enfant en cette phrase de l'Écriture : Il voudroit mieux être abortif. Et on s'en sert aussi fort souvent en Medecine. Fur. 1690. − Rem. Absent des dict. de l'Ac. − xviiies. Trév. 1771 signale : Il est de peu d'usage, même comme terme de Méd. − Rem. Le subst. abortif 1 « avorton » n'apparaît qu'au xixes. (Besch. 1845, Guérin 1886 et DG), mais est peu empl.; il est absent de Littré et de Rob. 2. Terme de bot. Attesté au xvies. dans une métaph., est très usité aux xviieet xviiies. et subsiste comme vieilli aux xixeet xxes. : − xvies. : Je ne veux toutesfois qu'un bon esprit se fiche A faire un Anagramme, à faire une Accrostiche D'un travail obstiné : ce sont fruicts abortifs Dont la semence vient des povres apprentifs. Vauquelin de La Fresn., Art poét., I, v. 381 (Hug.). − xviies. : Abortif, ive adj. Qui est venu avant terme, ou qui ne peut pas acquérir la perfection, la maturité. Il ne se dit gueres que des plantes qui ont des fruits abortifs. Fur. 1690. − xviiies. : Qui est venu avant terme (...). Fruit abortif. Il est de peu d'usage. Ac. 1762. Cf. aussi la curieuse déf. de Ac. Compl. 1842 : Abortif (bot.), se dit de certaines plantes dont les fleurs sont très-petites; et d'autres qui représentent incomplètement une figure d'homme. STAT. − Fréq. abs. litt. : 3. BBG. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Littré-Robin 1865. − Nysten 1814-20. |