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ABJURER, verbe trans.
I.− Sens propre, RELIG. Abandonner, par une déclaration formelle et solennelle, une croyance religieuse.
A.− Emploi trans. [Le compl. exprime la croyance] :
1. Pour rester ici, près de votre père, j'ai répudié ma caste, abjuré ma religion, déserté mon drapeau, renié mes frères d'armes... J. Sandeau, Mademoiselle de la Seiglière,1848, p. 317.
2. ... mais le prince Adalbert, qui craint ou la survenance d'un héritier direct ou une révolution qui renverse le trône de Grèce, ne veut pas changer de religion avant de changer d'état, et refuse d'abjurer sa foi avant de tenir sa couronne. E. About, La Grèce contemporaine,1854, p. 220.
3. Puis, elle avait une arrière-pensée, celle de l'instruire dans le dogme catholique et de lui faire abjurer sa religion. P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole, les drames de Paris,t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 292.
4. ... pauvres et durs au travail, ces petites gens, drapiers, tisserands, teinturiers, ont préféré quitter les terres du roi de France que d'abjurer la foi protestante. P. Morand, New York,1930, p. 10.
5. Il n'y a qu'un moyen d'abjurer ce plus grand des maux qui est, tu le sais, d'être protestant, et c'est de devenir catholique, d'épouser triomphalement l'univers dans le cœur de Jésus-Christ. P. Claudel, Un poète regarde la croix,1938, p. 261.
B.− Emploi absolu. [L'idée de croyance est suggérée par le cont.] :
6. ... mais la majorité de la ligue, tout ce qui avait des sentiments modérés, se rangea à l'opinion qu'il fallait sommer Henri de rentrer dans le sein de l'église catholique, apostolique et romaine, et le reconnaître pour maître aussitôt qu'il aurait abjuré et reçu l'absolution des évêques. E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 57.
7. ... mais celui-ci, vêtu de noir et tout près d'être brûlé, a peur et de la voix, du geste, explique, abjure, dément, repousse. J. Michelet, Journal,1844, p. 559.
8. ... Jean-Jacques n'était pas, comme il s'en vantait, citoyen de Genève. (...) Il avait laissé croire que jamais il n'avait renoncé à sa religion. Mais le récit même de la profession de foi était un aveu. Il avait réellement abjuré, et, par conséquent, n'était plus pour Genève qu'un étranger. J. Guéhenno, Jean-Jacques,Grandeur et misère d'un esprit, 1952, p. 111.
Rem. Dans les ex. 1 et 4, l'abjuration relig. est liée à l'abandon d'un groupe soc.; dans les ex. 2, 3, 5, 6, elle s'accompagne de l'adhésion à une autre relig.
Emploi métaph., l'amour étant considéré comme une relig. :
9. Mais briser l'idole qu'on a si tendrement aimée, abjurer le culte de toute sa jeunesse, de sa vie − Ah! Vous qui rompez si aisément des nœuds si sacrés, vous ne devez pas concevoir ce que je souffre, ... G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1794, p. 235.
II.− P. anal. Renoncer à ce que l'on faisait profession de croire ou d'aimer :
10. ... et ce fut une raison suffisante sans doute, non pour abjurer la philosophie, non pour abandonner la cause des peuples, mais pour cesser de porter un nom devenu trop dangereux, et pour quitter des formes qui n'auraient plus servi qu'à réveiller les fureurs des ennemis de la liberté et de la raison. A. de Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'Esprit humain,1794, p. 49.
11. Votre silence de Toul m'a fait abjurer la coquetterie Hé bien! Vos nouveaux torts envers moi me feront chercher à dompter les défauts qui vous ont déplu en moi. G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1794, p. 225.
12. Je romps, j'abjure à jamais tous les nœuds qui m'attachèrent à Lusignan : je vais proclamer ma haine aussi hautement que je proclamai jadis mon amitié, ... MmeCottin, Mathilde,t. 5, 1805, p. 344.
13. Combien de fois se repentir, pour retomber encore; vaincre, pour être ensuite vaincue; abjurer, pour reprendre; pour ressaisir avec une nouvelle ivresse! ... R. Toepffer, Nouvelles génevoises,1839, p. 91.
14. Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie Toute pensée, et quant à la vieille ironie, L'amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus. P. Verlaine, Poèmes saturniens,Melancholia, L'Angoisse, 1866, p. 65.
15. Il me semblait alors que j'étais né pour une sorte inconnue de trouvailles; et je me passionnais étrangement dans ma recherche ténébreuse, pour laquelle je sais que le chercheur devait abjurer et repousser de lui culture, décence et morale. A. Gide, L'Immoraliste,1902, p. 457.
16. Quand l'homme abandonne à son geste la mission que son esprit renie, il ne l'abjure pas, il la passe à son servant, comme il passe la vie à son corps dans le sommeil. J. Giraudoux, Sodome et Gomorrhe,1943, II, 7, p. 132.
Stylistique − 1. Ce verbe, très chargé d'affectivité, et son compl. se prêtent à toutes sortes d'emplois styl. dont voici qq. ex. : a) Emploi métaph. du verbe, l'amour étant considéré comme une relig. (ex. 9, 13). b) Le compl. peut désigner : P. méton., un nom de chose : 17. « O ma fille, mets un terme à mes craintes et à mes malheurs! Abjure des autels qui t'exposent sans cesse à de nouvelles persécutions; reviens au culte de ton père ... » F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs ou le Triomphe de la religion chrétienne, t. 3, 1810, p. 217. 18. Les rues boueuses de Paris qu'elle avait abjurées la rappelaient-elles? H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 1848, p. 55. P. anal. et p. ellipse, une entité ou une pers. obj. d'un culte ou d'une estime quasi relig. De là l'emploi pronom. avec valeur : . de passif : 19. Mais cette différence entre la Sologne et les autres pays incultes que j'ai vus prouve bien quelque chose. La nature ne s'abjure jamais quand elle est féconde, ... G. Sand, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 290. . ou de réfléchi : 20. Le grain, l'innocent fils de la terre, la poudre du grain, pâle, inodore, insipide, à peine perceptible aux sens, sont encore trop matériels; ils n'approcheront de l'homme qu'en s'abjurant eux-mêmes, et en n'existant plus que comme esprit. J. Michelet (Besch. 1845). Rem. Besch. 1845 propose le sens « se dépouiller de sa manière d'être, se purifier »; cf. l'ex. 21 où s'abjurer signifie « renoncer à soi, à sa dignité » : 21. L'homme ne s'abjure jamais. On ne peut se soumettre et s'immoler ainsi comme domestique qu'à la condition d'être le maître en réalité un jour ou l'autre; ... G. Sand, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 439. P. ellipse, une maison, une institution. Abjurer (la doctrine de) : 22. Le duc de Chevreuse, bien qu'il eût abjuré Port-Royal à la cour, restait digne du moins de ses maîtres par la vertu et par le cœur. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 491. 2. Le terme abjurer s'oppose fréquemment aux verbes renoncer et renier (cf. ex. 1, 8, 14, 16) : . renoncer s'emploie tantôt en bien, tantôt en mal, et désigne gén. un bien qu'on recherche avec qq. peine. L'action est moins publique ou moins solennelle que dans abjurer; . renier se prend en mauvaise part (aller contre la vérité et, p. ext., se séparer honteusement de qqc.); . abjurer est, suivant le cont., laud., neutre ou péj. (cf. hist.). Pour cette dernière valeur : 23. Je n'ai jamais vu personne mourir pour l'argument ontologique. Galilée, qui tenait une vérité scientifique d'importance, l'abjura le plus aisément du monde dès qu'elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. A. Camus, Le Mythe de Sisyphe, 1942, p. 15. 24. Et ceux-là qui demeuraient libres étaient ceux-là même qui abjuraient et qui trichaient. Car souviens-toi de ma parole : quelle que soit la civilisation du gendarme et quelle que soit la tienne, seul tient devant le gendarme, s'il détient pouvoir de juger, celui qui est bas. A. de Saint-Exupéry, Citadelle, 1944, p. 815.
Prononc. − 1. Forme phon. : [abʒyʀe], j'abjure [ʒabʒy:ʀ]. Enq. : /abʒyʀ/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abjurateur, abjuration, abjuratoire. Cf. jurer.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov. abjurar; n. prov. ajura; ital. abiurare; esp. abjurar; cat. abjurar; roum. abjura. 1. Ca 1327 « rejeter par serment l'autorité de qqn » (Jean de Vignay, Miroir hist., 26, 51, éd. 1531; Delboulle; Quem. : a. l'empereur) et 1616-20 (Aubigné, Hist. univ., X, 22 ds Hug. : a. le roi d'Espagne); 2. 1611 « renoncer avec serment » (Cotgr. : to abiure, forsweare); d'où ultérieurement, terme relig. « renoncer à sa religion »; 3. 1611 « nier avec serment » (Cotgr. : denie with an oath). Empr. au lat. abjurare « nier qqc. avec serment », dep. Plaute (Rudens, 14 ds TLL s.v., 102, 16), d'où 3. S'emploie en lat. chrét. avec un nom de pers. comme obj. (post 465, Maximus ep. Taurinus, Homelia, 28, Migne, 57, 287 ds TLL s.v., 102, 48 : hunc regem Judaea infidelis abjurat); fréq. emplois similaires en lat. médiév. (1096, Frutolfus, Chronicon, p. 208, 2 ds Mittellat. W. s.v., 27, 67 : qui ab imperatore jamdudum abjuraverat), d'où 1. Le sens 2 est attesté en lat. chrét. (Ambroise, De Jacob, 2, 10, 44 ds TLL s.v., 102, 43 : non abjurabo... instituta majorum) et les corresp. sont fréq. en lat. médiév. (1076, Bernoldus Constantieus, Chronicon, p. 433, 2 ds Mittellat. W. s.v., 28, 4 : obedientiam ... papae exhibendam; cf. surtout 1079, Bertholdus, Annales, p. 317, 42, ibid. 28, 1 : heresim). La date tardive de la 1reattest. fr. s'explique par l'usage ant. de forjurer, reneier, parjurer. HISTORIQUE I.− Sens disparus av. 1789. − A.− « rejeter par serment l'autorité de qqn », 1ersens du mot attesté en fr. (ca 1327, cf. étymol) : Tous ceulx certes, qui par avant avoient abjuré Hildebran, tous assemblez abjurerent l'Empereur. (Cf. réf. ds étymol.) Emploi noté aussi ds FEW (s.v. jurare II 3 a) et ds Hug. : Les Flamands ... déclarèrent par serment son autorité descheu de sa seigneurie et principauté des Pays-Bas ... A cela fut adjousté une forme de serment pour abjurer le roi d'Espagne. Aubigné, Hist. univ., X, 22. − Mention ds Trév. 1771 et Ac. Compl. 1842 à propos de l'hist. d'Angleterre : Dans les lois d'Angleterre, abjurer une personne, c'est renoncer à l'autorité ou au domaine d'une telle personne. Par le serment d'abjuration on s'oblige à ne reconnaître aucune autorité royale dans la personne appelée le Prétendant et de ne lui rendre jamais l'obéissance que doit rendre un sujet à son Prince. Trév. 1771. B.− Abjurer la patrie « quitter la province pour n'y plus retourner, comme font les bannis, les proscrits », sens jur. qui n'est donné que par la série Fur. 1690 − Trév. 1771 (tandis que la série des dict. de l'Ac. n'en parle pas); de plus Trév. donne ce sens comme étant ,,d'autrefois`` et le met en rapport avec abjuration pris dans un sens qu'il définit ainsi : ,,Abjuration se dit aussi dans l'histoire et les lois d'Angleterre du serment qu'un homme qui a commis un crime de félonie, et qui s'est réfugié dans un asile, fait de sortir du Royaume pour toujours. C'est S. Edouard le Confesseur qui en fit la loi, mais depuis elle a été changée``. Suivant le crime, l'abjuration était absolue ou limitée. C.− « nier avec serment », sens premier du lat. abjurare mais qui n'est mentionné que par 2 lexicographes étrangers du xviies., Cotgr. 1611 (1reattest. en fr., cf. étymol.) et Widerhold 1675. D.− « adjurer », sens noté une seule fois dans la docum. disponible : il envoya devers lui un gentilhomme (...) pour lui annoncer les nouvelles et l'abjurer (...) de le tant gratifier que de venir après luy en Piedmont. Carloix, Mém. de Vieilleville, 1, 177 (Quem.). − Rem. 1. On peut se demander si dans l'ex. du sens D il ne s'agit pas d'une coquille pour adjurer. 2. Les sens B, C, D, sont négligeables en regard du sens A qui semble le sens fondamental de l'anc. lang. (ca 1327-1611, cf. étymol.). II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − Le passage du sens A anciennement fondamental, où l'obj. est une pers., aux sens I et II de la lang. mod. où l'obj. est une chose, a pu se faire ainsi : abjurer qqn, par ex. Calvin (= A) > abjurer l'autorité religieuse de Calvin > abjurer le calvinisme (c.-à.-d. qqc., = Sém. I et II). Cotgr. 1611 est le 1erà signaler ce passage du mot au sens de « renoncer avec serment à qqc. » (cf. étymol. 2). 1. Les luttes théol. et relig. des xvieet xviies. font que l'obj. du verbe est gén. une doctrine ou une relig. et princ. ,,la religion prétendue réformée``. Au moment de la révocation de l'Édit de Nantes (1685), l'objet peut être sous-entendu et la constr. devient absolue. Tel est l'emploi class. par excellence, que Fur. 1690 résume bien : Abjurer. Renoncer solennellement à quelque mauvaise doctrine, à des maximes erronées. Cet homme a abjuré les erreurs de Calvin; ou simplement, a abjuré, pour dire, il a changé de Religion, il s'est converty (...) Cf. aussi ex. de Bossuet et Bourdaloue ds DG. A noter à cette époque le caractère public et solennel de l'action. − Rem. Abjurer est pris en bonne part, car il s'agit de rejeter qqc. qui est présenté comme mauvais, par l'auteur de l'acte d'abjuration et ses nouveaux associés ou coreligionnaires. A la famille abjurer, abjuration, converti s'opposent en mauvaise part, c.-à.-d. dans la bouche de qui est abandonné, les familles renier, reniement, renégat ou apostasier, apostasie, apostat. Au xixes. seulement le verbe tend à se neutraliser. En 1878 Ac. le définit « renoncer, par serment et acte public, à une religion ou à une doctrine », sans porter de jugement de valeur sur la dite doctrine ou sur la dite religion. 2. Fur. 1701 précise cependant l'ext. exacte de ce sens : L'usage de ce terme n'est pas restreint aux matières de Religion. Il sert à exprimer que l'on renonce pour toujours à certaines choses, et qu'on les abandonne; Il a abjuré la Poësie. Sca. Elle a abjuré tout sentiment de pudeur et de vertu. Pasc. Cf. aussi FEW (s.v. jurare) : « renoncer formellement à » (dep. Pomey, 1671), « renoncer (à une habitude, un sentiment, une occupation) » (dep. Scarron, voir Rich. 1680). Cf. aussi Regnard, Le Distrait, 193 (ds IGLF) : La loi devroit contraindre une mère coquette, Quand la beauté la quitte, ainsi que les amants, (...) D'abjurer la tendresse (...) Cf. aussi ds DG : Abjurant la satire (Boileau, Ep. 1); Abjurer ses erreurs, ses soupçons. Ma maîtresse abjura le théâtre (Lesage, Gil Blas, VII, 7); Avoir abjuré les dîners trop brillants (Voltaire, Lettre 2/5/ 1751).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 232. Fréq. rel. litt. : xixes. : (a 706, b) 252; xxes. : a) 133, b) 165.
BBG. − Bouillet 1859. − Marcel 1938.