Police de caractères:

Surligner les objets textuels
Colorer les objets :
 
 
 
 
 
 

Entrez une forme

options d'affichagecatégorie :
ABJECT, ECTE, adj.
I.− Sens moral. [En parlant d'une personne ou d'une chose en relation avec une personne] Qui inspire le dégoût, le mépris par sa bassesse, sa dégradation morale.
A.− Employé comme adj. Cf. une âme abjecte; un esprit abject; une créature abjecte; une physionomie abjecte; des emplois abjects; des mœurs abjectes; des sentiments abjects; un langage abject. (Ac. 1835) :
1. Le militaire et le bourreau occupent en effet les deux extrémités de l'échelle sociale; mais c'est dans le sens inverse de cette belle théorie. Il n'y a rien de si noble que le premier, rien de si abject que le second : ... J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, t. 2, 1821, p. 8.
2. Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé, Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé, Je serai ton cercueil, aimable pestilence! Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1857, p. 79.
3. Pas de bête qui n'ait un reflet d'infini; Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche; V. Hugo, La Légende des siècles,t. 2, 1859, p. 732.
4. D'ailleurs le cachet de sa puissance est là aussi, et la titanique sentine de Paris réalise, parmi les monuments, cet idéal étrange réalisé dans l'humanité par quelques hommes tels que Machiavel, Bacon et Mirabeau : le grandiose abject. V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 509.
5. Ne considérais-tu pas l'humanité, telle qu'elle est encore, prosternée, vautrée, comme abjecte? A. Gide, Journal,1941, p. 65.
B.− Employé comme adj. subst. :
6. Au fond, poursuivit-il, en souriant, il y avait déjà la démonstration par l'absurde, mais celle-ci pourrait s'intituler la démonstration par l'abject, car si le mystère eucharistique est sublime, il n'en est pas de même du spiritisme qui n'est, en fin de compte, que la latrine du surnaturel, que le goguenot de l'au-delà! J.-K. Huysmans, En route,1895, p. 175.
7. En vain j'essaie de comprendre comment il se peut qu'un artiste (Rouault) qui est exactement le contraire d'un ignorant et d'un abject − le seul, peut-être, qui fasse penser encore un peu à Rembrandt − se voit voué à cette caricature abominable où se dégrade mortellement, en sa personne, la plus virile peinture de notre temps. L. Bloy, Journal,1907, p. 347.
Rem. Les 2 ex., qui relèvent de séries synon. font apparaître un emploi masc. (ex. 7) et un emploi neutre (ex. 6).
II.− Sens social sans nuance péj. Humble, modeste :
8. Dans ces quartiers presque populaires, quelle existence modeste, abjecte, mais douce, mais nourrie de calme et de bonheur, il eût accepté de vivre indéfiniment! M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 219.
Rem. Cette accept. est attestée par un seul ex. propre à « la langue classique et littéraire » (cf. Lar. encyclop.).
Stylistique − Abject, abjectement et abjection relèvent de la lang. litt. dans laquelle abjection se trouve particulièrement bien attesté, en raison de sa fréquence. Cette localisation semble mieux attestée pour ce dernier terme (cf. Dub.). Les emplois aujourd'hui disparus de abject dans un cont. soc. (cf. sém. II et hist. I A) et de abjection dans un cont. relig. (cf. sém. II et hist. I C) apparaissent comme des arch. isolés. À noter une grande extens., née au xixes., du champ d'application des mots abject et abjection. D'un emploi gén. limité jusqu'au xviiies. aux valeurs humaines d'ordre psychol. (cf. pourtant une physionomie abjecte), moral ou soc., ils peuvent même concerner des réalités concr. sur lesquelles tout jugement moral est exclu : . un front abject (J. de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821, p. 274); . un costume abject (A. de Lamartine, Toussaint Louverture, 1850, p. 1309); . cf. aussi art. sém. abject. I, ex. 2; . un âne abject (V. Hugo, La Légende des siècles, Le Crapaud, 1859, p. 739) : 9. Tu as cette horreur de toute surface libre qui a engendré les faux tanagras, les cache-pot, la végétation des cristaux, le peuple des bronzes! Connais-tu seulement l'abjection des maisons françaises? Le papier des murs, le simple papier d'un bon salon bourgeois ... J. Chardonne, L'Épithalame, 1921, p. 182. Ces mots de sens négatif très fort se rencontrent plusieurs fois dans des alliances de mots : cf. abject, ex. 4 et abjectement. On notera pour abjection d'une part des ex. originaux : assoc. de 5 types d'animaux antipathiques à 5 entités morales négatives et dignes de mépris (ex. 4); juxtaposition de 3 termes provenant d'une même source étymol., de consonance apparentée, mais de sens différent (paronomase et homéotéleute), ex. 5. d'autre part des attest. au plur. (cf., ex. 7, 8) qui peignent des manifestations de l'état d'abjection et qui désignent ainsi des actions, des choses ou des attitudes abjectes.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : (abʒ εkt). Prononc. de la finale -ct : D'apr. Fouché, c'est entre [-kt], [k] et zéro que se distribuent actuell. les mots en -ct ou -nct. ,,On a [-kt] dans compact, contact, intact, tact, abject, correct, direct, infect, intellect, strict, et zéro dans aspect, respect, instinct. Pour les autres mots il y a hésitation; trois prononc. : [-kt], [-k], zéro pour circonspect, suspect; deux : [-kt], zéro pour distinct, succinct; [-kt], [-k] pour district; [-kt], zéro pour exact.`` (Fouché Phonét. 1952, p. 790 et Nyrop Phonét. 1963, § 193). 2. Dér. et composés : abjection, abjectement. 3. Hist. des formes. −Ce mot d'orig. sav. apparaît sous sa forme actuelle dès le xves. (cf. étymol.). À partir du xvies., on note un doublet graph. et phon. abject (Gdf. Suppl.), abgette (Hug.) relevé par les dict. jusqu'au mil. du xviiies., (Fur. 1701 et Trév. 1704 le citent comme vedette unique, Trév. 1752 propose les 2 graph. en vedette : ,,Abject, ecte, ou Abject, ette (...). Le dernier est plus en usage``. Fér. Crit. 1787 : ,,Trévoux met abjet, abjette, mauvaise orthogr. qui induit à une mauvaise prononciation``. − Rem. Seule la graph. mod. est citée dans les différentes éd. du Dict. de l'Ac. Prononc. et graph. du groupe ct dans les mots d'empr. ,,Le groupe ct est un de ceux que la graphie du moyen français a longtemps reproduits, pour se rapprocher du latin...`` (Bourc. 1967, § 135). ct est prononcé [t] dans les mots d'empr., cf. Nyrop 1930, t. 1, § 407 : ,,... grâce à une assimilation on a prononcé (...) t au lieu de ct; on trouve par exemple, les graphies dottrine, objetter...`` (cf. aussi M.-A. Pope, From latin to modern french, 1966, § 650). C'est ce qui explique également la graph. abjet pour abject. Pour la prononc. de ce mot, cf. les rimes : ...abgettes ...vergettes (Peletier du Mans, cité par Hug.) et ...abjets ...projets (Corneille, Cinna, vers 1207-1208). Selon Fouché (Phonét., p. 790) ,,Il y a donc eu à un moment donné quatre prononciations pour le même mot : [-kt], [-k], [-t], zéro.`` [-k] est encore recommandé par Land. 1834 et Gattel 1841 pour le masc. ab-jek, [-kt] pour le fém. ab-jèk-te. Rich. 1680 donne abjet au masc. et abjecte au fém., ce qui correspond à la prononc. indiquée plus tard par Littré : ,,(ab-jè-kt' ou ab-jè, au fém. ab-jè-kt') (...). Je crois (...) qu'il faut prononcer abject au masculin singulier ou pluriel comme on prononce sujet et projet...`` et il réserve [kt] pour le masc., en liaison avec une initiale vocalique. Passy en 1914 donne encore les 2 possibilités de prononc. : [abʒ εkt], qui s'est imposé en fr. mod. (cf. I), ou [abʒ ε] masc. et [abʒ εkt] fém.
Étymol. − Correspondants rom. : prov. abjèto; ital. abietto; esp. abyecto; cat. abjecte. 1. xves. « vil, méprisable » (d'une pers.; cont. relig.; notion d'abaissement volontaire, d'humilité) (Infernale consolation, 59 Bibl. Elz.; Delboulle; Quem.); 1470 même cont. (Le livre de la discipline d'amour divine, f. 50 b, éd. 1537; R. Et. rabel., IX, 298); 2. 1475 « digne de mépris » (qualifie tromperie) (Chr. des chanoines de Neuchâtel, 38; R. Hist. litt. Fr. I, 179); 3. 1549 « de basse condition » (Du Bellay, Deffense, II, 5; Hug.). Empr. au lat. abjectus, adj. (part. pass. de abicere, specialement au sens de « abaisser, rejeter, mépriser »), attesté dep. Cicéron au sens 3 de « humilis » (TLL s.v., 90,72) et aussi ds Hrotswitha, Mittellat. W. s.v. Ne paraît pas attesté en lat. chrét. ni médiév. (dans un cont. semblable à celui de 1, emploi sans doute dû à l'influence de abjectio (voir abjection)). 2 « pessimus, scididus » (d'une chose), dep. Valère Maxime (TLL s.v., 91, 11). HIST. − Un seul sens « vil, méprisable » avec différents emplois. I.− Emplois disparus av. 1789. − A) Dans un cont. social : « de basse condition ». (Cf. abjection, hist. I D) : 1. au xvies., 1reattest. : O toy... non de trop haulte condition, ou appellé au régime publiq', non aussi abject et pauvre. Du Bellay, cf. étymol. 3. 2. subsiste jusqu'au xviiies. : xviies. : Je ne suis pas d'un lignage si abject que ce vous soit une honte de m'avoir pour gendre. Sorel, Franc., IX, (Dub.-Lag.). xviiies., plus rarement : Une rivale abjecte à qui elle avait donné du pain. Saint-Simon, XII, 98 (DG). − Rem. 1. Il est vieilli à cette époque. Vauvenargues, I, 177, Connaiss. XLIII, atteste encore cet emploi : Ceux-ci [les grands] n'ont pas moins de désirs que les hommes les plus abjects [les laboureurs]. Morellet suggère pourtant de substituer de l'état le plus abject àles plus abjects dans cet ex. (Brunot t. 6 1933, p. 1335). 2. Le mot a pris une extens. péjor. comme terme d'injure au même titre que vil, impur, infâme, mais vers la fin du xviiies., il a perdu, comme ces derniers, beaucoup de son relief (cf. Brunot t. 10 1943, p. 56). 3. À noter une curieuse résurgence de cet emploi au xxes. dans un ex. isolé de Proust (cf. sém. II, ex. 11), où abject se rapporte non plus à une classe sociale mais à sa condition. B) Dans un cont. relig. « humble, modeste ». Attesté seulement ds Hug. (4 ex.); l'adj. est très souvent associé à humble : Elle [l'Écriture Sainte] requiert un cueur humble et abject, A vanitez et abus non subject. F. Habert, Deplor. de Du Prat, Epistre. II.− Emploi attesté apr. 1789. − 1reattest. au xves. (cf. étymol. 1 et 2) et remarquable perman. jusqu'au xxes. Peut qualifier les pers. dans leurs sentiments, comportements, etc. xviies. : Néron n'avoit tiré de l'amour d'une servante que des sentiments bas et abjects. D'Ablancourt, Tac. (Rich.). xviiies. : Un homme vil et abject. Un esprit abject (...) Une physionomie abjecte. Des emplois, des usages vils et abjects. Ac. 1710.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 332. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 323, b) 492, xxes. : a) 636, b) 489.