| ABBÉ, subst. masc. I.− RELIG. Supérieur ecclésiastique exerçant sa juridiction sur une abbaye ou un monastère régulier. A.− Sens propre 1. [Abbé est suivi du nom de l'abbé ou de l'abbaye dont il est titulaire] : 1. ... il confondit les tems et les races; donna Clovis, au lieu de Dagobert, pour fondateur à cette abbaye, et fit de l'abbé Suger le confesseur de Charlemagne ...
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 12. 2. ... l'abbé de Saint-Denis, revêtu de ses ornements pontificaux, lui adressa un beau discours où il lui rappela les devoirs de la royauté, ...
P. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois,t. 3, 1824, p. 264. 3. Le sire de Villette, abbé de Saint-Denis, avait revêtu ses ornements sacerdotaux, et s'était réfugié à l'autel dans la chapelle, où il tenait élevée la sainte hostie.
P. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois,t. 4, 1824, p. 179. 4. Supérieur général et abbé triennal de la congrégation de Sainte-Geneviève, il avait porté la crosse et la mitre, et même tenu tête à l'archevêque de Paris ...
F. Mauriac, La Vie de Jean Racine,introd. 1928, p. 38. 5. Un abbé mitré n'a qu'à passer la consigne au frère portier.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1043. 6. Il a eu l'idée de se faire bénédictin, mais le révérendissime père abbé de l'abbaye de Sainte-Madeleine-des-Sables le juge incapable, en raison de son âge, de s'adapter à l'austère discipline de ce couvent.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936p. 222. 2. Style formulaire (emploi appellatif) : 7. Nous arrivâmes à la pointe du jour, et nous fûmes reçus par le père cellérier, dont le visage était quadrangulaire et le nez en obélisque. « Messieurs, dit le bon père, soyez les bienvenus : notre « révérend abbé sera bien content quand il saura que vous êtes arrivés; ... »
J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825, p. 371. 8. « Dimanche, à trois heures, vêpres chantées; cérémonie de vêture, présidée par le Révérendissime Père Dom Etienne, abbé de la Grande Trappe, et salut. »
J.-K. Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 197. 9. ... je viens de rencontrer le révérend père abbé qui m'a dit que j'avais fait une impertinence en vous laissant seul et que je ne manquerais pas de trouver, derrière ma cellule, mon jardin, ...
M. Barrès, La Colline inspirée,1913, p. 119. 10. ... le religieux se nomma : Dom Rocard, vicaire du révérendissime abbé provincial ...
A. Billy, Introïbo,1939, p. 13. 11. ... Dom Garé avait réalisé son rêve : il était devenu abbé révérendissime de l'abbaye de Saint-Antoine, ...
A. Billy, Introïbo,1939p. 210. 3. Expr. proverbiale (cf. Ac. 1835 et Rob.) : 12. L'ami Daumont arriva comme on enlevait la soupe : il s'annonça par un gros rire dont j'observai qu'il faisait toujours précéder ses plaisanteries : « Je m'aperçois qu'on m'attend, comme l'abbé attend les moines, dit-il en serrant la main à chaque convive l'un après l'autre, ...
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 5, 1814, p. 36. Rem. Au sens propre, la dénomination canonique est abbé régulier. B.− P. ext. Bénéficiaire partiel du revenu, séculier ou laïc, d'un monastère sur lequel il n'existe aucune juridiction [p. oppos. à abbé régulier] : 13. Il n'y avait pas de sort plus heureux que celui d'un riche prieur ou d'un abbé commendataire; ils avaient de la considération, de l'argent, point de supérieurs, et rien à faire.
J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825, p. 368. 14. ... il commençait par obtenir les bénéfices simples, qui fournissaient aux frais de son éducation; et dans la suite, il devenait prince, abbé, commendataire ou évêque selon qu'il avait plus ou moins de dispositions à l'apostolat.
J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût,1825p. 367. 15. Abbé de cour, ancien grand vicaire, homme de table et de boudoir dans sa jeunesse, homme d'aventures ensuite pendant une longue émigration, il avait fréquenté les salons du cardinal de Bernis ...
A. de Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, p. 85. 16. Pendant vingt ans le docteur Neubourg (bien qu'il fût, dans son domaine, éminent) avait trouvé « qu'il faisait, mon cher, abbé du xviiien'est-ce pas? » ...
A. Malraux, L'Espoir,1937, p. 751. Rem. On trouve dans ce sens les groupes associatifs abbé commendataire (ex. 13, 14), abbé de cour (ex. 15), abbé du XVIIIes. (ex. 16). II.− P. ext. Titre donné à un clerc qui se destine à exercer ou le plus souvent exerce la fonction sacerdotale, depuis le clerc tonsuré jusqu'au vicaire général s'il n'est pas prélat. Stylistique − Mot très stable aux xixeet xxes., le passage p. ext. du sens I au sens II étant ant. à cette période. À l'époque contemp. abbé est fortement concurrencé dans l'usage par le mot père.A.− [Quand le nom (habituellement de famille) est indiqué, il suit immédiatement abbé. Le clerc est volontiers appelé, sans autre indication, Monsieur l'abbé ou l'abbé] :
17. « Monsieur l'abbé », reprit-il aussitôt, en souriant, et sans laisser au prêtre le temps de la riposte, ...
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Mort du père, 1929, p. 1385. 18. ... il sentait confusément que c'était par là qu'il pourrait reconquérir le prêtre, et sans rien avoir à céder sur la question du pénitencier. Une force le poussait à faire davantage encore, à surprendre l'abbé par la profondeur de sa foi, (...) − « L'abbé! » fit-il soudain, ...
R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 735. B.− [L'exercice de la fonction sacerdotale est fréquemment précisé dans le contexte] :
19. ... on élevait de jeunes demoiselles sous la direction d'un saint homme prêtre, abbé qui les confessait, les instruisait, catéchisait, ...
P.-L. Courier, Pamphlets politiques,Réponses aux anonymes, 1822, p. 157. 20. Il s'y joignait une singulière impression d'effroi qui dérivait de l'enseignement donné par l'abbé Martel, le prêtre chargé de nous préparer à cette première communion.
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 84. 21. L'abbé Guibourg officiait, consacrait l'hostie, la coupait en petits morceaux et la mêlait à ce sang obscurci de cendres; c'était là la matière du Sacrement.
J.-K. Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 100. 22. L'abbé Boutarel l'avait mise en garde lorsqu'il était venu la communier pour Pâques ...
H. Pourrat, Gaspard des Montagnes,À la belle bergère, 1925, p. 218. 23. ... l'abbé Maurer dirait-il vraiment la messe, le seize août, jour fixé pour leur propre ascension, à la croix du Matterhorn?
J. Peyré, Matterhorn,1939, p. 123. 24. L'abbé Sancerre n'a pas violé le secret de la confession.
A. Billy, Introïbo,1939, p. 235. C.− [Sa place parmi les clercs séculiers est parfois notée] :
25. Pourquoi l'image s'imposa-t-elle aussitôt à son esprit d'un homme si différent de lui, si peu fait pour l'entendre, l'abbé Chevance, ancien curé de Costerel-sur-Meuse, actuellement prêtre habitué à l'église de Notre-Dame-des-Victoires?
G. Bernanos, L'Imposture,1927, p. 336. 26. L'abbé Gamallon fit en sorte que je vinsse à confesse tous les samedis et à la table de communion tous les dimanches, fréquence qui n'était pas du goût du curé doyen, l'abbé Moriatte, prêtre de haute valeur ...
A. Billy, Introïbo,1939, p. 23. 27. ... l'abbé Moble, premier vicaire de la cathédrale, refusa d'aller présenter ses vœux à l'évêque.
A. Billy, Introïbo,1939p. 109. 28. La paroisse de Fairières était desservie par trois prêtres, dont deux vicaires. Le plus jeune, l'abbé Gamallon, était d'une sainteté rare chez un débutant.
A. Billy, Introïbo,1939p. 22. 29. Il y a toujours eu un ou deux mauvais prêtres dans votre vie − enfin des prêtres suspects − votre abbé Connétable, par exemple, ou ces pasteurs défroqués de la Christian Science, ...
G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 922. Rem. Le n. Connétable empl. ici rappelle le titre conféré autrefois dans l'Aquitaine angl. pour désigner certains clercs chargés de l'admin. financière (,,Connétable de Bordeaux``). Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abe]. Enq. : / abe1/. 2. Homon. : abée, subst. fém. 3. Dér. et composés : abb-, abbé, abbesse; abbacomite, abbatial, abbatiat, abbaye. 4. Hist. − Le mot apparaît sous sa forme actuelle au xiiies. (cf. ex. T.-L.) et dans les dict. dep. Nicot 1606. Le mot entre dans la lang. au xies. sous la forme abé sans redoublement de b (cf. étymol.), encore attestée ds Rich. 1680 et 1706; Ac. 1842 signale la forme abbat « abbé » (vx lang.). On rencontre en a. fr. les var. graph. abeit, abbeit, abbet. ÉTYMOL. − Corresp. rom. : a. prov. ábas; n. prov. abát; ital. roum. abate; esp. abad; port. abade; cat. abat.
1100 « supérieur d'une abbaye » (Roland, éd. Bédier, 2955 : Asez i ad evesques et abéz); ca 1130 « id. » (Couronnement de Louis, éd. Langlois, 1762 : Iluec trova et evesques et abes).
Empr. au lat. chrét. abbātem (acc. de abbás, d'où la forme ábes) empr. lui-même à l'araméen par l'intermédiaire du grec eccl. α
́
ϐ
ϐ
α
̃ « père » (en s'adressant à Dieu) », Nouv. Test., passim. Lat. d'abord sous la forme abba, fréquente jusqu'au ixes., de même sens que le gr. (cf. St Jérôme, ds epist. ad Gal. 4, 6 ds Blaise : cum abba pater Hebraeo Syroque dicatur); attest. continues en lat. chrét. et médiév. au sens de « supérieur d'une abbaye ».
HIST. − Attesté pour la 1refois en 1100 (cf. étymol.), abbé est encore empl. dans la lang. contemp. dans son accept. primitive en usage dep. St Benoît. Pour ses accept. extensives (cf. sém. I B et C) ce mot subsiste aux xixeet xxes. par all. au passé. La distinction établie sous l'Anc. Régime entre l'abbé régulier et l'abbé commendataire est encore explicite dans la lang. contemp. et se retrouve implicitement dans les expr. : abbé commendataire, abbé de cour, abbé du XVIIIes. et abbé connétable. Le développement de la commende et l'habitude de voir des abbés vivre dans le monde − tels les abbés de cour − amenèrent la coutume d'appeler aux xviieet xviiies. tout ecclésiastique du nom d'abbé même s'il n'exerçait pas le sacerdoce, cf. Marion, Dict. des institutions de la France. De là la nouv. déf. donnée par la plupart des dict. au terme abbé : « tout homme revêtu de l'habit ecclésiastique » (Besch., Littré, DG, Dub.). Cet usage semble auj. périmé, abbé désignant plus précisément et sans considération vestimentaire le titre attaché à la fonction sacerdotale (sém. II). − Rem. Dans certains emplois région. abbé désignait au Moy. Âge le chef de certaines confréries de jeunes gens organisant les fêtes du village (cf. Ac. Compl., Lar. 20e) ou « le chef de certaines confréries d'artisans dans le Midi » (cf. Littré). Cf. aussi Du Cange s.v. abbas : abbé des cornards (Rouen, Evreux), abbé de liesse (Arras). STAT. − Fréq. abs. litt. : 8 403. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 12 343, b) 13 709; xxes. : a) 12 771, b) 10 176. BBG. − Ahokas (J.). De l'Emploi des mots abbé et moine pour désigner des personnages et des organisations laïques. Neuphilol. Mitt. 1962, t. 63, no2, p. 81-106. − Leloir 1961. − Lep. 1948. − Marcel 1938. − Mét. 1955. − Spr. 1967. − Théol. cath. 1909. |