| RELIGION, subst. fém. I. A. − Au sing., gén. en empl. abs. Rapport de l'homme à l'ordre du divin ou d'une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales (v. infra B). Foi et religion; philosophie et religion; morale et religion; philosophie, psychologie, sociologie, théologie de la religion; le besoin de religion; indifférence en matière de religion. Le mot religion [chez les anciens] ne signifiait pas ce qu'il signifie pour nous; sous ce mot nous entendons un corps de dogmes, une doctrine sur Dieu, un symbole de foi sur les mystères qui sont en nous et autour de nous; ce même mot, chez les anciens, signifiait rites, cérémonies, actes de culte extérieur. La doctrine était peu de chose; c'étaient les pratiques qui étaient l'important; c'étaient elles qui étaient obligatoires et qui liaient l'homme (ligare, religio) (Fustel de Coul.,Cité antique, 1864, p. 210).Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain (...) seule la religion peut être la source de cette poésie. Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple (S. Weil,Pesanteur, 1943, p. 180).V. fanatisme ex. 1: 1. Si l'on admet que les rapports avec le sacré constituent l'essentiel de la religion, la distance apparaît avec la philosophie. Mais il reste à s'entendre sur la notion du sacré; si l'on admet que le sacré inspire le respect et la crainte, une autre distance s'éclaire, avec la magie qui suppose audace et contrainte. On n'hésite point à reconnaître la religion dans le christianisme ou l'islamisme; on discute la part de religion que contiennent les grandes conceptions orientales de la vie et de la mort, les représentations et les pratiques des « primitifs »...
Traité sociol., 1968, p. 80. ♦ Guerre de religion. V. guerre A 1 en partic. B. − Forme particulière que revêt pour un individu ou une collectivité cette relation de l'homme au divin ou à une réalité supérieure. 1. a) Au sing. et au plur. Ensemble des croyances relatives à un ordre surnaturel ou supra-naturel, des règles de vie, éventuellement des pratiques rituelles, propre à une communauté ainsi déterminée et constituant une institution sociale plus ou moins fortement organisée. On est contraint à la foi. Croire de force, tel est le résultat. Mais avoir foi ne suffit pas pour être tranquille. La foi a on ne sait quel bizarre besoin de forme. De là les religions. Rien n'est accablant comme une croyance sans contour (Hugo,Travaill. mer, 1866, p. 303).V. confession A p. ext., culte B 2 a: 2. Pour la plupart des civilisés, les églises ne sont que des musées où reposent les religions mortes. L'attitude des touristes qui profanent les cathédrales d'Europe montre à quel point la vie moderne a oblitéré le sens religieux. L'activité mystique a été bannie de la plupart des religions.
Carrel,L'Homme, 1935, p. 158. ♦ P. métaph. V. dogmatique ex. 2 et infra au fig.: 3. C'est en tant que religion, que la doctrine communiste exalte et alimente les ferveurs des jeunes gens d'aujourd'hui. Leur action même implique une croyance; et s'ils transfèrent leur idéal du ciel sur la terre, ainsi que je fais avec eux, ce n'en est pas moins au nom d'un idéal qu'ils luttent et, au besoin, se sacrifient.
Gide,Journal, 1933, p. 1182. SYNT. Les préceptes, les pratiques, la morale d'une religion; religions fondées, organisées, historiques; histoire des religions; embrasser, professer, pratiquer une religion; abandonner, abjurer, renier une religion; se convertir à une religion; changer de religion; enseigner, fonder une religion. − [Suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif] ♦ [Suivi d'un adj. caractérisant le système de croyances envisagé] Religions animistes, fétichistes, totémiques; religions dogmatiques, savantes. Seules les religions polythéistes ou panthéistes créent les idoles et sont créées par les idoles dans un échange passionné et continu d'idées, de sensations, de sentiments. Les religions monothéistes, au contraire hostiles à l'idole, ou bien triomphent avec le secours de l'idole, ou bien meurent sur place sans pouvoir se renouveler (Faure,Espr. formes, 1927, p. 249). ♦ [Suivi d'un adj. ou d'un compl. donnant une indication d'ordre géogr. ou hist.] Religions anciennes, antiques, archaïques, primitives; religions actuelles; religions vivantes. L'homme, à cette voix dont l'accent le ranime [dans l'Apologie de Pascal], se remet donc à parcourir l'Univers, cherchant quelle religion est la vraie, comme il avait déjà fait pour les philosophies. (...) Ici serait venue une énumération des principales religions connues, celle de Mahomet, celle des anciens Grecs et Romains, celle des Égyptiens, celle de la Chine. Aucune de ces religions ne satisfait l'homme de Pascal, pas plus que tout à l'heure ne l'ont satisfait les philosophies (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 3, 1848, p. 371). ♦ [Suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminant la doctrine ou la communauté religieuse envisagée ou indiquant le nom de son fondateur] Les religions païennes; la religion judaïque, juive; la religion des Juifs, d'Israël, de Moïse; la religion chrétienne, des chrétiens, du Christ, de l'Évangile; la religion catholique, anglicane, orthodoxe, protestante, mahométane, musulmane, islamique; la religion de l'Islam, de Mahomet (v. supra ex. de Sainte-Beuve); la religion bouddhiste; la religion de Bouddha. Ce qu'il y a de plus probable, c'est qu'ils [les Druzes] sont, comme les Maronites, une tribu arabe du désert qui, ayant refusé d'adopter la religion du Prophète, et persécutée par les nouveaux croyants, se sera réfugiée dans les solitudes inaccessibles du haut Liban, pour y défendre ses dieux et sa liberté (Lamart.,Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 109): 4. ... pour lui [Passavant], le magnétisme, qui est d'abord une force organique, mais qui devient une force spirituelle lorsqu'on l'oriente dans ce sens, finit par être l'organe d'une vision divine. Et celle-ci est également le but que se propose le culte dans la religion catholique; rite et sacrement constituent une magie sacrée, grâce à laquelle la nature devient l'organe de l'esprit.
Béguin,Âme romant., 1939, p. 75. b) Locutions − Religion domestique. [Dans l'Antiquité ou chez les peuples dits « primitifs »] Culte rendant hommage au(x) dieu(x) d'une famille, d'un foyer. La religion est encore domestique dans les peuplades qui vivent en familles, et c'est ce qui a été cause que quelques voyageurs, n'apercevant point chez elles de culte public, ont conclu qu'elles n'avoient aucune religion (Bonald,Législ. primit., t. 1, 1802, p. 312).Dans cette religion primitive chaque dieu ne pouvait être adoré que par une famille. La religion était purement domestique (Fustel de Coul.,Cité antique, 1864, p. 33). − Religion naturelle. [P. oppos. à religion positive (v. positif I A) et à religion révélée] Ensemble des connaissances relatives à Dieu, à ses attributs, aux principes de l'action morale, obtenues par les seules lumières de la raison et de la conscience, indépendamment de toute révélation. La religion parfaite et définie n'a pas été donnée à l'homme dès le principe. Aussi peut-on distinguer plusieurs phases dans le progrès de la religion. − 1 oReligion naturelle. C'est celle qui est inscrite par Dieu au cœur de l'homme, indépendamment de toute révélation extérieure. Cette religion comporte la connaissance de l'existence de Dieu, la notion de ses perfections et l'idée de devoirs à lui rendre (Bible1912). ♦ [Princ. chez les philosophes du xviiies. et p. réf. à eux] Elle croyait à cette sorte de religion naturelle préconisée et peu définie par les philosophes du dix-huitième siècle. Elle se disait déiste et repoussait avec un égal dédain tous les dogmes, toutes les formes de religion (Sand,Hist. vie, t. 2, 1855, p. 364).[La conception de la religion naturelle] leur permettait de se détacher sans remords des religions positives auxquelles ils avaient cessé de croire, et de conserver néanmoins une religiosité très vive, à laquelle la « religion naturelle » fournissait un aliment suffisant (Lévy-Bruhl,Mor. et sc. mœurs, 1903, p. 202).V. déisme ex. − Religion patriarcale. V. patriarcal A 1.Religion positive. V. positif I A 1 et B 3 b p. méton.Religion révélée. Religion qui repose sur une révélation*. − Religion universelle. [P. oppos. à religion nationale, religion particulière, religion d'un peuple] Religion à vocation œcuménique, c'est-à-dire qui n'est pas destinée à un groupe social déterminé, mais s'adresse à tous les hommes, de tous les pays et de tous les temps. Vous voudriez faire une religion particulière, comme si la religion vraie n'étoit pas universelle et de toutes les nations! (Saint-Martin,Homme désir, 1790, p. 232).Les religions universelles font abstraction des liens nationaux naturels et s'adressent absolument à tous les hommes, leur offrant le salut ou une voie qui y conduit. Le bouddhisme, le christianisme et l'Islam, religions universelles les plus importantes, sont aussi des religions qui ont été fondées, alors que le développement des religions nationales se présente surtout comme spontané (Friest. 41967). − [Chez Bergson] Religion statique et religion dynamique. Si la frange d'intuition qui entoure son intelligence [de l'individu] s'élargit assez pour s'appliquer tout le long de son objet, c'est la vie mystique. La religion dynamique qui surgit ainsi s'oppose à la religion statique, issue de la fonction fabulatrice, comme la société ouverte à la société close (Bergson,Deux sources, 1932, p. 285). − Religion à mystères. V. mystère I A. − Religion d'État ou religion de l'État. Religion déclarée comme la religion officielle d'un état et qui exclut les autres religions ou ne fait que les tolérer. La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État (Charte de 1814,art. 6 ds Littré).Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien état pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'état exclusive comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients (Renan,Souv. enf., 1883, p. xiv). − La religion d'amour. Le christianisme. Après la conquête de Jérusalem par les Arabes, la plupart des chrétiens durent se convertir à l'islamisme pour échapper aux supplices. Mais ils ne renoncèrent pas à la religion d'amour (Adam,Enf. Aust., 1902, p. 202). c) [En empl. abs., la détermination venant du cont.] J'en étais à cette phrase, que je répétais souvent avec onction et désespoir: − Oh! musulmans! oh! musulmans! Il n'y a plus d'Islam! La religion est perdue! (Gobineau,Nouv. asiat., 1876, p. 232).Vous savez que la religion condamne avec force les injures qu'elle range sous le titre des homicides par intention. Je ne suis pas l'ami de Desjardins. Mais je ne le suis pas non plus de ceux qui ne veulent voir dans la religion qu'une autorité et qu'une discipline, et qui voudraient garder le christianisme sans le Christ (Claudel,Corresp.[avec Gide], 1912, p. 192). ♦ Les secours de la religion. Les sacrements de l'Église. M. l'Archevêque de Paris s'est présenté chez l'acteur [Talma] pour lui offrir les secours de la religion (Delécluze,Journal, 1826, p. 354).Le troisième jour, Claude expirait, privée des secours de la religion, et on refusa de l'enterrer en terre chrétienne (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 36). − En partic. [Au xvieet xviies.; gén. avec une majuscule] La Religion (pour religion réformée ou religion prétendue réformée). Le protestantisme, le calvinisme. Dieu me damne! camarade, je sens une odeur d'hérétique. Je gage (...) que vous êtes de la Religion (Mérimée,Chron. règne Charles IX, 1829, p. 44).Je rappelle que M. de La Mothe, l'aïeul de toute cette famille, celui qui ne portait sa robe qu'à la Chambre des comptes, s'était fait huguenot, qu'il ne se convertit qu'après la Saint-Barthélemy, et que plusieurs de ses fils restèrent de la Religion ou n'abjurèrent que tard (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 1, 1840, p. 63). d) P. méton. − Instruction religieuse, catéchisme. J'étais un bon élève en tout; en religion aussi (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p. 796). − Ceux qui appartiennent au monde de la religion; les gens d'Église. La religion, l'armée, le gouvernement, s'engagent dans la lutte (Clemenceau,Iniquité, 1899, p. vii).Il (...) rédigea une longue lettre, pour laquelle il n'accepta aucun salaire. Trop heureux, disait-il, d'obliger la religion (Queffélec,Recteur, 1944, p. 147). 2. [La religion de qqn] a) Attitude théorique, morale, pratique de l'individu à l'égard du divin à l'intérieur ou non d'une religion constituée. Une religion individuelle, intérieure; religion du cœur; une religion éclairée, formaliste; la religion de Pascal. Si le grand adolescent se trouve en présence d'une religion d'adulte, il arrive au contraire que, à la troisième adolescence, il adhère à une religion profonde et personnelle. Il cherche alors à comprendre et à justifier sa foi, à s'engager au service de Dieu, à pratiquer une prière intérieure et personnelle (MantoyPsychol.1971): 5. Son système [de la mère de Lamartine] n'était point un art, c'était un amour. Voilà pourquoi il était infaillible. Ce qui l'occupait par-dessus tout, c'était de tourner sans cesse mes pensées vers Dieu et de vivifier tellement ces pensées par la présence et par le sentiment continuels de Dieu dans mon âme, que ma religion devînt un plaisir et ma foi un entretien avec l'invisible. Il était difficile qu'elle n'y réussît pas, car sa piété avait le caractère de tendresse comme toutes ses autres vertus.
Lamart.,Confid., 1849, p. 78. − En empl. abs. Manifestations intérieures ou extérieures de cette attitude; sentiment religieux, pratique religieuse. Synon. foi, dévotion, piété.Il y a le plus de religion, là où il y a le plus d'amour, il y a le plus d'amour là où il y a le plus d'unité (Claudel,Corresp.[avec Gide], 1908, p. 84): 6. À mon sens, le christianisme est avant tout religieux, et la religion n'est point une méthode: elle est une vie, une vie supérieure et surnaturelle, mystique par sa racine et pratique par ses fruits, une communion avec Dieu, un enthousiasme profond et calme, un amour qui rayonne, une force qui agit, une félicité qui s'épanche, bref la religion est un état de l'âme.
Amiel,Journal, 1866, p. 270. ♦ [Surtout dans des loc.] Avoir beaucoup, peu de religion; avoir de la religion; esprit, sentiment de religion; exercices de religion. Elle ne manque pas de religion, et même elle a obtenu de grandes bénédictions, l'an passé, au pèlerinage de sainte Anne (Loti,Mon frère Yves, 1883, p. 193).Les actions de la vie, dont il s'agit ici, ne doivent pas être comprises, on le sait, des seules œuvres de religion, ou de piété (prières, jeûnes, aumônes, etc...) (Teilhard de Ch.,Milieu divin, 1955, p. 33).THÉOL. Vertu de religion. Vertu par laquelle l'homme rend à Dieu le culte et l'hommage qui lui sont dus dans un esprit de soumission et de révérence profonde. [Bérulle et Condren] professeront bien la même doctrine, laquelle, chez l'un et chez l'autre, a eu pour point de départ une facilité merveilleuse à la vertu de religion, un désir, un besoin intense d'exalter la grandeur divine (Bremond,Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 346).Avec la majorité des exégètes modernes, il faut comprendre que le Christ fut exaucé « en conséquence, à cause de » sa crainte de Dieu, donc de sa vertu de religion. Le terme est choisi pour signaler que le Sauveur, au sein même de sa détresse, gardait un respect vigilant et soigneux de la volonté de son Père (Bible Suppl.1981). b) Loc. fig. ♦ Éclairer la religion de qqn. Fournir à quelqu'un les explications, les renseignements nécessaires sur une question. Celui-là recueillant des lèvres de celui-ci tous les renseignements de nature à éclairer sa religion sur le compte de ses employés (Courteline,Ronds-de-cuir, 1893, 2etabl., 3, p. 81).Je n'en reste pas moins perplexe sur l'étymologie de ce vocable. Pouvez-vous éclairer ma religion à ce sujet? (Benoit,Atlant., 1919, p. 149). ♦ Surprendre la religion de qqn. Tromper, abuser quelqu'un. Surprendre la religion du prince, la religion des juges, la religion d'un tribunal (Ac. 1835, 1878). Il s'agissait de découvrir le mensonge à l'aide duquel monsieur votre frère a surpris la religion de cette noble famille (Balzac,Splend. et mis., 1844, p. 320). ♦ (Sur ce point) ma religion est faite. Mon opinion est arrêtée. La France dans son immense majorité désire le travail dans l'ordre! Là-dessus ma religion est faite (Proust,Guermantes 1, 1920, p. 246).En ce qui me concerne, ma religion est faite. Il me reste à convaincre (...) ceux qui pourraient me croire l'instrument d'une intrigue à laquelle je ne comprends rien (Cocteau,Bacchus, 1952, ii, 8, p. 143). C. − P. anal. ou au fig. 1. Doctrine, philosophie proposant des valeurs considérées comme absolues; valeur érigée en absolu, à laquelle on voue un respect quasi religieux. La religion de l'amour, de la patrie, de la science, du progrès. Encore un peu de temps, elle [la bourgeoisie] affirmera avec nous la religion de Hegel, de Lessing, d'Anacharsis Clootz, de Diderot, de Molière, de Spinoza, la religion qui ne reconnaît ni pontife, ni empereur, ni improducteur, la religion de l'humanité (Proudhon,Confess. révol., 1849, p. 372): 7. À la révolution jacobine qui essayait d'instituer la religion de la vertu, afin d'y fonder l'unité, succéderont les révolutions cyniques, qu'elles soient de droite ou de gauche, qui vont tenter de conquérir l'unité du monde pour fonder enfin la religion de l'homme.
Camus,Homme rév., 1951, p. 167. − Vx. Être de la religion de qqn. Se réclamer de sa doctrine; partager ses opinions, ses goûts. On avait à vaincre plus d'un préjugé de goût, d'éducation et presque de famille [pour goûter Homère] on était trop, en France, de la religion de Racine pour ne pas pencher avec prédilection du côté de Virgile (Sainte-Beuve,Virgile, 1857, p. 211). − Religion séculière. Ensemble de valeurs constituant ,,un idéal terrestre et purement humain (anthropocentrique) qui, chez ceux qui sont devenus étrangers à la religion proprement dite (théocentrique), lui sert de substitut`` (Foulq. Sc. soc. 1978). La religion séculière garde le prestige et la force du prophétisme, elle suscite en petit nombre des fanatiques et ceux-ci à leur tour mobilisent et encadrent des masses, moins séduites par la vision d'avenir que révoltées contre les malheurs du présent (R. Aron,L'Opium,p. 428, ibid.). 2. Sentiment de respect, de vénération profonde (pour une doctrine, une valeur, une personne). Avoir la religion de qqc.; avoir de la religion pour qqc.; avoir la religion du serment, du secret. Tu n'admires pas assez, tu ne respectes pas assez. Tu as bien l'amour de l'art, mais tu n'en as pas la religion. Si tu goûtais une délectation profonde et pure dans la contemplation des chefs-d'œuvre, tu n'aurais pas parfois sur leur compte de si étranges réticences (Flaub.,Corresp., 1847, p. 68): 8. ... ce que l'auteur de la France juive reproche justement à ce malheureux [l'homme moderne], c'est de ne pas savoir vivre (...) il n'a pas tort de noter une perversion plus profonde: le besoin, la nostalgie et comme la religion de la servitude, de la bienheureuse servitude qui dispense de vouloir, d'agir...
Bernanos,Gde peur, 1931, p. 373. − Locutions ♦ Avec religion. Avec un respect religieux; avec de grands scrupules. Après s'être occupée de ces recherches avec religion et scrupule (Sue,Atar-Gull, 1831, p. 37).L'arbre sous lequel je demeurais existe encore (...) j'y vais en pèlerinage et je m'assieds dessous avec religion (Vallès,Réfract., 1865, p. 55). ♦ Se faire une religion de + inf. Se faire une obligation scrupuleuse et absolue de. Il se fait une religion de tenir sa parole (Ac.1798-1935).M. Duhamel ne consacre pas ces bas désirs, ces velléités brûlantes, perfides, ces maléfices qu'il y découvre [dans la conscience]. Il ne se fait pas une religion de les accueillir, de les respecter, de les favoriser en quelque sorte (Massis,Jugements, 1924, p. 195). II. − [Dans la relig. chrét.] A. − [Surtout dans des loc.] État religieux, c'est-à-dire état des personnes qui s'engagent par des vœux à suivre la règle propre à un ordre ou à une congrégation religieuse. Ce bénédictin a trente ans de religion. Habit de religion (Ac. 1798-1935). Pendant le noviciat de Marguerite et ses premières années de religion, les carmels de l'observance bérullienne lisent, relisent, savent par cœur la vie d'une autre « petite personne », Catherine de Jésus, morte en 1627 au second carmel de Paris (Bremond,Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 538). − Entrer en religion. Se faire religieux ou religieuse. Synon. prendre l'habit, prendre le voile.Je parvins à comprendre la beauté de la prière dans la solitude, et j'eus pour idée fixe d'entrer en religion, suivant la belle expression de nos pères (Balzac,Méd. camp., 1833, p. 235).Quelqu'un qui, venu du « monde », entre en art, y entre comme on entre en religion (Du Bos,Journal, 1928, p. 132). − Mettre une personne en religion. Faire entrer une personne en religion. Et il donne la raison qui, le plus souvent meut les parents à mettre leurs enfants en religion. C'est que les moines (...) se trouvent incapables d'hériter (A. France,Rabelais, 1909, p. 5). − Nom de religion. Nom pris par une personne entrant en religion, et qui remplace son nom laïque. J'ai oublié leurs noms de famille, je ne me rappelle que leurs noms de religion: Mary-Agnès et la sœur Anne-Joseph (Sand,Hist. vie, t. 3, 1855, p. 143).Mademoiselle X, en religion sœur sainte Geneviève, sœur Angèle (Ac.1935).Sa sœur Agathe, en religion sœur Marie des anges, cloîtrée aux carmélites de Toulouse (Vogüé,Morts, 1899, p. 86). − Vœux de religion. Vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté prononcés par un chrétien qui s'engage dans l'état religieux. Le chapitre général de 1233 les astreignit [des oblats] aux trois vœux de religion comme les pères (Huysmans,Oblat, t. 1, 1903, p. 190).Je dois vous donner lecture du décret de l'Assemblée qui suspend jusqu'à nouvel ordre les vœux de religion (Bernanos,Dialog. Carm., 1948, 4etabl., 1, p. 1651). B. − 1. Anciennement. Établissement monastique, couvent. Quand elle [la mère Angélique] lui parla [à saint François de Sales] d'entrer dans l'Ordre de la Visitation, il lui répondit avec humilité que cet Ordre était peu de chose, que ce n'était presque pas une religion (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 1, 1840, p. 244). 2. [Actuellement, dans le vocab. de l'admin. relig.] On appelle religion ou Institut religieux toute association de chrétiens qui ont émis des vœux publics et s'engageant à vivre conformément aux règles ou constitutions de leur société (...). Un Institut dont les membres émettent des vœux solennels est un ordre: tels les Bénédictins; si ce sont des vœux simples, c'est une congrégation religieuse (Marcel1938). − Absol., vx. La Religion ou la religion. L'Ordre de Malte. Ce chevalier avait servi tant d'années la religion. Les galères de la religion (Ac. 1835-1935). Monsieur, vous êtes de la Religion, vous appartenez à l'Ordre de Malte? (La Varende,Manants du Roi, 1938, p. 37). REM. 1. Religionnel, -elle, adj.Qui provient de la religion, de ceux qui ont une religion. [M. Deletre] y avait fait [dans l'Encyclopédie] l'article Fanatisme (...): cet article lui barra bien des chemins. Il y gagna d'avoir contre lui la haine religionnelle, comme il l'appelait, la plus forte de toutes et la plus acharnée (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 4, 1863, p. 344). 2. Religionnette, subst. fém.Religion facile et sans valeur. Je me vois raconter cela à des prêtres! Ils me diront que je n'ai pas à m'occuper d'idées mystiques et ils me présenteront en échange une religionnette de femme riche (Huysmans,En route, t. 1, 1895, p. 71). Prononc. et Orth.: [ʀ
əliʒjɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1130 « monastère » iglise de religiun (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 1, § 1); ca 1175 (Benoît de Ste-Maure, Chron. ducs de Normandie, 835 ds T.-L.); 2. ca 1150 « état d'une personne engagée par vœu dans un ordre monastique » [estre] de religïon (Wace, St Nicolas, 379, ibid.); 1174-76 prendre saint abit de religïun (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 3327); 1283 entrer en religion (Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 624, t. 1, p. 310). B. 1remoit. xiies. « ensemble des croyances, des pratiques impliquant des relations avec la divinité » commune religion [catholica religio] (Psautier de Cambridge, Symbolum apostolorum, 20, p. 289b: treis deus u seinurs dirre par commune religion sumes deveed); spéc. a) 1533 ceulx de la religion « les Protestants » (ds Herminjard, III, p. 84, d'apr. Richard, Kirchenterminologie, p. 21); 1568 ceux de la religion prétendue réformée (ds Haag, France protestante, Pièces justificatives, p. 84, ibid., p. 54); 1690 guerres de la religion (Fur.); 1701 guerres de religion (Id.); b) 1588 religion chrestienne (Montaigne, Essais, I, 23, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 120); ca 1590 religion Catholique (Id., op. cit., I, 56, p. 320); c) ca 1590 religion de Mahumet (Id., op. cit., II, 12, p. 532). C. 1. Ca 1145 « pratique, piété, dévotion (liées à l'adhésion d'une personne à une doctrine religieuse » estre de grant religïon (Wace, Conception N.-D., 1166 ds T.-L.); ca 1175 eclesïau religïon (Benoît de Ste-Maure, op. cit., 10211, ibid.); 1234 fausse relegïon (Huon de Méry, Tournoiement Antechrist, 867, p. 54, ibid.); 2. p. ext. a) ca 1210 « conscience, respect scrupuleux » (Herbert de Dammartin, Fouque de Candie, 1910, ibid.: Viex est et sages, de grant religïon); 1541 avoir [les sermens] en grande religion (Calvin, Instit., III, p. 143 ds Hug.); b) 1690 surprendre la religion [de quelqu'un] « abuser de sa bonne foi » (Fur.); c) 1797 éclairer la religion [de quelqu'un] (Idées sur la compétence du Conseil de guerre... concernant les prévenus d'embauchage, p. 6 ds Quem. DDL t. 13). Empr. au lat.religio « attention scrupuleuse; conscience »; spéc. « scrupule religieux, sentiment religieux, crainte pieuse; vénération, pratique religieuse, culte; croyance religieuse, religion » et « caractère sacré; engagement sacré; chose sainte, objet sacré ». Dans la lang. chrét. « vie religieuse, monastère; profession religieuse » (ves. ds Blaise Lat. chrét.; v. aussi Nierm.), « ordre religieux » (1143 ds Du Cange), « ensemble des vérités et des devoirs religieux » (s.d. ds Blaise Latin. Med. Aev.). L'orig. du mot lat. est discutée (Ern.-Meillet; Théol. cath. t. 13, col. 2182 sqq.). Fréq. abs. littér.: 11 287. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 23 242, b) 17 528; xxes.: a) 12 531, b) 11 239. Bbg. Meslin (M.). Qu'est-ce que la Religion? Foi Lang. 1977, n o4, pp. 241-248. − Quem. DDL t. 13. − Richard Kirchenterminologie 1959, pp. 20-22, 53-54. |