| RESPECT, subst. masc. A. − Vieilli. Action de prendre en considération quelque chose et p. ext., considération exagérée pour une opinion. Jeanne et son père (...) se remirent à rire en contrefaisant les gestes et les intonations des Briseville. Le baron imitait le mari, Jeanne faisait la femme, mais la baronne un peu froissée dans ses respects leur dit: « Vous avez tort de vous moquer ainsi, ce sont des gens très comme il faut, appartenant à d'excellentes familles » (Maupass.,Une Vie, 1883, p. 94). B. − Anton. irrespect. 1. Sentiment qui incite à traiter quelqu'un avec égards, considération, en raison de son âge, de sa position sociale, de sa valeur ou de son mérite. Moi, j'étais ravi: ma triste condition imposait le respect, fondait mon importance; je comptais mon deuil au nombre de mes vertus (Sartre,Mots, 1964, p. 11): 1. ... n'ayant rien découvert, malgré les perquisitions les plus fines, elle avait été saisie de respect, et bientôt d'amour, pour ce garçon, si loyal, si doux, si héroïque, et si fort!
Flaub.,Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 249. SYNT. Mériter, inciter, inspirer, commander, forcer le respect; devoir le respect à qqn, avoir le respect de sa fonction; marques, témoignage de respect; geste, attitude de respect; s'incliner, écouter, saluer avec respect; accabler, entourer qqn de respect; traiter qqn avec respect; affecter, feindre le respect; manquer de respect à qqn; n'avoir pas de respect, être sans respect pour qqn; respect des maîtres, des parents, des personnes âgées; respect filial. − Locutions ♦ [Pour atténuer l'effet choquant ou trivial de ce qui va suivre] Sauf (votre) respect (pop.), sous votre respect (vx), sauf le respect que je vous dois. Oh! capitaine, − répondait celui-ci en s'essuyant le front, − tant que le navire gouvernera, n'y a pas de soin, ça balance, c'est sauf respect, comme le tape-cul qui est à Nantes (Sue,Atar-Gull, 1831, p. 3).Elle est capable de faire des enfants, dit le marchand de sel; elle s'est conservée comme dans de la saumure, sous votre respect (Balzac,E. Grandet, 1834, p. 226).Il faudrait, par exemple, que vous parliez à M. Vingtras pour qu'il achète une culotte à Jacques, si vous ne voulez pas (esquissant un sourire) qu'il aille chez vous tout nu − sauf votre respect (Vallès,J. Vingtras, Enf., 1879, p. 378). ♦ Parlant par respect (pop., vieilli). Comment! t'arrêter (...) monsieur le commissaire, parlant par respect, on n'arrête que les misérables, entendez-vous (Sue,Myst. Paris, t. 4, 1842, p. 194). ♦ Par respect, pour le respect. En témoignage de considération, d'égards vis-à-vis de quelqu'un. On frappe: c'est MlleSergent; elle peut entrer, elle ne me gêne pas. Je la reçois en chemise pendant que Marie Belhomme passe précipitamment un jupon, par respect (Colette,Cl. école, 1900, p. 183).Puisque ça vous fait plaisir répondit-il je veux bien. Je vais passer dans la chambre à côté pour le respect (Aymé,Nain, 1934, p. 236). − En partic. Attitude honnête et décente vis-à-vis d'une femme. Manquer de respect à une femme. La noblesse est à ses yeux le premier des mérites; la chasse, le premier des plaisirs, et le respect pour les dames, le premier des devoirs (Sénac de Meilhan,Émigré, 1797, p. 1572).Nous aimons les femmes, nous les aimons bien (...) avec esprit et avec respect (Maupass.,Sur l'eau, 1888, p. 329). 2. P. ext. a) Sentiment de vénération, attitude de révérence envers le sacré. La science du bien et du mal est à jamais acquise; la foi se reconstruit, le respect des choses saintes nous est rendu (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 25).Si ce fellow se permet de lire le passage, je ne dirai rien dans l'église, par respect pour le lieu sacré; mais je vous promets qu'aussitôt après la cérémonie je lui boxerai les oreilles (Maurois,Sil. Bramble, 1918, p. 95). − Vx. Porter respect. Appeler la révérence. À la tribune [de l'Assemblée Nationale], l'effet de la soutane est divers: avec Parisis, elle porte respect; avec l'abbé Fayet, elle fait rire (Hugo,Choses vues, 1885, p. 201). b) Attitude de réserve, de piété envers une chose considérée pour sa valeur morale. Toucher qqc. avec respect; respect de la famille, du drapeau, de la loi, de la vérité, d'un idéal; respect dû aux institutions, à la vertu. La conduite de la cour, depuis le commencement de cette révolution, n'a pas toujours été en opposition avec les principes de l'égalité et le respect pour les droits du peuple (Robesp.,Discours, Guerre, t. 8, 1792, p. 76).Frédéric-Guillaume, s'il n'avait pas beaucoup de cœur, montra du moins cette fois qu'il avait le respect du courage et du talent (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 112). − (Avoir du) respect pour, (avoir le) respect de. (Avoir de la) considération pour une chose sans y adhérer ou y être associé soi-même. Avoir le respect des idées d'autrui; (avoir du) respect pour la gravité d'une situation, pour la chose jugée. Ma mère, pleine de respect pour les occupations de mon père, vint demander, timidement, si elle pouvait faire servir (Proust,J. filles en fleurs, 1918, p. 455). ♦ P. iron. Honorine, malgré toute mon amitié pour vous, et malgré mon respect pour votre vin blanc, je ne peux rien vous dire (Pagnol,Fanny, 1932, i, 2etabl., 2, p. 69). c) Fait de prendre en considération la dignité de la personne humaine. Le respect de soi-même. Le respect mutuel, né de l'échange entre individus se considérant comme égaux, suppose d'abord l'acceptation de valeurs communes, notamment celles de l'échange lui-même (Traité sociol., 1968, p. 252). − P. anal. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la large plaque à l'aigle apparurent, symé-triques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l'ennemi sentit le respect de la France (Hugo,Misér., t. 1, 1862, p. 407). − PHILOS. ,,Chez Kant, sentiment moral spécifique, distinct de la crainte, de l'inclination et des autres sentiments, qui ne provient pas comme eux de la sensibilité mais qui est un produit de la raison pratique et de la conscience de la nécessité qu'impose la loi morale`` (Morf. Philos. 1980). d) Absol. Le respect est une barrière qui protège également le grand et le petit, chacun de son côté peut se regarder en face (Balzac,Lys, 1836, p. 103). C. − Au plur., vieilli. Témoignage de considération, de déférence envers quelqu'un par la parole, par des actes. Martin Falleix rendit d'incroyables respects à madame Baudoyer, à laquelle il reconnut un esprit supérieur (Balzac,Employés, 1837, p. 61).Des respects l'entouraient. On murmurait son nom. Il se réfugia près d'une table, se laissant, avec courtoisie, saluer par des inconnus (Estaunié,Empreinte, 1896, p. 323). − [Dans une formule de politesse écrite ou orale] Mes respects, mon général. Seriez-vous assez bon pour présenter tous mes respects à MmeMichelet? (Flaub.,Corresp., 1863, p. 109).M. Duveyrier, − continua Mocquard, − a pu obtenir qu'une délégation de ces chefs vînt à Paris présenter ses respects à sa majesté (Benoit,Atlant., 1919, p. 21). ♦ Vieilli, au sing. Un domestique vint annoncer que le neveu de M. Lhéry demandait à présenter son respect et son gibier à la marquise (Sand,Valentino, 1832, p. 80). D. − Fait de considérer une chose comme juste ou bonne et ne pas y porter atteinte, ne pas l'enfreindre; fait d'y être fidèle. Anton. non-respect.Respect de la tradition, de la parole donnée, de la règle du jeu; respect de la propriété, des droits d'autrui, des libertés; respect des consignes, du code de la route; respect du texte, de la mélodie, de la partition. Le service des achats surveille attentivement l'exécution de la commande, en particulier, au point de vue du respect des délais de livraison (Villemer,Organ. industr., 1947, p. 97).Le gouvernement a préparé le présent projet de loi où il s'est efforcé de définir, dans le respect des principes fondamentaux de la République, les grandes lignes d'une politique nouvelle essentiellement fondée sur l'idée de coopération (Encyclop. éduc., 1960, p. 94). − En compos. Non-respect*. − Fait de se conformer à des règles, des prescriptions morales, sociales, religieuses. Le seul souci resté au cœur français, s'enrichir, et la non-confiance en un Dieu presque inconnu, avaient rayé de notre vie cette vivifiante, seule vivifiante chose, le respect du Dimanche (Verlaine,
Œuvres posth., t. 2, Voy. Fr., 1896, p. 73). E. − Respect humain. Crainte du jugement des hommes, attitude qui conduit à adopter des comportements conformistes dans la crainte de choquer, de déplaire, du qu'en-dira-t-on. Laforgue, Rosenthal et Bloyé perdirent ce qui leur restait de respect humain, ils s'y jetèrent aussi et se mirent à chanter (Nizan,Conspir., 1938, p. 43): 2. Ses courses solitaires dans les montagnes, dont la charité était le but et qui n'avaient jamais fait naître un soupçon, devinrent tout à coup le sujet des quolibets et des railleries. On parlait d'elle comme d'une femme qui avait perdu tout respect humain, et qui devait s'attirer justement d'inévitables et affreux malheurs.
Musset,Confess. enf. s., 1836, p. 272. F. − Tenir en respect. Tenir à distance, tenir sous le feu d'une arme. Les matelots de son embarcation étaient tenus en respect par le borgne et ses honnêtes amis (Sue,Atar-Gull, 1831, p. 9).Ainsi, je pouvais espérer que (...) la 2earmée pourrait s'installer sur le Grand-Couronné et la Meurthe de Nancy à Lunéville, en mesure de tenir en respect les forces ennemies qui l'avaient bousculée (Joffre,Mém., t. 1, 1931, p. 286). − Au fig. Éloigner, tenir à l'écart une chose, une personne, considérée comme un danger, une menace, une chose néfaste. « Chaque vie humaine est un chemin qui mène à Dieu ». Cette phrase, sauf erreur, est de Husserl. Bénis soient les hommes qui disent de telles choses, car elles aident à vivre et tiennent en respect le désespoir (Green,Journal, 1954, p. 327).En France, au contraire, la noblesse prétendit tout à la fois s'imposer au prince et tenir le tiers état en respect (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p. 2). Prononc. et Orth.: [ʀ
εspε]. Voir Nyrop Phonét. 1951 § 109: es = [εs] ds respect, etc. Fér. 1768 ,,rèspè et, s'il est suivi d'une voyelle, rèspek``; Land. 1834, Gattel 1841, Besch. 1845 [-spεk]. Passy 1914 et dep. [-spε]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1287 « fait de prendre en considération » a respect de (doc. Arch. Doubs ds Gdf. Compl.); ca 1590 (Montaigne, Essais, II, VIII, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 398: ayant respect et à l'interest universel de la cité et à celuy de vostre famille); 2. av. 1540 « vénération, déférence portées à quelqu'un » dame de respect « respectable, estimable » (Collerye, M. de Delà et M. de Deçà, p. 142 ds Hug.); 1559 (Amyot, trad. Plutarque, Vies, Nicias, XXVII, éd. G. Walter, t. 2, p. 29: celui à qui l'on a plus de respect); 1580 plur. (Montaigne, op. cit., I, XLII, p. 266: ces respects se doivent à la royauté, non à moy); 1636 sauf vostre respect « quod liceat dicere » (Monet, p. 760b); 3. 1651 respect humain (Corneille, Nicodème, IV, 2); 4. fin xviies. « attitude qui incline à ne pas porter atteinte à quelque chose » pour le respect de la loi de Dieu (Bourdaloue, Purif. de la Vierge, Myst., t. 2, p. 183 ds Littré). Empr. au lat.respectus (propr. « action de regarder en arrière ») « considération, égard » [respectu alicujus rei], de là le sens 1, d'où sont issus les sens 2 (en prov. dep. 1455 ds Pansier t. 3) et 4; v. aussi répit. Fréq. abs. littér.: 5 857. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 10 828, b) 8 764; xxes.: a) 7 463, b) 6 483. Bbg. Cornulier (B. de). La Notion de dérivation délocutive. R. Ling. rom. 1976, t. 40, p. 130. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 15. |