| PASSION, subst. fém. A. − [Avec une idée de durée de la souffrance ou de succession de souffrances] Action de souffrir; résultat de cette action. 1. HIST. RELIG. CHRÉT. a) Au sing. [Gén. avec une majuscule] Souffrances, supplices qui précédèrent et accompagnèrent la mort de Jésus-Christ. La Passion; la Passion du Christ, du Sauveur, du Seigneur; le Mystère de la Passion; le récit de la Passion. Tous les vendredis, en mémoire de la Passion douloureuse de Notre Seigneur, et pendant le Carême tous les jours, elle se faisait donner en secret la discipline avec sévérité (Montalembert, Ste Élisabeth, 1836, p.46).Quand Jésus commençait sa longue passion, Le crachat qu'un bourreau lança sur son front blême Fit au ciel à l'instant même Une constellation! (Hugo, Châtim., 1853, p.226).Au moment de la Passion tous les apôtres abandonnèrent le Christ (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p.225). − P. anal. Supplices subis par les martyrs. La Passion de Saint Sébastien (Ac.). − LITURGIE ♦ Dimanche de la Passion. Deuxième dimanche avant Pâques. En avril 1919 (...) ce devait être entre le dimanche de la Passion et celui de Pâques (Green, Journal, 1941, p.84). ♦ Jour de la Passion. Jour anniversaire de la Passion du Christ. Le 12 avril 1261, jour de la Passion (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p.226). ♦ Semaine de la Passion. ,,La semaine sainte consacrée au souvenir des souffrances et de la mort du Sauveur`` (Marcel 1938). b) Absol. [Gén. avec une majuscule]
α) Récit évangélique, cérémonie liturgique ayant pour thème la Passion. La Passion selon saint Jean, saint Luc, saint Matthieu. La Passion selon S. Marc (...). L'agencement du récit semble comporter, après une introduction (...), deux parties: la passion secrète (...) et la passion intérieure décrivant l'abandonnement réalisé progressivement (...). La seconde partie, ou passion physique (...), présente successivement le jugement (...) par les Juifs qui condamnent Jésus comme Messie, par Pilate qui le condamne comme Roi des Juifs, puis l'exécution du jugement (...), crucifixion, mort, sépulture (Bible Suppl.t.61960, p.1474).V. agonisant ex. 33.
β) Spécialement − Sermon sur les souffrances de Jésus-Christ que l'on prêche durant la semaine sainte. Il a prêché la Passion (Ac. 1935). J'ai entendu la Passion de tel prédicateur (Ac. 1935). Bourdaloue a composé plusieurs Passions (Ac. 1935). − THÉÂTRE MÉDIÉV. Mystère du Moyen Âge dont le sujet traite la passion du Christ. Jouer une Passion (Lar. encyclop.). ♦ Confrérie, confrères de la Passion. (Association de) jeunes clercs qui, sous Charles VI et jusqu'à la fin du xviies., avaient le monopole de ces représentations et qui, au xviies., étaient devenus une association détenant des privilèges sur le théâtre à Paris. Le privilège exclusif des confrères de la Passion ne s'étendait qu'aux Mystères (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr., 1828, p.177).À l'Hôtel de Bourgogne (...) Valleran Le Conte doit sous-louer le produit des loges et de l'amphithéâtre; en février 1612, il joue avec la troupe italienne de Jean-Paul Alfieri et les Confrères de la Passion saisissent la recette (G. Mongrédien, J. Robert, Les Comédiens fr. du XVIIes., Paris, éd. du C.N.R.S., 1981, p.198). ♦ (Théâtre de) la Passion. Troupe théâtrale qui, de nos jours, joue des pièces à caractère religieux, en particulier la Passion de Jésus-Christ. Le Théâtre de la Passion de Nancy vient de perdre l'un des siens (...). Camille Kleinclauss (...) a fait ses débuts sur la scène de la Passion (...) dans les bras de sa mère, lors de la scène de l'entrée du Christ à Jérusalem. Il (...) participa, comme comédien, à tous les spectacles du Théâtre de la Passion d'avant et après la Seconde Guerre mondiale (L'Est Républicain, 8 mai 1985, p.2). − MUS. Version musicale de la Passion du Christ, inspirée du texte des Évangiles. Êtes-vous allé (...) à la grand'messe? (...) Vous eussiez entendu chanter l'admirable Passion de saint Mathieu (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1891, p.72).Les grandes Passions (...) composées depuis le XVIIIes. par les maîtres protestants allemands, et surtout les chefs-d'oeuvre de Bach, Passion selon saint Jean et Passion selon saint Mathieu, tiennent un rang intermédiaire entre l'ancienne Passion liturgique et l'oratorio moderne, qui a pour texte, au lieu des versets de l'Évangile, un poème plus ou moins analogue au plan et au style de l'opéra (BrenetMus.1926, p.313). − PEINT. ,,Suite de toiles représentant la passion du Christ`` (Hugues, Expr. atelier, s.d.).
γ) [Dans des syntagmes] − BLASON ♦ Croix de la Passion. ,,Croix dont la barre est placée vers le haut comme celle où Jésus fut attaché`` (Ac. Compl. 1842). ♦ Clous de la Passion. Clous de forme particulière, évoquant ceux utilisés pour la crucifixion du Christ. Les Machiavelli de Florence portaient d'argent à la croix d'azur anglée de quatre clous de la passion (Ac. Compl. 1842). − BOT. Fleur de la passion. Synon. de grenadille, passiflore, passionnaire.En ce temps-là j'étais crédule Un mot m'était promission Et je prenais les campanules Pour les fleurs de la passion (Aragon, Rom. inach., 1956, p.153).V. passionnaire B ex. de Bouillet. ♦ Fruit de la passion. Fruit de cette plante. Sorbet aux fruits de la passion. Les marchands d'arôme (...) s'orientent vers les fruits exotiques. Des yaourts aux fruits de la passion sont apparus. Le marché est assez lent à réagir (Le Monde dimanche, 26 juill. 1981, p.xiv). 2. Vx ou littér. [Le plus souvent dans un cont. métaph., p.allus. à la Passion du Christ; gén. avec une majuscule] Ce qui est subi, supporté de très pénible; grande souffrance (généralement corporelle), tourment. Que dire de ces villageois qui suspendent une oie vivante pour la décoller de loin au tranchant du bâton? Leur maladresse prolonge son martyre, et ils s'amusent pendant plus de deux heures, de la Passion de cette pauvre bête (MercierNéol.1801).Jésus-Christ n'eût pas fondé une croyance s'il n'avait eu ses quarante jours de passion... Or, ma passion à moi..., ma croix, c'est Sainte-Hélène (Dumas père, Napoléon, 1831, vi, 4, p.151): 1. Mais n'appartient-il pas à toute mère de souffrir, et, depuis Celle dont nous adorons le fruit ineffable, n'y-a-t-il pas quelque adoucissement pour les autres à faire comparaison de leurs douleurs, malgré tout bornées, avec toute cette Passion dont Elle fut crucifiée dans son amour?
Toulet, Tendres mén., 1904, p.162. − Loc. fig., fam. Souffrir mort et passion. Éprouver de très vives souffrances, être torturé par quelque chose. Il hésitait à chaque moment dans son discours: je souffrais mort et passion de l'entendre, à l'entendre (Ac.).Dans la torture de cette vie, où elle souffrait mort et passion, Germinie (...) était revenue au verre qu'elle avait pris un matin des mains d'Adèle et qui lui avait donné toute une journée d'oubli (Goncourt, G. Lacerteux, 1864, p.153). − PATHOL., rare. Nom de plusieurs maladies très douloureuses. ♦ Passion (hystérique). Synon. affection hystérique (v. affection2I C).La passion ou affection hystérique, à laquelle on donne souvent le nom de vapeurs, et qui fait le tourment de bien des femmes, (...) a beaucoup de rapport avec l'affection mélancolique et hypocondriaque, à laquelle les hommes sont plus sujets (Geoffroy, Méd. prat., 1800, p.490). ♦ Passion iliaque. Synon. colique de miserere (v. ce mot B).La passion iliaque consiste dans une irritation spasmodique de l'intestin, annoncée par une constipation opiniâtre et des vomissements de matières fécales qui se trouvent entraînées par un effet de la perturbation du mouvement péristaltique (Encyclop. méthod. Méd.t.111824). B. − Vx. [P. oppos. à action volontaire] 1. HIST. PHILOS., PHYSIOL. a) ,,Chez Aristote, celle des dix catégories (gr. pathos) qui désigne l'accident consistant à subir une action`` (Morf. Philos. 1980). Un corps en repos ne nous fournit aucune idée d'une puissance active capable de produire du mouvement; et quand le corps lui-même est en mouvement, ce mouvement est dans le corps une passion plutôt qu'une action (Cousin, Hist. philos. mod., t.3, 1847, p.161).Le couple action-passion, effort-résistance, ne commande pas exclusivement ni même essentiellement mon rapport au monde (Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p.316): 2. ... les passivités (...) forment la moitié de l'existence humaine. Cette expression veut dire, tout naïvement, que ce qui n'est pas agi, en nous, est par définition, subi. Mais elle ne préjuge en rien des proportions suivant lesquelles action et passion se divisent notre domaine intérieur. En fait, les deux parts, active et passive, de nos vies sont extraordinairement inégales.
Teilhard de Ch., Milieu divin, 1955, p.72. b) ,,Chez les cartésiens, elliptiqt(pour: passions de l'âme): tous les états de l'âme résultant des impressions produites par les esprits animaux; ou même (Descartes) tous ceux qui ne se rattachent pas à la volonté`` (Foulq.-St-Jean 1962); p.ext., ,,tous les mouvements de la sensibilité en général`` (Franck 1875). Synon. émotion.[Descartes] substitue à ces trois facultés [la concupiscible, l'irascible et la raisonnable] six passions primitives, qui sont l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse (Bern.-de St-P., Harm. nat., 1814, p.266).Descartes (...) dans son Traité des passions (...) a fait voir que la passion, quoiqu'elle soit toute dans un état de nos pensées, dépend néanmoins des mouvements qui se font dans notre corps; c'est par le mouvement du sang, et par la course d'on ne sait quel fluide qui voyage dans les nerfs et le cerveau, que les mêmes idées nous reviennent (Alain, Propos, 1911, p.112): 3. ... des trente-huit «passions» qu'étudie Descartes [dans le Traité des passions], la plupart concernent des conduites interpersonnelles (...). Ce sont des «inclinations» à l'action, qui sont d'abord données, «reçues en l'âme»; la notion est très voisine de celle d'attitude au sens large. Les passions de Descartes sont donc orientées vers quelque chose, vers des «objets»...
Traité sociol., 1968, p.341. 2. GRAMM. Rôle du sujet qui reçoit l'action. Le passif marque la passion du sujet (Ac.).[Le participe] est toujours l'expression de la qualité du sujet qui est, soit dans le présent, soit dans le passé. Il n'y a là ni action, ni passion; c'est toujours un état, et le même état, dans des époques différentes (Destutt de Tr., Idéol. 2, 1803, p.95). C. − [Avec une idée de démesure, d'exagération, d'intensité] 1. Domaine de l'esprit et des sentiments.Tendance d'origine affective caractérisée par son intensité et par l'intérêt exclusif et impérieux porté à un seul objet entraînant la diminution ou la perte du sens moral, de l'esprit critique et pouvant provoquer une rupture de l'équilibre psychique. La clinique ne connaît pas d'avares qui «guérissent»; leur passion se renforce d'un culte intolérant qui les rend agressifs pour tous ceux qui semblent le contester peu ou prou (Mounier, Traité caract., 1946, p.536).V. amour ex. 1, 112: 4. ... son avarice s'était accrue comme s'accroissent toutes les passions persistantes de l'homme. Suivant une observation faite sur les avares, sur les ambitieux, sur tous les gens dont la vie a été consacrée à une idée dominante, son sentiment avait affectionné plus particulièrement un symbole de sa passion. La vue de l'or, la possession de l'or était devenue sa monomanie.
Balzac, E. Grandet, 1834, p.212. SYNT. Passion aveugle, déchaînée, dévorante, effrénée, égoïste, exclusive, fébrile, furieuse, généreuse, impétueuse, véhémente, violente; passions humaines; passions mauvaises; folle, grande, noble, vive passion; ardeur, assaut, asservissement, choc, conflit, entraînement, fièvre, fureur, ravage, tumulte, violence de la/des passion(s); la passion aveugle, naît, s'assoupit, se calme, se réveille; assouvir, calmer, contenir, dominer, faire taire, maîtriser, modérer, réfréner, réprimer, retenir, satisfaire, suivre, vaincre sa/ses passion(s); commander, être exposé, imposer silence, lâcher la bride/les rênes, obéir, résister, se laisser aller à ses passions/aux passions; assouvir, dominer, éprouver, éveiller une/des passions; lutter contre une/des passion(s); être l'esclave de ses passions. ♦ Passion dominante. Passion qui exerce le principal empire sur une personne. La passion dominante s'y fait aisément reconnaître [chez le malade]: l'avare tient sur ses trésors enfouis les propos les plus indiscrets; tel autre meurt assiégé de religieuses terreurs (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p.255).V. dominant ex. de About. ♦ Passion de/pour + subst.Je n'ai eu qu'une passion dans ma vie, c'est la passion des femmes. Mais autant j'étais passionné, autant j'étais difficile dans mes choix (Janin, Âne mort, 1829, p.115).J'étais jalouse de la place qu'elle [ma mère] occupait dans le coeur de mon père car ma passion pour lui n'avait fait que grandir (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p.108). − En partic. [Avec une valeur laud., la passion comme source de volonté] Tendance dominante qui, contrôlée par la raison, sert de moteur à l'action, permet la réalisation de grandes entreprises. Nous verrons avec quelle passion brûlante Gandhi ne cesse de combattre cette iniquité sociale [la question des parias] (Rolland, Gandhi, 1923, p.42): 5. ... pour faire la guerre, il fallait être rempli d'un amour, d'une passion véhémente, il fallait être exalté par une ivresse, sans quoi elle restait inhumaine et absurde. Quelle était donc la passion si forte qu'elle pouvait ainsi soulever, entraîner l'homme? Était-ce un idéal de justice, de beauté, de fraternité?
Roy, Bonheur occas., 1945, p.387. ♦ [Le plus souvent avec un compl. déterminatif] Passion de + subst. ou verbe à l'inf.Passion du bien, de la justice, de la liberté, de la vérité. Des hommes intrépides, guidés par (...) la passion des découvertes, avaient reculé pour l'Europe les bornes de l'univers (Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794, p.121).La passion de savoir qui anime un autodidacte, dans son travail solitaire (Guéhenno, Jean-Jacques, 1948, p.88). ♦ (Faire qqc.) avec passion.(Faire quelque chose) avec une extrême ardeur, avec exaltation (généralement avec idée de persistance). Ah! si tu lis dans mon coeur, tu sais combien il désire la vérité; tu sais qu'il la recherche avec passion (Volney, Ruines, 1791, p.24). 2. En partic., domaine des sentiments a) Amour violent et exclusif inspiré par une personne et dégénérant parfois en obsession. Synon. adoration, ardeur (poét.), feu (poét.), flamme (poét.), idolâtrie.Ô mon Dieu! (...) tu retireras de mon coeur le trouble et l'orage de la passion qui me tourmente, comme tu retires d'un mot la tempête qui a soulevé la mer (Krüdener, Valérie, 1803, p.175).Sévères jusqu'à la cruauté pour les jeunes filles qui ont succombé à la passion, nous sommes d'une indulgence plus que plénière pour les jeunes garçons qui font la même chose (Le Dantec, Savoir!1920, p.71).V. amour ex. 116, 129, exalter ex. 3: 6. ... est-ce une passion? est-ce l'amour? L'amour n'existant pas sans la connaissance intime des plaisirs qui le perpétuent. La duchesse était donc sous le joug d'une passion; aussi en éprouva-t-elle les dévorantes agitations, les involontaires calculs, les desséchants désirs, enfin tout ce qu'exprime le mot passion [it. ds le texte]: elle souffrit.
Balzac, Langeais, 1834, p.308. SYNT. Passion éteinte, refroidie, morte; aveuglement, bouillonnement, brasier, embrasement, feu, orage, ouragan de la/des passion(s); la passion brûle, consume, couve, dévore; allumer, attiser, éteindre la/les passion(s); rallumer sa/ses passion(s). V. aussi supra syntagmes C 1. ♦ L'amour-passion. Variété la plus intense de l'amour. [M. de Meilhan] a dit encore en parlant des femmes et de l'amour-passion (car l'expression est de lui), et en convenant qu'il ne l'avait jamais éprouvé: «En France, les grandes passions sont aussi rares que les grands hommes» (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t.10, 1854, p.106).V. amour ex. 126. − Locutions ♦ Aimer (qqn) de passion (vx), à la passion, avec passion. Aimer (quelqu'un) intensément, violemment, de façon exclusive. Trop fière pour confier son malheur à personne et trop honnête pour tromper aucun homme, elle a rompu avec M. de La Marche, qu'elle aimait à la passion, et qui l'aimait de même (Sand, Mauprat, 1837, p.329).Non, elle [MmeRécamier] n'a jamais aimé, aimé de passion et de flamme (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t.1, 1849, p.125). ♦ Faire une passion. Inspirer un grand amour. Je fais une passion à mon tour (...) et j'épouse (Dumas père, Demois. St-Cyr, 1843, i, 2, p.96). − P. méton. Objet de la passion amoureuse: 7. Un jeune homme pauvre peut seul savoir ce qu'une passion coûte en voitures, en gants, en habits, linge, etc. Si l'amour reste un peu trop de temps platonique, il devient ruineux. Vraiment, il y a des Lauzuns de l'école de droit auxquels il est possible d'approcher d'une passion logée à un premier étage.
Balzac, Peau chagr., 1831, p.120. b) Absol. Tendance naturelle à éprouver des sentiments d'une intensité peu commune; affectivité, émotion, sentimentalité, sensibilité. MmeLavenelle est sèche comme un parchemin (...) et surtout sans passion, sans possibilité d'être émue (Stendhal, Souv. égotisme, 1832, p.48).Leur conseil [des femmes] peut être excellent, mais à condition de le rectifier sans cesse et de l'expurger de cette part de passion et d'émotivité qui, presque toujours, chez la femme, vient sentimentaliser la pensée (Gide, Journal, 1940, p.61). c) Domaine de l'expression
α) Domaine du comportement physique ou psychique.Expression intense des émotions, des sentiments. Synon. ardeur, chaleur, élan, exaltation, feu, fièvre, transport; anton. calme, détachement, froideur.Parler avec passion. [Outougamiz] saisit la chaîne d'or, la regarde avec passion, la veut jeter dans le torrent, puis la presse contre son coeur et la suspend de nouveau sur sa poitrine (Chateaubr., Natchez, 1826, p.388).Les baisers remplis de passion, et tels que jamais elle n'en avait reçu de pareils, lui firent tout à coup oublier que peut-être il aimait une autre femme (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p.66).
β) Domaine des arts (litt., mus., peint.).Expression intense des émotions de l'artiste ou de ses personnages. Synon. chaleur, feu, flamme, lyrisme, pathétique, sensibilité.Chanter, danser avec passion; oeuvre, page pleine de passion. Le Conservatoire est graduellement arrivé à une interprétation sans vie et sans passion, froide comme une leçon bien apprise, officielle comme un texte de loi (P. Lalo, Mus., 1899, p.346).Les deux préfaces pleines de vie et de passion composées par Lefranc pour le Gargantua et le Pantagruel de la grande édition Champion des OEuvres de Rabelais (L. Febvre, Sur Rabelais, [1931] ds Combats, 1953, p.248).Ce mélange unique de talents et de facultés contraires, de passion et de sécheresse, de force créatrice et de pouvoir destructeur, expliquent assez le prestige extraordinaire qui l'entoure [Picasso] (Gillet, Art fr., 1938, p.177). d) Vieilli. Vif désir, volonté de. Je me souviens de la passion avec laquelle vous désiriez de rentrer dans votre jolie maison de Greenock, et je comprends tout ce que cette espérance frustrée a dû vous laisser de chagrins (Nodier, Fée Miettes, 1831, p.93). − Passion de + subst. ou verbe à l'inf.J'ai une terrible passion de ton retour (Staël, Lettres div., 1794, p.553).Je suis plus calme aujourd'hui parce qu'elle n'oppose pas un obstacle positif à ma passion de la voir (Constant, Journaux, 1815, p.431). 3. Fam., domaine du corps ou de l'esprit.Asservissement, dépendance à quelque chose; manie tyrannique. La passion de l'alcool, du tabac, des courses: 8. ... si l'amour naît de la communion des personnes, la passion ne jaillit au contraire que du contact des choses: tout devient nature, force, animalité. Rien ne marque mieux cette aliénation réciproque que la passion du jeu, en laquelle s'achève toute passion. Nul succès ne dépend plus de moi; je dois tout à la fatalité et à la roulette. J'obéis.
J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p.215. D. − P. ext. [Sens affaibli] Très vive attirance, goût extrême, penchant très vif et persistant pour quelque chose ou quelqu'un, pour un type d'activité, un domaine de la recherche, de l'art, etc. Synon. amour, emballement, engouement, enthousiasme, folie, marotte (fam.); anton. aversion, haine, horreur, indifférence.Se livrer à sa passion. Rilke écrit à Benvenuta (...): (...) je fus repris à l'improviste par cette vieille passion [le piano]. Il faut que tu le saches: ce fut sans doute la plus grande passion de mon enfance et aussi mon premier contact avec la musique (Bachelard, Poét. espace, 1957, p.76). − [Le plus souvent avec un compl. déterminatif] ♦ Passion de/pour + subst.La passion de l'automobile, des chevaux, des études, des femmes, des mathématiques, de la musique, des papillons, d'un pays. La passion de la botanique, que J. J. Rousseau eut l'avantage de développer en elles (Jouy, Hermite, t.3, 1813, p.181).L'impératrice Joséphine a manifesté un goût prononcé, voire une passion, pour l'orfèvrerie (Grandjean, Orfèvr. XIXes., 1962, p.12). ♦ Passion de + verbe à l'inf.La passion de voyager. [Jean Martin] a comme bien des Français la passion de connaître (Leprince-Ringuet, Atomes et hommes, 1957, p.78). − Locutions ♦ Aimer à la passion (qqc.). Aimer extrêmement, à la folie. Des pastilles que M. De C. m'a rapportées de Constantinople; j'aime cette odeur à la passion (Jouy, Hermite, t.2, 1812, p.37).Cet homme est fou de la danse, je m'ennuie à voir danser; il ne peut souffrir la comédie, j'aime la comédie à la passion (Guéhenno, Jean-Jacques, 1950, p.266). ♦ (Faire qqc.) avec/sans passion. (Faire quelque chose) avec, sans grand enthousiasme, grand intérêt. Étudier, faire, préparer (qqc.) avec/sans passion; pratiquer l'équitation, la chasse avec passion. Cette Histoire socialiste [de Jaurès] que nos vingt ans dévorèrent avec passion (L. Febvre, A. Mathiez, [1932] ds Combats, 1953, p.345). ♦ Avoir la passion de, avoir une passion pour. Avoir un intérêt, un goût extrême pour. Avoir une passion pour le sport. Mon père, né dans les états de Gérold, avoit la passion des voyages (Genlis, Chev. Cygne, t.2, 1795, p.183). ♦ Avoir de la passion. [En parlant d'une chose] Présenter beaucoup d'intérêt pour. On peut concevoir (...) qu'on «mise», à quelque jeu de hasard que ce soit, par exemple à la roulette (...), des enjeux tout à fait symboliques, des «haricots» par exemple. Mais pour que le jeu ait quelque passion il faut que ces légumes soient investis (...) d'une autre valeur qu'alimentaire (Jeux et sports, 1967, p.448). ♦ Prendre en passion (qqc./qqn) (vieilli). S'intéresser vivement à; être enthousiasmé, emballé par. Prendre en passion son élève. J'ai vu des officiers prendre cette existence [la vie militaire] en passion au point de ne pouvoir la quitter quelque temps sans ennui (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p.69).Se prendre de passion pour (qqc./qqn). Ce jour, mardi, excellente musique le soir, de la princesse et de Batta. Je me prends de passion pour ce dernier (Delacroix, Journal, 1854, p.188). ♦ Tenir en passion (qqn). [En parlant d'un événement] Intéresser vivement (quelqu'un). Synon. tenir en haleine*.Pas de nouvelles! −Mais un miracle, un prodige Qui tient depuis deux mois Paris en passion! (Hugo, Marion Del., 1831, p.196). − P. méton. Objet de ce goût extrême, de ce penchant. [Le Comte Strogonof] était grand protecteur des arts (...) Son tic, sa passion, l'objet principal de ses pensées habituelles était l'église cathédrale de Notre-Dame de Casan (J. de Maistre, Corresp., 1811, p.66).Deux délicieuses ombrelles: l'une en soie rose, à glands d'argent, à manche de nacre, ma passion, mon amour (Éluard, Donner, 1939, p.37).Sa plus forte passion, c'est la chasse (Dupré1972). E. − Péjoratif 1. Domaine du comportement intellectuel, pol., idéol.[La passion en tant qu'état affectif est caractérisée par l'impulsivité, la non-maîtrise de soi, la violence] Jugement irraisonné qui manque d'objectivité et peut conduire au fanatisme; emportement polémique dû à l'affectivité qui perturbe le jugement et la conduite. Synon. parti(-)pris (v. parti), préjugé, prévention; anton. lucidité, mesure, raison.Xénophon me choque par sa partialité pour Lacédémone. Il parle souvent avec passion de leurs ennemis (Michelet, Journal, 1820, p.75).J'espère que ce n'est [ta lettre] qu'un de ces premiers mouvements de passion politique qui nous aveuglent pour un moment sur la nature d'une démarche mais qu'avec un peu de réflexion la conscience de l'homme nous fait juger et condamner (Lamart., Corresp., 1831, p.386): 9. Hugo De Groot, ayant éprouvé lui-même la vanité des luttes religieuses, consacra son oeuvre majeure (...), à montrer l'intérêt pour l'humanité de substituer des modes de pensée et d'action rationnels au déchaînement des passions. Continuateur peut-être inconscient des canonistes espagnols, il affirme ainsi, au-dessus des querelles dogmatiques ou dynastiques, l'existence d'une loi naturelle, mais qui (...) dérive des rapports mêmes de sociabilité entre communautés humaines.
Chazelle, Diplom., 1962, p.20. SYNT. Passion confessionnelle, partisane, religieuse, nationale; la passion égare, ne raisonne pas; céder aux passions; discuter, juger, parler avec/sans passion; se dépouiller de toute passion; se laisser aveugler, égarer par la passion; jugements de passion. 2. En partic. Vice, ,,goût très marqué, souvent exclusif pour une composante particulière et considérée comme aberrante de l'activité sexuelle (sadisme, masochisme, fétichisme, sodomie, etc.)`` (Cellard-Rey 1980). [Magnard] emporté, à l'âge dangereux, par une passion charnelle défendue (L. Daudet, Brév. journ., 1936, p.19). ♦ (Personne) à passions. (Personne) dont le comportement sexuel est marqué par une passion, qui a recours à un vice pour satisfaire sa sexualité. Vous êtes encore trop jeune pour bien connaître Paris, vous saurez plus tard qu'il s'y rencontre ce que nous nommons des hommes à passions (Balzac, Goriot, 1835, p.58).Arg. Mec à passions (Sandry-Carr. 1963). Un gars à passions (Car. Argot 1977). REM. 1. Passionisme, subst. masc.Attitude consistant à considérer l'amour sous l'aspect de la passion. Le passionisme est peut-être un des traits qui caractérisent le mieux la conception de l'amour depuis huit siècles (J. Guitton, Essai sur l'amour humain, 1938, p.41 ds Rheims 1969). 2. Passionnalité, subst. fém.Caractère de ce qui est soumis à la passion (supra C). Swinburne (...) a cette flamme, ce délire du cerveau et des sens, cette exacerbation de la passionnalité qui est bien la caractéristique de notre fin de siècle (G. Moureyds R. indépendante, juin 1889, no32, p.376). Prononc. et Orth.: [pasjɔ
̃], [pɑ-]. Mart. Comment prononce 1913, p.38: ,,Je ne conseille pas de fermer l'a dans passion``. Fouché Prononc. 1959, p.85: L'[ɑ] ne fait que se survivre dans (...) passion``. Martinet-Walter 1973 [a], [ɑ] (9/7). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.I. Action de souffrir A. 2emoitié xes. «supplice subi par un martyr» (St Léger, éd. J. Linskill, 240); fin xes. «supplice subi par le Christ pour le rachat de l'humanité» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 12); 1119 «récit du supplice du Christ dans les Évangiles» (Philippe de Thaon, Comput, 2750 ds T.-L.: E ço lisant truvum Enz en la passïun); 1402, 4 déc. art dram. Confrarie de la Passion (Lettre patente de Charles VI ds L. Petit de Julleville, Les Mystères, t.1, p.417; cf. A. Thomas ds Romania t.21, p.606); 1671, 26 mars «sermon sur le thème de la Passion» (Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, no149, t.2, p.130: ... aller à la Passion du P. Bourdaloue). B. 1erquart xiies. «souffrance physique» (Lapidaire de Marbode, 401 ds Studer-Evans, p.44); 1135 (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis [ms. A], 680). II. Affection de l'âme A. 1. Déb. xiiies. passion d'amor (Chastoiement d'un père à son fils, éd. A. Hilka et W. Söderhjelm, version en vers, A, 388: Si se sont bien aveseié: Quant n'i truevent [li mire] mal ne dolor Que ce est passion d'amor); ca 1265 (Brunet Latin, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, II, XIV, 2, p.183: en l'ame de l'home sont .III. poissances, c'est abit, pooir et passion. Passions sont si come amour, leesce et misericorde; et totes choses de quoi ensieut volenté et moleste sont sous ces choses de passion); 1569 «souffrance torturante provoquée par l'amour» (Ronsard, 7el. des poèmes; sonnets, II, éd. P. Laumonier, t.15, p.228: ... telle passion De mon amour donne assez tesmoignage); 1572 plur. manifester ses passions a sa dame (Desperiers, Nouv. recreat., fol. 290 ro(éd. L. Lacour II, 388) ds Gdf. Compl.); 2. début xvies. passion partizane «parti pris» (D'Aubigné, Tragiques, Aux lecteurs ds OEuvres, éd. E. Réaume et F. de Caussade, t.4, p.8); 1607 sans passion «sans parti pris» (H. d'Urfé, L'Astrée, 1repart., IV, éd. H. Vaganay, t.1, p.127); 3. 1621 «vive affection pour quelque chose» ici, la liberté (Malherbe, trad. XXXIIIelivre de Tite Live, chap.32 ds OEuvres, éd. L. Lalanne, t.1, p.439); 4. 1671 «(en parlant d'une personne) objet d'affection» (E. Fléchier ds Rec. des oraisons funèbres; duc de Montausier, Paris, 1808, p.19); 5. 1674 «chaleur, sensibilité animant une oeuvre littéraire» (Boileau, Art poétique, III ds OEuvres, éd. F. Escal, p.169: Que dans tous vos discours la passion émuë Aille chercher le coeur, l'échauffe et le remuë). B. philos. 1370 «fait de subir; impression reçue par le sujet [opposé à action]» (N. Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, V, 8, fol. 96d, p.289: Car se un a esté navré et l'autre le ait navré... tele accion et tele passion sont divisees par inequalité [note 5:] Il prent ici passion pour souffrance distinguée contre accion; si comme estre batu, estre occis... c'est passion; et faire teles choses, c'est accion); 1558 «conditions (péché, misère, mort...) que l'homme subit de nature» (Calvin, Bible, Lyon, Michel Du Boys, Actes, XIV, 14: Nous sommes aussi hommes, subjects à mesmes passions que vous); 1649 (Descartes, Passions de l'âme, 1repart., art.1 ds OEuvres, éd. A. Bridoux, p.695: tout ce qui se fait ou arrive de nouveau est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu'il arrive). Empr. au lat. passio, -onis, formé sur le part. passé du verbe pati «souffrir». Son empl. étant attribué une 1refois par le grammairien Charisius (ives.) à Varron au sens de «douleur morale», passio est réellement att. dep. le iies. (Apulée) au sens de «fait de subir, de souffrir, d'éprouver» (empl. au sens de «action de subir de l'extérieur», comme quasi-synon. de «accident» −passio opposé à natura −par Ambroise, Hexameron, 2, 3, 14 ds Blaise Lat. chrét.), spéc. «souffrance physique, douleur, maladie» (iiies., Caelius Aurelianus); empl. pour désigner les souffrances du Christ (textes patristiques, dep. Tertullien), celles des martyrs (Tertullien ds Blaise Lat. chrét.), le récit des martyres (397, concile de Carthage, ibid.), le dimanche avant Pâques (viies., Sacramentaire de Gélase, ibid.). Passio connaît à partir de la fin du iiie-déb. ives. un empl. actif au sens de «mouvement, affection, sentiment de l'âme» (Arnobe, St Augustin, ibid.), spéc., le plus souvent au plur. et d'empl. péj., «les passions»: passiones peccatorum, passiones carnales. Pour l'évolution du mot fr., v. aussi E. Lerch ds Arch. rom. t.22, 1938, pp.320-49. Fréq. abs. littér.: 13844. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 26770, b) 16369; xxes.: a) 16892, b) 17098. DÉR. Passionniste, subst. masc. et adj.a) Subst. masc.
α) Membre d'une congrégation masculine, vouée à la contemplation et à la prédication de la Passion du Christ. Au mont Albane, un peu au-dessous du couvent des Passionnistes (Sainte-Beuve, Volupté, t.2, 1834, p.274).Empl. subst. fém. Membre d'une congrégation féminine fondée par Paul de la Croix en 1748 sur le modèle de celle des hommes. (Ds Nouv. Lar. ill., Quillet 1965).
β) Au plur. Sectaires chrétiens qui niaient la Trinité des personnes divines en faisant du Fils et de l'Esprit des modes du Père et prétendaient que Dieu le Père était né et avait souffert sur la croix. (Ds Ac. Compl. 1842). b) Adj. [En parlant d'une pers.] Auteur de poèmes sur la Passion. Poètes passionnistes (T. C. de La Villemarque, Le Grand mystère de Jésus, 1865, p.LXXXIX ds Littré).− [pasjɔnist]. ,,L'[ɑ] ne fait que se survivre dans passioniste [sic], passionnaire, passionnant, passionné, passionnel, passionnément, passionner`` (Fouché Prononc. 1959, p.85). Prop. Catach-Golf. Orth. Lexicogr. 1971, p.209: -ioniste. − 1resattest. a) 1834 subst. masc. nom donné aux membres de la Congrégation pour la propagation de la Croix fondée par Paul Danel dit Paul de la Croix, et dont les statuts furent approuvés en 1741 [Théol. cath.] (Sainte-Beuve, loc. cit.), 1903 subst. fém. nom donné aux membres d'une congrégation religieuse ayant le même fondateur (Nouv. Lar. ill.), b) 1842 nom donné à une hérésie des iie-iiies. qui niait la Trinité des personnes divines [Théol. cath., s.v. monarchianisme] (Ac. Compl.), c) 1865 adj. «auteur de poèmes sur la Passion» (T. C. de La Villemarque, loc. cit.); de passion, suff. -iste*; le lat. médiév. passionnitae, sens B, est relevé par Du Cange chez Philastre, évêque de Brescia, 2emoitié ives. BBG. −Auerbach (E.). Rem. sur le mot passion. Neuphilol. Mitt. 1937, t.38, pp.218-224; P.M.L.A. 1941, t.56, pp.1192-1196. _Dauzat Ling. fr. 1946, p.21. _Gohin 1903, p.338. _Spitzer (L.). Romania. 1939, t.65, p.123. _Strosetzki (Ch.). Konversation... Frankfurt am Main, 1978, p.122. |