| INEFFABLE, adj. A. − Qu'il est impossible de nommer ou de décrire, en raison de sa nature, de sa force, de sa beauté. Synon. indescriptible, indicible, inexprimable.Amour, bonheur, calme, concert, moment, plaisir, regard ineffable; bonté, douceur, espérance, extase, harmonie, joie, minute, suavité, tendresse ineffable; ineffables délices, voluptés. Il avait surtout éprouvé d'ineffables allégresses à écouter le plain-chant que l'organiste avait maintenu en dépit des idées nouvelles (Huysmans, À rebours,1884, p. 268).Cette plénitude ineffable que nous ressentons quand nous contemplons, par quelque matinée, la jeunesse du printemps, ou bien un coucher de soleil sur la mer (Barrès, Sang,1893, p. 22): 1. Quand elle revint, son petit-fils la tête posée sur la table, dormait, la bouche ouverte. Elle le contemplait : un sourire ineffable fit resplendir son visage taillé dans du vieux buis, sa face de Vierge noire.
Mauriac, Génitrix,1923, p. 381. ♦ Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui ne peut être exprimé par le langage (en raison de la transcendance d'une réalité qui dépasse l'homme). Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l'abîme il nagea seul et nu, Toujours de l'ineffable allant à l'invisible (Hugo, Feuilles automne,1831, p. 774).L'âme aspire confusément à l'ineffable; elle a besoin d'illimité; elle a soif du divin (Amiel, Journal,1866, p. 201): 2. ... tout ce résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l'ami à l'ami, du maître au disciple, de l'amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu'il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu'en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt...
Proust, Prisonn.,1922, p. 257. − RELIG. [En parlant de Dieu et des mystères] Synon. sublime.L'Être ineffable. La grandeur ineffable de Dieu (...); le mystère ineffable de l'Incarnation (Ac.). Le mystère douloureux et ineffable de notre rédemption (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 67).Les plus ineffables secrets de la vie divine, la naissance éternelle du Verbe, la procession du Saint-Esprit (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 54): 3. Un instant apparu parmi nous, le Messie ne s'est laissé voir et toucher que pour se perdre, une fois encore, plus lumineux et plus ineffable, dans les profondeurs de l'avenir.
Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 197. ♦ Le nom ineffable. ,,Le nom de Dieu, Yahvé, que nul ne pouvait prononcer, et qu'on remplace, dans la lecture publique de la Bible, chez les Juifs, par des équivalents`` (Foi t. 1 1968). En lui mettant sous la langue le nom ineffable de Dieu [le mystique tétragramme], le cabbaliste conférait (...) à l'homme de plâtre la raison (Renan, Réf. intellect.,1871, p. 70): 4. Dieu seul est cela qui est : nous ne pouvons ajouter à son nom ineffable que l'adoration en lui de l'essentielle différence créatrice en confessant avec les Anges qu'il est Saint.
Claudel, Art poét.,1907, p. 184. ♦ Emploi subst. masc. sing. On a aperçu dans la gloire Eucharistique le plus haut objectif de l'humaine pensée, celui que les kabbalistes nomment l'ineffable : Dieu! (Péladan, Vice supr.,1884, p. 18). B. − Fam., p. iron. Qui ne peut se décrire, en raison de son caractère ridicule ou extravagant. Synon. impayable (fam.), inénarrable.Personnage ineffable; comique, ridicule ineffable. Grâce à la lenteur ineffable des gens de ce pays-ci, je n'ai commencé que d'aujourd'hui à mettre le nez dans les manuscrits que j'étais venu consulter (Mérimée, Lettres à une inconnue, t. 1, 1870, p. 257): 5. ... et l'ineffable Antonin s'extasie; il s'emberlificote dans des compliments tortueux, dans des phrases pleines d'embûches, dont je n'aurai garde de l'aider à se dépêtrer, trop heureuse de l'écouter, au contraire, avec des yeux attentifs et rivés aux siens.
Colette, Cl. école,1900, p. 76. ♦ Ineffable de + subst.J'ai passé une partie de la nuit à lire le roman de Feuillet qui est ineffable de bêtise (Flaub., Corresp.,1878, p. 147). Prononc. et Orth. : [inεfabl̥], [-ne-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1450 adj. (Mistère du Viel Testament, t. 1, 684 : vostre puissance ineffable); 1769 subst. (MmeDu Deffand à Walpole, 12 mars ds Brunot t. 6, p. 1080). Empr. au lat.ineffabilis « qu'on ne peut exprimer ». Fréq. abs. littér. : 849. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 350, b) 1 254; xxes. : a) 1 201, b) 1 063. DÉR. Ineffablement, adv.D'une manière ineffable. Synon. indiciblement.Ineffablement doux, pur; sourire ineffablement. Des pensées si ténues, si fragiles, si ineffablement délicieuses se levaient en elle, qu'elle n'osait même pas se les avouer, dans la crainte de les faire évanouir (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 160).Ce qu'évoquent d'ineffablement gracieux ces images, le mois de mai, le blanc et le bleu cortège des enfants (Gide, Caves,1914, p. 693).Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ (Claudel, Poèmes guerre,1916, p. 532).− [inεfabləmɑ
̃], [-ne-]. − 1reattest. 1316 (Jean Maillart, Comte d'Anjou, éd. M. Roques, 903); de ineffable, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér. : 53. BBG. − Darm. 1877, p. 122 (s.v. ineffablement). - Duch. Beauté 1960, p. 141. |